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L’art subtil de gagner la préférence du public

October 2, 2023

Le marketing des événements culturels se veut différent de l’univers méprisé des produits de grande consommation. Marketing et communication sont d’ailleurs des mots honnis, ou utilisés du bout des lèvres. Pourtant les professionnels de la culture recourent volontiers aux mêmes techniques que les marques grand public… et nourrissent souvent les mêmes idées fausses !

Le marketing des événements culturels se veut différent de l’univers méprisé des produits de grande consommation. Marketing et communication sont d’ailleurs des mots honnis, ou utilisés du bout des lèvres. Pourtant les professionnels de la culture recourent volontiers aux mêmes techniques que les marques grand public… et nourrissent souvent les mêmes idées fausses !

L’une des plus répandues est que plus on touche de gens, plus on a de chances de vendre des billets. Il n’y a rien de plus trompeur ! En réalité, plus on touche de gens via des médias ou points de contact (le terme est éloquent…) grand public, plus on est amené à utiliser un message générique, fédérateur, qui touche beaucoup de monde… et en convainc peu ! Car, contrairement à ce que beaucoup de professionnels du marketing et de la communication pensent, l’enjeu n’est pas de toucher plus de gens, mais de les toucher mieux. Less is more.

Passer la barrière de l’indifférence

Pour comprendre les mécanismes de la communication, il convient de revenir aux fondamentaux qui gouvernent les réactions des gens à un message de type publicitaire, et pas seulement d’ailleurs (cf la difficile communication des parents sur la consommation des écrans par leur progéniture…).

Un individu ne réagit pas de manière pavlovienne – Dieu merci ! – à n’importe quelle communication qui parvient à ses yeux ou à ses oreilles. Heureusement, car il en reçoit plusieurs milliers par jour ! Chaque personne a un filtre mental qui agit, sur l’attention d’une part – l’un des grands enjeux du monde de la communication aujourd’hui – et sur la perception d’autre part. Notre cerveau a une excellente aptitude à ignorer certaines sollicitations, soit qu’elles ne l’intéressent pas, soit qu’elles tombent dans un contexte où d’autres sollicitations retiennent davantage son attention. Certes, des pubs répétitives à la Carglass laissent des traces, montrant l’efficacité en termes de réflexe de certains contacts… Mais l’existence d’un contact, c‘est-à-dire la présence de l’œil ou de l’oreille de l’individu en question à portée d’audition et/ou de vision du message envoyé par l’émetteur via un canal idoine, est loin de prouver que ledit message a été vu, lu ou entendu, et encore moins perçu, sans même parler d’être accepté.

L’exemple de Carglass montre que moins un message est impliquant, plus il faut le répéter pour avoir une chance de passer la barrière de l’indifférence, un mécanisme opportunément installé par le cerveau humain pour éviter d’être encombré par des choses ne l’intéressant pas. Or les entreprises culturelles sont loin d’avoir la puissance de feu d’un Carglass. Elles sont donc condamnées, pour être efficaces, à un peu de pertinence et d’intelligence. Par exemple, une expérience effectuée par Delight sur le spectacle La Famille Semianyki, histoire d’une famille russe déjantée confrontée à l’absurdité de la bureaucratie moscovite, a montré qu’en orientant les messages vers des publics potentiellement intéressés par la culture russe, l’humour noir ou les spectacles familiaux, les retours étaient de 35 à 85% supérieurs aux messages standards envoyés sur la base de référence. Et dans l’univers commercial, les effets peuvent même être 3, 5 ou 8 fois supérieurs…

Comment peut-on passer la barrière de l’indifférence ? Un premier paramètre est l’intérêt du sujet lui-même, qui motive ou pas le public visé. Mais le sujet en soi ne suffit pas, encore faut-il que les messages soient pertinents et attractifs. Plus ils sont génériques, moins ils intéressent proportionnellement de gens, comme l’a montré l’expérience de La Famille Semianyki.

Les degrés de l’attachement

Le second paramètre est la nature de l’émetteur lui-même et la relation que celui-ci a déjà construite, ou pas, avec le public visé. Cette relation, si elle existe, est génératrice d’attachement entre l’émetteur et les récepteurs. Ce lien peut être minimal, auquel cas son influence sur l’acte d’achat sera infime, ou au contraire très fort, entraînant quasiment un réflexe d’achat chez les personnes ayant ce type de lien.

Les différents degrés d’attachement entre les émetteurs et leur public, que ce soient des marques ou des organismes non commerciaux, se gravissent comme… les degrés d’une pyramide.

  • Le 1er degré est celui de la présence, un mélange de notoriété et d’accessibilité : on s’intéresse évidemment moins à ce qu’on ne connaît pas ou à ce qui est inaccessible (pour la plupart des gens, les chances d’aller voir un spectacle à Los Angeles sont minces…).
  • Le 2ème degré est celui de la pertinence : on peut très bien connaître les poussettes Maclaren et n’en avoir aucune utilité. Bien sûr, cet aspect se travaille, et on peut convaincre un spectateur d’aller voir un spectacle électro même s’il ne pensait pas que cela pouvait l’intéresser.
  • Le 3ème degré d’attachement est lié à l’expérience. Après avoir vu un spectacle, ai-je apprécié la salle, la mise en scène, les artistes, etc. ? Hélas pour certains, cette expérience peut se faire par transitivité, à travers le bouche à oreille, en particulier via les médias sociaux de nos jours…
  • Le 4ème degré est celui de la performance : le spectacle, le lieu, l’équipe, etc., ont-ils été jugés meilleurs que les autres… selon l’échelle de valeurs propre à chacun ?
  • Le dernier degré, le graal, est celui de la préférence : ce spectacle ou cette expérience sont-ils au final mes préférés au sein de l’offre concernée ?
Les étapes de la construction d'un lien fort

Mais au fond, quel est l’intérêt de gravir les différents degrés de cette pyramide pour les entreprises et institutions culturelles ? Elle est juste essentielle... A titre de comparaison, dans le monde commercial, une personne ayant une préférence pour une marque lui consacre grosso modo la moitié de ses dépenses dans cette catégorie de produits. L’autre moitié est constituée d’achats motivés par un prix plus bas, ou par l’accessibilité du produit (indisponibilité dans le circuit fréquenté, achats d’impulsion, etc.). Mais lorsque le consommateur considère, rationnellement, une marque « supérieure aux autres », il lui consacre… moins de 20% de ses dépenses. Et sur les degrés inférieurs, c’est la Bérézina ! Bien que les mesures n’existent pas, il serait surprenant que ce phénomène ne se retrouve pas dans l’univers culturel, peut-être à des niveaux légèrement différents.

C’est la raison pour laquelle certaines entreprises et institutions culturelles auraient tout intérêt à travailler la valeur de leur marque dans la tête des gens… Nous y reviendrons prochainement.

L’art subtil de gagner la préférence du public
Eric de Rugy
Eric est l’un des spécialistes français de la communication marketing intégrée. En 2015, il a cofondé Delight, qu’il préside et dont il supervise la stratégie. Il préside également la fédération des Jeunes Organisations Innovantes de la Culture et de l’Entertainment (JOICE), qu’il a aussi cofondé, afin de faire entendre la voix des start-ups dans l’écosystème de la culture. Il a présidé pendant 12 ans le club Marketing & Com d’HEC Alumni.
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