Saison 2

S02E08 - Sébastien Vidal, Dir. Artistique du DUC DES LOMBARDS & Dir. d’antenne de TSF JAZZ

Un bac scientifique mène vraiment à tout… y compris à devenir une figure centrale du jazz en France. Sébastien VIDAL est aujourd’hui Programmateur et Directeur Artistique de « LA » radio du Jazz TSF JAZZ, du club parisien mythique LE DUC DES LOMBARDS et de festivals de jazz majeurs (NICE JAZZ FESTIVAL et FESTIVAL DJANGO REINHARDT). Même si vous pensez ne pas aimer ou ne pas connaître le jazz, cet épisode va vous captiver pendant 43 minutes : impossible de lâcher le fil de la conversation avec Sébastien et sa jubilation à faire le lien entre tous ces métiers. Il montre à quel point la scène est le centre de tout… et encourage les passionnés à se mettre au travail : il y a toujours de la place pour celles et ceux qui créent des sons ou des contenus.

Sold Out Sébastien Vidal Nice Jazz Festival Duc des Lombard

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SOLD OUT - Saison 2, épisode 8 : Sébastien Vidal

Bonjour ! Je suis Marc Gonnet.
Je suis ravi de vous retrouver dans ce nouvel épisode de « Sold Out ». Bienvenue ! Vous êtes de plus en plus nombreux et ça nous fait un plaisir fou ! Je vous mets directement dans l’ambiance de ce dont on va parler aujourd’hui : on va parler de Jazz, on va parler de TSF.

Bonjour Sébastien Vidal !

Bonjour Marc !

Qu’est-ce que tu fais exactement ?

Qu’est-ce que je fais ? Je suis payé pour écouter de la musique, c’est chouette non ? [Rires]

Tu vas nous raconter ça en détails !
On pourrait dire que tu es une « figure centrale » du Jazz en France…

« Centrale » ? Il y a beaucoup de « gens centraux » dans le Jazz, notamment des gens qui savent beaucoup plus de choses que moi sur cette musique. C’est une musique de connaisseurs et de spécialistes, mais pas que… c’est aussi une musique de plaisir. 

J’aime le Jazz depuis très longtemps, et j’y suis bien !

On va partager cette passion avec nos auditeurs dans ce nouvel épisode de « Sold Out », qui commence maintenant.

Sébastien Vidal, premier billet vendu ?

Le premier billet vendu ? C’est une question un peu « piège » … J’étais musicien. J’avais eu l’envie d’être musicien, mais pas vraiment pour faire de la musique, plus pour être au contact des Artistes. Depuis que je suis tout petit, j’ai envie d’être dans un club de Jazz, au milieu des musiciens, à fumer des clopes, à boire des coups et à écouter de la musique.

Le premier billet vendu, je pense que c’est un Groupe que j’avais monté : Happy Feeling (le nom le plus pourri de la Terre !), avec Julie Saury (la fille de Maxime Saury, un formidable saxophoniste de Jazz qui a « écrit » l’Histoire du Jazz en France), et une sontrebassiste qui s’appelle Alice Bassié.

C’était au Petit Journal Saint-Michel. On avait négocié le fait de faire un concert en échange de 50 % de la billetterie. Comme tous les mômes qui font de la musique et qui ont 18-19 ans, j’avais appelé mon père, ma mère, mes cousins, mes frères, mes soeurs…

Dernier billet vendu ?

Je regardais mon agenda… le dernier billet vendu c’est le Groupe Yusan, au Duc des Lombards. C’était le vendredi 16 octobre, date à laquelle nous avons arrêté toute activité de concert au Duc des Lombards. C’est donc la dernière billetterie qu’on a mis en place et qui a vendu un billet.

Je suis Sébastien Vidal, Directeur Artistique du Duc des Lombards. J’ai aussi la chance d’être Directeur des Programmes et de l’Antenne de TSF Jazz. Nous gérons la Direction Artistique de deux festivals en France : le Festival Django Reinhardt, à Fontainebleau, et le Nice Jazz Festival.

Salut Seb’ !

Bonjour Marc !

On va parler de tout ton parcours aujourd’hui, dans ce nouvel épisode de « Sold Out ».

J’espère que je ne vais pas dire trop de bêtises ! [Rires]

En même temps, c’est bien aussi de dire des bêtises ! [Rires]

C’est vrai ! 

Aujourd’hui je me méfie parce que je suis face à un « homme de radio ». Tu maîtrises ça beaucoup mieux que moi…

Je ne dirais rien ! Je parle trop… Quand je parle trop, tu me tapes sur la tête ! 

Promis !

Voilà, à coup de maillet ! 

L’adage se vérifie : en regardant ta biographie, on voit que tu as fait un Bac C… Les Bac C mènent donc vraiment à tout ?

A condition d’en sortir ! 

Oui… [Rires] 

Tu sais, c’était l’époque où les Bac C avaient un coefficient 7 en Maths et en Physique, et un coefficient 2 en Bio, en Histoire, en Philosophie, etc.
Je crois que je me suis pris 2/20 en Philo. J’ai dû avoir 4/20 ou 5/20 en Sciences Naturelles ou en Histoire et j’ai eu 17/20 en Maths et 18/20 en Physique. Les exercices étaient toujours les mêmes donc on prenait les annales et on s’y préparait. J’avais un très bon prof’ de Maths…

Tu exagères un peu…

Non ! Les études de fonctions étaient toujours pareilles !
J’avais un prof’ de Maths qui était fan de Jazz et de disques. C’était un « type » génial qui nous a donné envie de faire des Maths. Je l’ai rencontré en Seconde et il nous a accompagné jusqu’au Bac (il était venu me voir à l’Oral du Bac).
J’ai « cartonné » les Maths et la Physique, et j’ai eu mon Bac contre toute attente. Je ne pensais pas en être capable ! 

Ensuite je me suis dit : « Je vais faire quoi ? Je vais faire Maths Sup’ ! »
J’ai fait une semaine en Maths Sup’ et… un an au bistrot (sans en parler à mes parents… Quand ils l’ont su, je pense m’être fait « décapiter » !).
Ensuite, je me suis vraiment posé des questions sur ce que je voulais faire. Comme j’étais complètement « crétin » et inculte, je me suis dit que les Lettres Modernes seraient la seule direction dans laquelle je serais obligé de lire et de me cultiver. 


Je m’y suis donc inscrit et j’ai « vaguement » fait en sorte d’aller jusqu’à ma première année de D.E.U.G. en Lettres Modernes.
Je ne l’ai pas dépassée. Ensuite, j’ai bossé ! [Rires]

Tu as fait un D.E.U.G. de Maths aussi, non ?

Non, les Maths c’était…

C’était une couverture ?

C’était à Jussieu. J’ai tenu trois semaines !
Je n’étais pas du tout fait pour les études : je détestais ça ! Je voulais faire la fête, écouter de la musique, aller dans des clubs, sortir, voir les copains…

La Musique m’intéressait. Je ne voulais faire que ça. Je ne me l’avouais pas encore à cette époque-là parce que je pensais qu’il fallait avoir fait des études pour savoir ce qu’on voulait faire dans sa vie.
Ce n’est pas vrai : la Musique est ouverte à tout le monde et permet à toute personne passionnée de « faire son trou », pour peu qu’elle soit motivée et un peu « souple ».

Justement ! C’était quoi le « déclic » entre le bistrot, la fête, les clopes… et tout à coup « je deviens musicien » ?

J’ai rencontré Alexandre, un Clarinettiste.
Il avait monté un orchestre : Hollywood Memories, qui reprenait des morceaux des années 1920-1930. Ce n’était même pas de la techno, on était vraiment dans « l’underground de la Musique »).

Il était fan de Bix Beiderbecke. Il avait monté un Big Band et voulait un guitariste. Je faisais un peu de guitare donc je suis rentré dans ce « truc ». C’est ce qui m’a donné envie de continuer et d’être Musicien.

« Guitare amateur », pas du tout « Guitare Conservatoire » : pas un « chemin académique » …

Pas du tout ! « Guitare rattrapée au vol » avec un professeur particulier.
Ensuite, je me suis inscrit à l’American School of Modern Music : un département de Berklee, à Paris, dans lequel j’ai appris à lire le solfège, la Musique, le rythme : les fondamentaux de ce qu’est la Musique.

Jusqu’au « tournant » des années 2000, ton vrai et seul métier c’est Musicien…

Oui ! J’étais un musicien « très médiocre ».

N’est-ce pas de la fausse modestie ?

Non, c’est vrai ! Les gens pensent ça mais pas du tout : je suis très réaliste !

Je ne travaillais pas mon instrument donc ça ne pouvait pas avancer. La Musique est un sacrifice au quotidien, une pratique quotidienne. Il faut pratiquer son instrument tous les jours, tous les jours, tous les jours… Je ne le faisais pas.
J’avais pratiqué pour être à peu près au niveau pour me produire sur les scènes de mes clubs de Jazz. J’étais sympathique, et j’avais une cote de sympathie de la part de mes collègues Musiciens de Jazz

J’étais débrouillard donc je trouvais des concerts et j’arrivais déjà à me produire. J’ai monté mon Groupe, j’ai enregistré un disque… j’étais hyper entreprenant.
J’arrivais à « survivre » dans le métier de la Musique : j’étais Intermittent du Spectacle, mais j’avais bien vu que je n’allais nulle part avec ça.

J’ai rencontré Jean-Michel Proust, un Saxophoniste que j’ai accompagné. Franck Ténot lui avait proposé la Direction d’antenne de TSF Jazz. Jean-François Bizot et Franck Ténot avaient besoin d’un Programmateur. Je me suis tout de suite proposé. J’y ai vu l’opportunité de me sortir de la situation dans laquelle j’étais.

Restons encore un court instant sur cette époque… Dans les années 1990, est-ce « facile » de jouer même quand on n’a pas un « niveau de mammouth » en Musique ? 

Oui, parce qu’il y a des clubs partout et de la Musique partout !

Dans le quartier où l’on est – dans le 6ème arrondissement – il y avait plein de clubs de Jazz : l’Arbuci, le Montana, le Latitude, le Club Saint-Germain, la Villa… Il y avait du boulot !
On faisait un peu « tapisserie ». Cette musique avait quelque chose de social : les gens allaient dans les clubs de Jazz, il n’y avait pas d’entrée payante, pas de billetterie. Ils venaient pour « boire un coup », pour passer une soirée et, « dans un fond », il y avait un orchestre qui jouait. 

Il y avait beaucoup de travail. Les Musiciens étaient peut-être moins « respectés », moins « identifiés » par le Public. Aujourd’hui, le Duc des Lombards compte 68 places mais il faut qu’on produise chaque concert comme si on « produisait Bercy », avec… 

Du marketing, de la billetterie… 

… du marketing, de la billetterie, de la promotion, des réseaux sociaux… en demandant aux musiciens de faire un effort important pour promotionner la date : avoir une actualité, un disque qui sort… On est obligés de « marcher » comme ça !

A l’époque, les « mecs » jouaient partout pendant 15 jours !
Je n’étais pas très bon Musicien et je faisais quinze jours au Bilboquet, à jouer tous les soirs.
On apprenait le métier en étant sur scène, avec des gars qui avaient la gentillesse de nous l’apprendre. Beaucoup des gars qui jouaient avaient appris le Jazz parce qu’ils avaient été gentiment accueillis par des Groupes et qu’ils avaient « fait la jointure » :

« On ne peut pas avoir tel ou tel Guitariste ? Appelle Seb’, il fera le boulot ! Il n’est pas tout à fait au niveau mais il va « faire le job », il va accompagner… et il va progresser ! »

Beaucoup de jeunes Musiciens de cette époque ont profité de ça ! 

Quand on jouait au Caveau de la Huchette ou au Slow Club, c’était pendant 15 jours d’affilée. Au Bilboquet, c’était pendant cinq jours de suite. A la pause, on allait voir René Urtreger qui faisait un « piano-solo » au fond du Montana, André Persiany qui « jouait derrière » au Furstenberg. La Villa accueillait les premiers concerts de Brad Mehldau, Joshua Redman, Mark Turner et Diana Krall, qui avaient été « spottés » par Dany Michel (le Programmateur de La Villa).

Il y avait une émulation hyper facile, un romantisme de la Musique qui était « vachement chouette » à cette époque !

Et en 1999, la radio…

Oui. Le 23 décembre 1999, je débarque à TSF, dans les locaux de Radio Nova.
Je suis en costard-cravate avec des chaussures en cuir. Les mecs me prennent pour un « maboule », surtout que je remplace un gars qui venait de se faire virer : le programmateur de TSF, qui avait été imposé par Jean-François Bizot. C’était un DJ très sympathique. Il ne faisait pas vraiment le boulot concernant la Programmation, mais il était « introduit » dans Nova. J’étais donc vraiment perçu comme le gars qui venait « voler le job d’un copain ».

J’ai été accueilli par Rémi Kolpa Kopoul avec du Champagne : c’était le 23 décembre et que tout le monde partait ensuite à Noël. J’ai trouvé ça formidable ! Rémy a tout de suite été ravi de me parler, de m’expliquer la radio, le Jazz, de me parler du Brésil…
Pour moi, le Jazz était un « truc » extrêmement fermé qui se déroulait entre 1920 et 1940. Il a explosé toutes mes certitudes.

Ensuite, il y a eu la rencontre avec Jean-François Bizot. Il a « pris un marteau », m’a « tapé sur la tête », me l’a « ouverte en deux » et m’a complètement « retourné » sur ce qu’est la Musique, comment on la perçoit, comment on perçoit le Jazz, comment on perçoit ce qu’est la modernité à la radio. Ça a été des années formidables, magiques.

Des années magiques avec ce Jean-François Bizot, un « immense homme de médias » et qui était aussi le patron de Nova.

Il était le patron de Nova et de TSF. On avait un problème avec TSF parce qu’on ne trouvait pas le format. C’était compliqué parce qu’une « radio de Jazz », ça n’existe pas…

Ça veut dire quoi « format » ?

Un « format », c’est trouver la manière dont on diffuse la Musique et dont on l’organise pour faire en sorte que les gens l’écoutent. En radio, on a toujours l’impression qu’en passant le plus de morceaux possibles on apporte beaucoup de diversité. En fait, quand on passe beaucoup de morceaux inconnus de la part des gens qui les écoutent, ces gens ont l’impression qu’ils écoutent toujours la même chose : que morceaux qu’ils ne connaissent pas.

Comment arriver à trouver un « format » permettant à la fois de diffuser des morceaux que les gens connaissent, et dont ils ont l’impression que ça les concerne ? Comment leur faire découvrir ce qu’est le Jazz ? Est-ce qu’on joue du Jazz des années 1930. Est-ce qu’on joue du Jazz des années 1960 ?
Quelle est la proportion de vocal ? Quelle est la proportion de Big Band ? Qu’est-ce qui agace ? La trompette ou le saxophone ? Qu’est-ce que les gens aiment ? La batterie « comme-ci » ? Qu’est-ce qu’on fait avec le Free-Jazz ?

Toutes ces questions vont se poser.

Comment arriver à créer une radio avec un son ? Quel est le son de TSF ?
Ça a été une discussion très longue, passionnante, très tardive, très créative et alcoolisée avec Jean-François Bizot et tous les gens qu’il y avait autour.

Est-ce qu’on fait du Marketing pour ça ? Est-ce qu’on fait des études ? Est-ce qu’on interroge des gens…

On a fait des études longtemps après. Le problème des études, c’est que si tu en fais une et que tu ne sais pas ce que tu veux chercher, cela ne sert à rien ! Si c’est pour apprendre que le Free Jazz est une « musique compliquée », ça n’a pas d’intérêt. Il faut quand même que tu aies une certaine idée de ce que tu veux faire en termes de radio, avec un positionnement éditorial assez précis, pour commencer à chercher des « choses » que tu ne sais pas.
 
Qu’est-ce que je ne sais pas ? Je ne sais pas quels sont les « morceaux repoussoirs ». Je ne sais pas où sont mes limites. Non pas que je veuille arrêter de passer ces morceaux-là à l’Antenne, mais je cherche des morceaux dont je sais que le seul effet qu’ils auront à l’antenne, est d’être des « repoussoirs ».

1. Est-ce que je continue à les diffuser ?
2. Quand je les diffuse, comment je le fais ?

Ces études-là sont intéressantes.
Si c’est pour me dire que les gens préfèrent Stan Getz et Ella Fitzgerald, je le sais déjà ! Si c’est pour me dire que des morceaux enregistrés entre 1917 et 1930 sonnent parfois un peu « vieux » à l’Antenne…

Des fois, des morceaux enregistrés entre 1970 et 1980 « sonnent beaucoup plus vieux » que les morceaux enregistrés en 1930, notamment le Jazz-Rock. C’est intéressant de le savoir.

Au moment où tu te poses ces questions-là avec toutes les équipes, tu fais aussi de l’Antenne…

Bruno Delport, qui était le Directeur Général du Groupe Nova (et qui est toujours le Directeur Général et créateur de TSF), a fait un deal avec le Parti Communiste pour sauver cette radio associative montée en 1981 par la CGT, et a proposé un plan de relance intelligent qui permettait de rembourser les dettes et « d’avoir une continuité ». Il m’a « balancé à l’antenne » le 4 janvier 2000, parce qu’il n’y avait pas d’Animateur…

Tu arrives le 23 décembre, et…

C’est ça ! Je suis musicien avec « mon petit costard et mes petites shoes », et il me dit : 

 « Il faut faire de l’Antenne et tu commences lundi !
- Ah bon ? Mais… qu’est-ce je dis ?
- C’est facile ! Tu ouvres ton micro et tu dis « TSF, 89.9 »
- Pourquoi ?
- Comme ça les gens savent où tu es ! Tu parles, et à la fin si tu peux dire « TSF, 89.9 » c’est super… Puis, tu arrêtes de parler. 
- OK… »

On a appris comme ça… On a tous « fait » TSF en « apprenant à faire de la radio » (c’est ça qui est formidable !) : en se posant des questions, en la « traficotant », sans moyens, en ayant juste la passion et l’envie de partager des choses avec les auditeurs. Point.

Avant d’arriver, dans un instant, à ce qui nous intéresse beaucoup dans « Sold Out » : la scène, les évènements, le Public… je voudrais essayer de savoir si se sont passés, dans ces années-là, des moments inouïs qui te restent en mémoire…

Je ne sais pas si c’est « mégalo » ou bizarre de dire ça, mais j’ai toujours pensé que quand on avait une responsabilité dans un média, notamment sur le Jazz, on avait la responsabilité d’être « au centre de la création de certains évènements », et qu’on avait le devoir d’utiliser ce média pour pouvoir faire un peu plus que « juste de la radio », en se disant : « C’est super ! On est à TSF et on est aussi à Nova ! Peut-être qu’on peut utiliser cette capacité qu’a Nova de faire de l’Evènementiel, et créer des choses pour que ça retombe sur le Jazz… »
Dans le spectre de toutes les musiques qui étaient diffusées sur Nova, il y avait évidemment toujours du Jazz parce que Jean-François en était passionné et adorait ça, mais c’était toujours un peu « le chaînon manquant ». TSF complétait bien ce « chaînon manquant ».

J’ai tout de suite voulu monter des projets.
Chez Blue Note, j’avais un copain qui voulait « repackager » une série de compilations : Blue Break Beats, sous le nom Groove Experience. Il s’agissait de tous les rares grooves sortis à la fin des années 60, qui avaient été « samplés », remixés et remis au goût du jour dans les années 1990.

Pour la sortie de ces compilations, je lui ai dit : « On a qu’à organiser des concerts ! On a qu’à monter un évènement qui fait que c’est gratos ! On a quatre compilations différentes avec quatre moods différentes… Allons trouver quatre lieux différents à la Bastille, dans lesquels on fera quatre concerts différents avec trois ou quatre DJs à chaque concert. Des concerts gratuits, avec un pass, et un évènement sur le toit de Nova où on peut recevoir des gens… »

C’était les premiers évènements qu’on a montés, en convaincant Nicolas Pflug (de Blue Note) en lui disant : « Peut-être qu’on peut utiliser un bout de ton marketing pour essayer de payer des coups à boire et de payer Laurent Garnier pour le convaincre de remixer du Jazz au Balajo, Rue de Lappe… » Et on l’a fait ! 

Donc là, pas de limite ! On invente des choses…

Oui ! On invente !
C’est ce qui était chouette avec Jean-François Bizot… Vous savez cette « manière » qu’il y a chez certains jeunes gens qui ont besoin « d’avoir des galons » pour pouvoir faire des choses ? Jean-François, ce n’était pas du tout ça : « Tu n’as pas besoin de galons ! Si tu veux faire une interview, tu prends un microphone et un enregistreur, tu vas faire ton interview, tu me la proposes, et si elle est bien on la passe !
Tu veux faire un papier là-dessus ? Tu l’écris, tu me le donnes, et s’il est intéressant on le met dans Nova Magazine. Tu veux monter quelque chose ? Tu le montes, tu le finances, etc… et s’il est bien, on va le faire !
Ne me demande pas d’être « Directeur des évènements spéciaux » … fait le ! ».

En fait, on te met dans la piscine et on voit si tu sais nager…

Exactement ! Je me suis mis à écrire dans Nova Magazine, j’ai monté des soirées, on a « fait » TSF
Sur tous les sujets, c’était comme ça. C’était magique ! 

Il faut dire qu’autour de Jean-François, il y avait Rémy Kolpa Kopoul, Jean-Pierre Lentin, Jacques Massadian : des mecs qui avaient « fait » Actuel, la première aventure de Radio Nova… C’était une « école de l’anti grosse tête » : il y avait toujours un « vieux » qui venait en disant : « Eh Sébastien, détends-toi…  Ce n’est pas bien » ou « C’est bien ! Va dans ce domaine ! » …

J’ai littéralement « appris à écrire » parce que tous les dimanches après-midi j’allais voir Rémy Kolpa Kopoul dans son bureau et qu’il corrigeait mes articles devant moi ! C’est comme ça qu’on a fait les choses. De même pour la radio et pour tous les évènements qu’on a faits.

C’était une période d’émulation absolument magique, surtout pour un jeune gars !

La « force » de Jean-François Bizot, c’est qu’il écoutait tout le monde avec beaucoup d’attention. Il avait cette qualité rare. Il te donnait tout le temps l’impression d’avoir un rapport très intime, très amical et très exclusif avec lui. Ce qui n’était pas vrai : il avait ce rapport-là avec tous les gens qu’il fréquentait, mais tu avais l’impression d’avoir un rapport très exclusif avec lui, et qu’il te considérait. 

A 29 ans, on m’avait toujours pris pour un « crétin intersidéral ». C’était la première fois qu’un adulte écoutait ce que je lui disais et était intéressé par ce que j’avais à lui dire ! 

Bizot avait cette capacité d’écouter les jeunes, les plus vieux, la standardiste… quand il croisait un mec dans l’ascenseur, il lui parlait : « Qu’est-ce que tu penses de la couv’ de Nova Magazine ? Est-ce que tu penses que la photo est au bon endroit ? Tu as écouté cette émission… est-ce que tu penses que c’est bien ? », avec une liberté d’expression « folle » et un peu « chiante » parfois : avec les responsables de la radio, c’était compliqué (il était capable de passer par-dessus leurs têtes pour aller « court-circuiter les choses »), mais on jouissait d’une liberté complètement folle. C’était une période complètement géniale !

Est-ce fort de cette confiance acquise à la radio qu’à un moment tu as commencé à aller vers « le monde de l’évènement » avec Le Duc des Lombards ?

J’ai toujours voulu programmer des concerts. Cela m’a toujours passionné. J’ai toujours eu envie de faire des évènements et de faire bosser des Musiciens.

Le plus « kiffant » dans un concert, c’est quand on est backstage, « derrière », qu’on a mis un Artiste sur scène, que le public est là (en backstage on n’entend pas grand-chose : un peu de bruit, de musique…), et qu’à la fin de la dernière note du morceau, il y a un « micro-silence », et tout à coup on entend : [Imite le public] « OUAAAAAAAHHHH !!!!! » …
C’est la vraie récompense d’avoir bien fait son travail : on a « mis un mec sur scène », il a rencontré son Public, le Public est heureux et la récompense, ce sont les applaudissements à la fin : « ah oui ! C’est cool ! On a bien fait le job ! Ça fait dix mois qu’on y pense. Ça fait onze mois qu’on a envie d’avoir ce truc et on le fait ! »

J’ai toujours eu envie de faire ça.
J’ai commencé à le faire au Festival Django Reinhardt (une association gère ce festival qui rend hommage à Django depuis 1968, dans la ville où il est enterré : Samois-sur-Seine, dans le 77) parce que Patrick Duteil (le Directeur de la Régie de Nova) était le Vice-Président de ce festival, et qu’André Francis (de Radio France) s’était « barré ». C’est lui qui présentait les concerts. Il est donc venu me voir en me disant :
« Seb, tu ne veux pas présenter les concerts ? Tu montes sur scène… » J’ai dit : « Oui ! Super ! Génial ! »

Ensuite, le Programmateur s’est « barré » et ils m’ont dit : « Tu ne veux pas nous aider à faire la prog’ ? »
J’ai eu la chance qu’ils me proposent de la faire avec le Comité de Programmation du Festival et tous les « mecs » qui étaient là depuis 1968 : Patrick Saussois et Gilbert Leroux, les « vieux briscards » de la musique de Jazz et de la musique de Django. J’ai commencé à faire des programmations « avec ça », et ça a commencé à « m’exciter à mort ». Puis, de fil en aiguille, on a continué à avoir envie de faire de la programmation !

Dans ce festival, vous avez reçu des pointures invraisemblables…

Oui ! On a reçu Paco de Lucía, John McLaughlin, Goran Bregović que j’ai annoncé comme étant Emir Kusturica…

[Rires] C’est vrai ? [Rires]

[Rires] Oui ! Devant 5 000 personnes ! [Rires] La Manageuse me « faisait tellement chier » !

Tu l’as fait exprès ?

Non, je ne l’ai pas fait exprès ! Elle nous a tellement stressés ! Elle est arrivée cinq minutes avant le concert (il y avait 5 000 personnes pour l’Orchestre des Mariages et des Enterrements : la « Rolls » de l’orchestre balkanique), et elle m’a fait : « Il faut que l’orchestre démarre au milieu du Public ! Il faut mettre de la Sécurité… »

On est au Festival Django Reinhardt, un festival associatif et bénévole… c’est compliqué de s’adapter !

Elle vient me voir et me dit : 

« Il y a des gens en train de boire des coups derrière ! 

- Oui… c’est un festival de Jazz « manouche » : on reçoit 1 000 familles de la Communauté des Gens du Voyage pendant ce festival. Ils viennent dans toute la région pour commémorer « ce qu’était Django » etc… Je ne vais pas aller expliquer à ces gens-là que les bars sont fermés… je vais me prendre un coup de couteau !

- Non ! Il faut tout fermer ! »

On éteint la lumière pour lui faire croire qu’on a fermé les bars, on est hyper stressés… puis, je monte sur scène et je dis : « Et maintenant, veuillez accueillir Emir Custurica ! » [Rires] 

Tout le monde applaudit, l’orchestre commence… et je vois la « meuf » me regarder en bas des marches :

« Mais qu’est-ce que tu as annoncé ? 
- Quoi ? Qu’est-ce que j’ai annoncé ? Tout va bien !
- Tu as annoncé Emir Custurica ! Tu ne sais pas qu’ils sont hyper fâchés ? »

… et le concert a commencé.

Ça fait partie des « conneries » que tu fais quand tu es un peu stressé ! Ce sont de super souvenirs :
dans l’Association, ils se souviennent tous que j’ai raconté cette « connerie » sur scène ! [Rires]

[Rires] Et après... ils t’ont encore permis d’aller sur scène ?

Oui bien-sûr, et ça s’est bien passé ! On en rigole…
Le « live », ce sont des moments de vie d’équipe et des moments humains extraordinaires, positifs comme négatifs. Cela fait maintenant huit ans qu’on « fait » le Nice Jazz Festival.
On a vécu des moments humains incroyables ! On a vécu un attentat… On pourrait en parler pendant des heures. C’est à la fois dramatique, et un « truc humain complètement fou » qui nous a complètement retournés et qui a renforcé les relations qu’on avait avec les équipes de la Ville, mais aussi entre nous !
On a traversé cette épreuve ensemble et on a essayé d’y faire face comme on pouvait.

On a aussi vécu des moments hyper joyeux, hyper drôles, de « conneries » et de stress. Lauryn Hill qu’on « trimballe » dans Nice avec une Sécurité, et un Chef de la Police qui me dit :

« Tu veux vraiment mettre les sirènes ?
- Oui ! Ça va lui faire plaisir, vas-y !
- Oui mais tu sais, entre l’hôtel et le festival il y a trois minutes…
- Oui, mais… tu ne veux pas lui faire faire un petit tour… ? » 

[Rires] On a envoyé Lauryn Hill dans Nice, avec les sirènes et les motards, pour lui faire plaisir parce qu’elle était un peu stressée. Elle était contente ! 

Le Live, c’est « ce qui se passe derrière » et « ce qui se passe devant » : c’est formidable !


C’est quoi ces histoires de « machines à hot-dogs » ?

On a reçu Deep Purple à Nice (ça s’est fait un peu contre ma volonté donc je n’étais pas hyper content de les accueillir…).
Le mec qui est venu pour les accueillir s’appelait Lothar (depuis, c’est devenu un « nom commun » au festival : « je vais te faire une Lothar ! »). Le « mec » nous a « fait chier » de sept heures du matin à six heures du soir, pour tout et rien… Il a commencé à prendre le bureau et m’a regardé en disant : « I don’t want to be in your shoes when the Management is going to come here to see what is the Production Office ! ». - [« Je ne voudrais pas être à votre place lorsque le Management viendra voir à quoi ressemble le Bureau de Production ! »]

Je te jure… « Mec, pourquoi tu me parles comme ça dès sept heures du matin ? »

C’est comme ça dans les festivals : les « mecs » débarquent, ils repartent à Montreux… des fois, ils sont sur la route depuis la mi-juin, on est le 17 juillet… et le « type » est « au bout de sa vie » : il a peut-être affaire à un Artiste qui est un « con » ou qui est désagréable, il est mal payé, il n’a pas dormi… et donc il vous répercute toute sa pression !

En fin d’après-midi, après qu’il ait « fait chier » vraiment toute l’équipe du festival, le « mec » dit : « I want to see the Festival Promoter ! » - [« Je veux voir le promoteur du Festival ! »]
A Nice, on est « main dans la main » avec les équipes de la Ville : la Ville produit le Festival. Ce sont les équipes de la Ville qui sont en charge des runners et de tout ce qui se passe en backstage. Nous ne sommes que sept à travailler avec eux.

Là, tout le monde m’appelle au talkie : « Sébastien ! Le mec veut te parler… Il y a un problème… Un énorme problème ! ».
J’arrive en backstage avec mon équipe que j’ai fait mettre en costards avec des lunettes noires, les talkies… et on est sept « bonshommes » de plus d’1m80 pour entourer ce « Lothar » qui nous « emmerde » …
Le mec me dit : « J’ai demandé une machine à hot-dogs… si je n’ai pas de machine à hot-dogs, il n’y aura pas de concert ce soir… »  [Rires] 

[Rires] On est de bien petites choses ! [Rires]

[Rires] Le « mec » est sérieux !
« Le mec de Deep Purple » a envie de se faire un petit hot-dog en fin de concert ? Je le comprends, mais je ne suis pas le « mec de Deep Purple » : ça ne prend pas ce genre de proportions quand je veux une machine à hot-dogs ! [Rires]
C’était pour lui « l’urgence de 17h30 » : il fallait trouver une machine à hot-dogs !

Je passe le fait qu’on lui a évidemment d’abord expliqué que s’il continuait à parler comme ça, je le raccompagnais avec la Sécurité à son hôtel et qu’il verrait le concert de sa chambre… Cela lui a fait très peur parce qu’il s’est rendu compte qu’il était 17h30, que les Artistes étaient là, que ça aller jouer, et surtout qu’on avait envoyé l’argent aux Groupes et que personne n’annulerait rien du tout ! C’est lui qui allait perdre la face. Il s’est donc évidemment détendu, et une demie heure après, je suis allé « quémander » une machine à hot-dogs… [Rires]


Tu l’as fait quand même ! [Rires]

Oui, je l’ai fait ! J’aime qu’on me parle bien. Quand on me parle bien, je « décroche la Lune », évidemment !

Notre travail, c’est « faire en sorte que l’Artiste soit en confiance et qu’il ait tout ce qu’il veut ». S’il faut une machine à hot-dogs pour que Deep Purple soit content, ce n’est franchement pas grand-chose !
Il a fallu parlementer avec un des gars des stands pour qu’il nous prête sa machine à hot-dogs pour Deep Purple le soir-même. Le « mec » ne voulait pas parce qu’évidemment… il vendait des hot-dogs !

On a négocié avec lui, et ça s’est très bien passé !

J’ai même eu une demande de piscine gonflable aussi ! C’est ça qui fait le « bonheur » de ce genre de festivals, je trouve.

On n’a pas ces questions-là à Paris, près des Halles, au Duc des Lombards.
Peux-tu nous dire ce qu’est le Duc des Lombards pour les gens qui ne connaîtraient pas ?

Le Duc des Lombards est un petit club : « grand » par le nom, « petit » par la taille. 

On peut dire que c’est un club mythique…

Pas « mythique », mais c’est l’un des derniers « clubs de la grande époque » qui reste « vivant ».
Le Sunset, le Baiser Salé, le New Morning, et tous les autres que je ne cite pas, ont aussi des histoires incroyables.
C’est un club qui a 37 ans, qui est au coin de la Rue des Lombards et du Boulevard Sébastopol, dans lequel il y a du Jazz tous les jours du lundi au samedi, et des jams. C’est la « maison des artistes », la « maison des jazzmen », dans laquelle on produit des concerts depuis 14 ans.

TSF a été créée par Jean-François Bizot et Franck Ténot. Ne se sachant pas éternels, ils ont fait entrer Gérard Brémond, Patron-Fondateur de Pierre & Vacances et surtout fan de Jazz, dans cette « coalition ».
A la mort de Franck, Jean-François Bizot et Gérard Brémond sont devenus actionnaires. A la mort de Jean-François Bizot, Gérard Brémond est resté notre seul actionnaire. 

A cette époque, Le Duc des Lombards était en perdition. La fille qui tenait le club voulait le vendre.
Gérard Brémond, sans même nous en parler (il nous en parlait mais ça ne nous concernait pas directement), a racheté le club, l’a rénové, l’a refait et l’a relancé.
Deux ans après la réouverture du club, il nous a proposé de trouver des « synergies intelligentes » pour faire des économies. Faire un club de Jazz de 68 places en plein cœur de Paris n’est vraiment pas une sinécure, surtout quand on veut avoir des tournées internationales : entre les taxes, le fait qu’on déclare 1 500 Musiciens par an, etc… c’est un exercice qui n’est pas forcément déficitaire, mais qui a de grandes chances de l’être tous les ans (c’est le cas du Duc des Lombards).

Ça fait donc 14 ans qu’on est entrés dans cette espèce de « synergie » où Gérard Brémond a demandé à TSF de s’occuper de la programmation du club.

Pour résumer tout ça… tu es aujourd’hui Directeur d’Antenne et Programmateur de TSF, et Directeur Artistique et Programmateur du Duc des Lombards…

Voilà, c’est ça.

C’est comme si tu étais Programmateur de deux médias : un « média radio » et un « média club » …

Oui. C’est une synergie géniale parce qu’il y a beaucoup d’Artistes qu’on découvre « en amont » avec TSF. On reçoit évidemment toutes les nouveautés et on est à l’affût de toutes les nouveautés possibles de cette musique. Un des deals que j’ai passé avec Bruno et Gérard Brémond c’était de dire : « Il faut qu’on aille à New-York régulièrement pour voir les mecs… »

Tu es très américanophile aussi…

J’adore les Etats-Unis dans ce que ce pays est foutraque, « bordélique », « merdique », et dans ce que ce pays est formidable !

On a pu aller à New York parce qu’il y avait TSF. Si on avait été Indépendants, ça n’aurait pas été possible. La radio et toutes les activités qu’on avait permettaient de « dégager » suffisamment d’argent pour pouvoir aller à New York tous les trois mois, dans les festivals et aux concerts.
On a donc créé ces liens très forts avec New York et la Scène New-yorkaise, puis avec la Scène Londonienne, et on est allés partout : en Afrique du Sud, à San Paolo, au Brésil et dans plein de pays, pour aller voir ce qu’il s’y passait, et comment on pouvait rencontrer les Musiciens.
Quand tu as un club, c’est quand même mieux quand les « mecs » que tu fais venir t’ont déjà vu en backstage d’un festival à l’autre bout de la planète ! Au bout d’un moment, ils se disent : « Ils sont partout, c’est cool ! Ils font le job ! ». Cela crée un fort lien d’amitié et de confiance. 

On a donc commencé à mettre le Duc des Lombards sur la « carte » des tournées internationales des Américains et des étrangers en Europe. Il fallait que le club soit une « terre d’accueil » pour ces Artistes-là, que les « mecs » se souviennent de la « bouffe dégueulasse » du Blue Note Tokyo ou d’un endroit où ils avaient été mal accueillis, et qu’ils reviennent aux Etats-Unis en se disant : « Il y a un lieu où on n’a pas été payé d’une façon gigantesque, mais où on a été super bien reçus, où il y a un super feeling, où c’est hyper bien et où la Production est nickel ! » … et on a créé Le Duc des Lombards !

Quand on a créé Le Duc des Lombards, j’ai tout de suite exigé de le produire comme si on produisait un concert à la Salle Pleyel ou au Stade de France en termes de contrats, d’accueil, de Production, de riders, …
On produit 250 concerts par an, soit 2 500 concerts produits en 15 ans. Il n’est jamais arrivé qu’un « mec » se retrouve « planté » à l’aéroport sans une « bagnole », qu’il n’ait pas de chambre d’hôtel, que l’argent n’arrive pas en temps et en heure, qu’il n’y ait pas de contrat ou qu’il n’y ait pas de rider

C’est quoi un « rider » ?

Un rider, ce sont toutes les exigences qu’a l’Artiste en termes d’accueil technique et d’hospitalité.
Il y en a des plus ou moins drôles. Celui de Lauryn Hill où il est spécifié « qu’il ne faut pas la regarder dans les yeux » est assez « fun ». D’autres sont de l’ordre du détail : le « mec » est végétarien ou ne mange pas de gluten, et il faut le respecter.

On a toujours fait en sorte de produire Le Duc des Lombards en se disant que si on produit un club de 68 places de cette manière-là, quand on aura à produire de gros concerts, on aura l’exigence et la capacité de pouvoir le faire. J’ai toujours eu envie d’aller plus loin, de monter une espèce de « force d’attaque », de « coalition ». Je suis hyper fidèle aux gens avec qui je bosse depuis 15 ans, qui sont toujours les mêmes et que je n’ai pas du tout envie de « changer ». Avec eux, on grandit, on apprend des choses différentes, et chaque année on augmente le niveau.

Avec cette équipe-là, on s’est dit qu’on pourrait peut-être un jour faire un festival.
On a postulé pour être les prestataires du Nice Jazz Festival (c’était un appel d’offres pour en gérer la Direction Artistique). Contre toute attente, on a été élus parce qu’on était challengers, « tout petits » … et on s’est mis à produire des concerts pour 10 000 personnes… et c’est « fun » !

C’est très intéressant parce qu’en t’écoutant je fais un parallèle avec un invité qui n’a rien à voir avec toi mais qui était derrière le micro de « Sold Out » :  Jean-Marc Dumontet (dans l’humour).
Jean-Marc Dumontet est dans la production médiatique avec Nicolas Canteloup, il a des théâtres (du plus petit : le Point Virgule, aux plus grands comme le Théâtre Antoine), et tout ça « résonne » … 

Oui. C’est important d’avoir un « écosystème » au service des Artistes.

Les Artistes découverts sur TSF, on les passe à l’antenne de la radio et ils sont découverts par le Public.
On a des fois de vrais « coups de cœur » pour des morceaux qui accompagnent l’Antenne et nos auditeurs pendant quatre à six mois. On est contents d’aller voir le « mec » au Duc des Lombards parce qu’on l’a d’abord écouté en disque et qu’on a envie de voir ce qu’il fait sur scène. Au Duc des Lombards ça se passe bien parce que l’Artiste rencontre son Public.

On a monté une soirée annuelle à la Salle Pleyel : « You and the Night and the Music », sur l’idée de « faire un concert » comme on « fait un programme radio » : un groupe joue un et enchaîne avec un autre groupe qui joue un autre morceau (maximum 6 minutes), et on enchaîne…

Techniquement c’est compliqué, mais « ça se pense » et on y est arrivé !
Je le disais, comme on travaille toujours avec les mêmes gens tels que Noëmi Flamen, Directrice de Production et Directrice du Duc des Lombards, Vincent Latapie, mon Directeur Technique, des prestataires et des gens qu’on connait depuis 15 ans, on a tous appris ensemble à faire en sorte que cette soirée puisse exister « comme ça » : de six minutes en six minutes, avec des plateaux qui changent et une espèce de jeu de Tetris sur des risers à roulettes (des plateformes surélevées où on met la batterie, qui peuvent sortir et entrer sur scène, et permettent d’avoir ce type de show).

Dans cette « soirée TSF » vendue en avance et sans programme aux auditeurs qui nous font confiance, on retrouve les Artistes qu’on a écouté à la radio, qu’on a peut-être vus au Duc des Lombards et qu’on retrouvera peut-être au Nice Jazz Festival… Ensuite, les Artistes « font leur vie » !

On a fait ça avec Avishai Cohen, avec Stacey Kent, avec Grégory Porter…
Le premier concert de Grégory Porter était au Duc des Lombards, avec le panneau de sortie de secours « allumé dans sa gueule » : je n’arrivais pas à l’éteindre… [Rires]
Le mec a fait un concert formidable au Duc des Lombards et le talent a fait tout le reste ! On a peut-être juste participé à « accélérer un peu le mouvement ». C’était vraiment l’idée qu’on avait avec le média. C’était aussi l’idée au cœur du projet de Jean-François Bizot qui disait : « On ne doit pas laisser le business nous dicter notre ligne éditoriale. Notre ligne éditoriale doit permettre l’éclosion de nouveaux talents qui doivent pouvoir atteindre un public. Par tous les moyens. »

Tu es l’un des dépositaires de cet héritage…

Je n’ose pas trop dire ça. En tout cas, je pense à lui tous les matins quand je vais bosser. Ensuite, nous créons notre chemin… je n’ai jamais eu la prétention de penser que je pouvais être au niveau de l’exigence qu’il avait.
Ce qu’il nous a appris pendant 7 ans, c’est la liberté ; le fait de dire : « C’est à nous de faire des choix et de nous engager sur nos choix de façon très forte, sans hésitation. »

On pourrait dire beaucoup de banalités sur 2020, l’épidémie, etc… On va essayer d’éviter ça.
Vous, pour le coup, n’avez pas pu tenir cette grosse soirée annuelle à la Salle Pleyel.
Ça s’est transformé en quelque chose de tout à fait inédit : Un soir au club … Tu nous racontes ça ? 

Oui. Passée cette espèce de « période d’hébétement » bizarre qu’on a tous traversé, on s’est tout de suite dit : « Il faut faire en sorte que les Musiciens jouent ! S’il n’y a pas de public et qu’on ne peut pas faire de concert, on n’a qu’à en faire chez nous ! »

On a commencé par « faire » Studio Grands Boulevards : on a convoqué une vingtaine de groupes pour faire des concerts en Live Streaming durant tout le mois de juin dans les studios de TSF.

Si tu m’avais posé une question au sujet du Live Streaming il y a deux ans, je t’aurais dit : « C’est compliqué, c’est cher… ». En « 25 secondes », on a trouvé l’O.B.S. [Open Broadcaster Software] de Facebook pour diffuser en direct avec les caméras, et comment faire le cross-posting de la meilleure façon, etc…
Cette soirée annuelle étant supportée par la SACEM et l’ADAMI, on est allés les voir en disant : « Vous ne voulez pas qu’on fasse 18 concerts à la place d’un au Duc des Lombards ? »
Puis, on a « éclaté ça » en 14 concerts avec les Artistes qu’on voulait accueillir à la Salle Pleyel.

Il y a quand même Mélody Gardot, des nouveaux groupes géniaux comme Léon Phal… C’est très éclectique mais il y a des stars, aussi…

Oui ! Le concert de Mélody était « chouette ». Ibrahim Maalouf est venu « faire un peu de trompette » avec elle.
C’est hyper important de conserver cet éclectisme et d’essayer d’avoir cette espèce de « truc vaste » qu’est le Jazz. Je le disais en introduction : le Jazz est une musique de spécialistes mais c’est aussi une musique qui nous concerne tous, et dont on n’a jamais l’idée qu’elle est « partout, tout le temps ».
Beaucoup de gens disent : « Je n’aime pas le Jazz », mais écoutent TSF toute la journée. Beaucoup de gens disent : « Je n’aime pas le Jazz », mais ont chez eux des disques de Miles Davis, d’Ella Fitzgerald, de Louis Armstrong, de Weather Report, de Keith Jarret… sans savoir qu’ils aiment le Jazz et en écoutent ! 

 « Vous pensez que vous n’aimez pas le Jazz ? On va vous expliquer que vous aimez ça, que vous en avez chez vous, et que vous vivez avec tout le temps… »

Dernière question, « rituelle » dans « Sold Out » : si une jeune personne nous écoute et s’ennuie à son tour sur les bancs de la fac’, ou se demande ce qu’elle va faire en 2021 où « tout est bouché » : on ne sait pas quand les salles vont rouvrir, etc…
Est-ce que tu lui conseillerais de « se lancer dans le grand bain » ? Ce que tu as vécu est-il encore possible aujourd’hui ?

Je pense que c’est possible à partir du moment où vous avez en face de vous des gens qui sont « ouverts ».
 
A la radio, on n’a jamais engagé des gens sur un C.V., on les a toujours engagés sur ce qu’ils étaient capables de faire ou sur le potentiel qu’ils avaient.
Il y a forcément des gens comme nous partout, qui vont voir chez vous un potentiel.

Soyez ouverts, n’ayez pas peur de faire des choses, proposez-en tout le temps, n’attendez pas qu’on vienne vous voir ou qu’on vous « donne des galons » pour vous dire : « C’est bon ! Tu as le droit de faire des reportages. »
Non ! Faites des reportages, proposez des podcasts, envoyez des bandes, des articles… « Bombardez » ! 

Si vous voulez travailler dans une radio, commencez par l’écouter. Commencez par savoir comment elle fonctionne, faites des choses que vous estimez pouvoir « rentrer » dans cette radio, et envoyez-les à la radio. Je vous assure qu’il y a des gens qui vont vous écouter.

On a toujours engagé des gens comme ça. Jamais sur C.V.
On les a engagés parce qu’ils « faisaient des choses ». La meilleure façon de « faire des choses » c’est de « faire de la radio ». Aujourd’hui, « faire de la radio » n’est pas très compliqué : avec un iPhone on peut commencer à faire une émission ! C’est vraiment le « truc » le plus simple du monde, quoi ! 

Merci beaucoup Sébastien !

Merci Marc ! C’était un plaisir ! 

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