Saison 2

S02E06 - Luc Gaurichon, producteur et fondateur de Caramba Culture Live

Luc Gaurichon est le Président-Fondateur de Caramba Culture Live, l’un des plus importants producteurs indépendants de spectacles en France : plus de 1300 concerts organisés en 2019 en France ! Formé avec TéléphoneHigelin et Bashung, il a travaillé avec DepardieuBarbara, Keith Jarrett ou Ray Charles et s’est imposé, aux côtés du légendaire Rémy Kolpa Koboul (« RKK ») de Nova comme l’une des références de la musique Brésilienne en France. Il travaille aujourd’hui avec d’innombrables artistes, dans toutes les esthétiques (chanson, rock, pop, world, jazz, cirque, danse, mime, …). Cet épisode montre -notamment- la passion viscérale de Luc pour l’éclectisme et son amour de l’autre. Une humanité bouleversante qui fait de Caramba Culture Live une référence incontournable en France.

Sold Out Luc Gaurichon Caramba Culture Live

Écoutez l'épisode maintenant

Découvrez la retranscription de l'épisode

SOLD OUT - Saison 2, épisode 6 : Luc Gaurichon

Bonjour, je suis Marc Gonnet. Je suis ravi de vous accueillir pour le premier épisode, en 2021, de notre podcast « Sold Out » : le podcast de Delight.

Aujourd’hui, on reçoit une figure du métier du spectacle vivant, un producteur indépendant.
Quand on lit des articles à son égard, les mots qui reviennent le plus souvent sont « humain » et « éclectique ». Il s’agit de Luc Gaurichon.

Luc Gaurichon, premier billet vendu ?

Ouaw ! Premier billet vendu…

Le premier concert c’était dans ma ville d’origine, à Niort, dans les Deux Sèvres.
C’était un « tremplin pop » que nous avions organisé avec mes camarades de l’époque.
Nous étions dans un magasin de disques qui s’appelait Disco Plus. On vendait évidemment du vinyle. C’était un « tremplin pop » avec le groupe Zoo. On organisait ce spectacle pour une association locale : l’Association des paralysés de France.
C’était mon premier engagement sur un spectacle produit ; c’était vraiment produit par les camarades du magasin de disques et moi-même. C’était en 1972.

Dernier billet vendu ?

Le dernier billet vendu… Je dirais Grand Corps Malade, pour sa prochaine grande tournée sur 2021-2022. 

« Eclectique ». Il s’agit de Luc Gaurichon.

Je suis Luc Gaurichon, producteur et fondateur de Caramba Culture Live.

Bonjour Luc ! 

Bonjour Marc !

On va discuter ensemble dans les minutes qui viennent. Tu travailles, tu diriges, tu as co-fondé Caramba. Je crois qu’en 2019, avec Caramba, il y a eu 1 300 spectacles en France et à l’étranger ; cela fait 3,5 par soir. Je suis sûr que tu les as presque tous vus…

Oui, c’est à peu près le rythme annuel sur ces dernières années. Effectivement, entre 1 200 et 1 500 spectacles, oui. 

Avant que « tout commence », tu étais étudiant en médecine. C’est bien ça ?

Tout à fait, j’étais étudiant en médecine à Poitiers. Enfin… on ne me voyait pas beaucoup à la fac’ !

C’est bien ça que je voulais savoir ! Est-ce que c’était une couverture ou est-ce que c’était une vraie ambition que de devenir médecin ?

C’était une vraie ambition ! J’aurais rêvé d’être médecin de campagne.
J’avais une admiration pour notre médecin à la campagne. Mais bon, il fallait vraiment travailler !
Les premières années en médecine, c’est… « On se farcit » de la biochimie, de la biophysique… Ça n’a rien à voir avec la médecine : il faut juste bosser, « emmagasiner des trucs. J’étais un peu distrait, disons.

Distrait par les disques et par les DJ sets ?

J’étais déjà distrait par la musique en général, oui. 

C’est-à-dire que tu écoutais trop de musique ou, déjà, tu la pratiquais « un peu à côté », en ayant des jobs ?

J’écoutais beaucoup de musique, mais j’étais à la fois DJ à la fac’ et DJ résident dans une « boîte » dans les Deux Sèvres, qui s’appelait Le Moulin du Royou, où j’avais « carte blanche ». C’est-à-dire que je pouvais vraiment « m’éclater », à l’inverse des établissements de nuit de l’époque… Le boss m’avait dit : « tu te lâches, tu fais ce que tu veux ! »

C’était déjà très éclectique comme programmation à l’époque ?

Je travaillais le week-end, surtout. C’était une programmation à la fois soul, R&B du moment et puis… pop.

Forcément, comme tous les DJs, j’imagine que la connexion se fait naturellement avec les vinyles : tu bossais, donc, dans un magasin de vinyles à côté…

C’est ça ! La semaine, je travaillais dans un magasin de vinyles. J’étais vendeur de disques et DJ le week-end. Puis, petit à petit, j’ai monté mon propre sound system comme on disait.
J’avais un camion avec du matériel, et je me baladais dans des clubs. Je ne faisais pas ça tout seul : on était une petite équipe, déjà. On faisait les clubs sur la Côte pendant l’été. 

On allait de « boîte » en « boîte » (je me faisais sponsoriser par une « boîte » de Cognac à côté de chez nous), avec un sound system qu’on montait puisqu’on avait une « sono » très imposante. On déballait ça dans les « boîtes » et on passait de la musique Rock

Il y avait un journal, à l’époque, qui nous soutenait aussi : le journal Extra. 

Ah oui ! C’était déjà presque une petite entreprise, au fond…

Oui, c’était « rigolo » déjà ! On faisait ça en parallèle de la vente de disques. J’ai vite abandonné médecine !

C’est ce que j’allais dire ! Je comprends mieux pourquoi aujourd’hui tu n’es pas interrogé sur les plateaux à propos de l’épidémie ! [Rires] Ça n’a pas duré longtemps cette « affaire » de médecine…

Non, mais je garde de très bons souvenirs, et puis… ça a très vite démarré, ensuite, « au-delà du disque ».
Tout en étant disquaire, je faisais des allers-retours à Paris pour venir chercher des imports. On pouvait recevoir des vinyles par correspondance, mais on aimait bien venir à Paris parce que c’était la capitale.
On aimait bien « venir toucher » : avoir la sensation de toucher l’objet. 

Je me souviens d’ailleurs de mes premiers allers-retours quand je bossais chez Disco Plus, à Niort, chez Laurent Treille, qui était un de mes camarades d’enfance qui avait monté ce magasin de disques.
Je venais, Rue du Cherche Midi, dans un endroit qui était tenu par deux gars qui étaient en blouse grise derrière leur comptoir. La « boîte » s’appelait Wah-Wah Express.

Ça peut être rigolo parce que les deux « gardiens du temple » de la Rue du Cherche Midi et de Wah-Wah Express étaient Pascal Bernardin et Assaad Debs. Inutile de dire que ces deux-là ont fait une grande carrière dans le monde de la filière musicale.

Assez rapidement après, j’ai l’impression que tu es devenu, dans le Centre-Ouest, à Niort, « promoteur local ». C’est ça ? L’interlocuteur des producteurs parisiens, en fait…

Exactement ! En venant à Paris, je prenais les contacts dans les maisons de disques.
Avec le club, on avait des services de promotion à l’époque. Les maisons de disques nous faisaient passer les singles, les titres à soutenir et à défendre. Je n’étais pas très assidu avec leurs titres puisque j’étais plutôt Pop, Rock, Blues, Jazz, R&B, Soul, mais ça m’a permis de rencontrer tout de suite un certain nombre d’interlocuteurs. Tout en faisant les premiers concerts sur Poitiers, sur la région Centre-Ouest et aussi Grand-Ouest (je travaillais jusqu’en Bretagne), j’étais le promoteur local de grands producteurs parisiens, justement : Pascal Bernardin, Albert Koski…
En parallèle, j’ai tout de suite commencé à travailler avec un monsieur qui s’appelle Norbert Gamsohn.
Il était l’agent, en France, d’un grand nombre d’artistes de Jazz

Pour ceux qui écoutent régulièrement SOLD OUT, la première invitée de cette saison 2 était Jackie Lombard.
Jackie Lombard nous avait déjà parlé de Pascal Bernardin et d’Albert Koski : c’est le « milieu du spectacle » en France qui a presque donné tout l’ADN à ce qui est devenu le « spectacle vivant » en France. 

Je pense qu’on parle des pionniers, là. De Jackie Lombard à Pascal Bernardin…
Albert Koski et Pascal Bernardin m’ont tellement appris. J’étais vraiment leur promoteur local, mais pas que dans le département : j’ai vite « agrandi ».
On était déjà très nombreux, à l’époque, dans notre « petite boîte provinciale » comme on disait. On était déjà une « ribambelle » à travailler, à partir sur les routes, à afficher… On était « dans le jus » à l’époque : on était sur le concert dès le matin, on avait la chance de pouvoir participer à tout ce « process » de montage du concert, et d’être là jusqu’à « l’accomplissement » : quand les gens entrent dans la salle et que le concert à lieu. 

Aujourd’hui, c’est un petit peu fini. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts.

Oui… Les métiers se segmentent, en fait. Quand on est producteur de spectacles, on a moins « les mains dans le cambouis » et dans la « réalité » de la séance ?

Malheureusement oui.
J’aimais tellement cette période où nous étions, dès le matin, sur cette préparation, ce montage… le matériel qui arrive dans les salles… les balances, les répétitions… On était, comme tu disais, « les mains dans le cambouis ». Ça me manque aujourd’hui.  

Cette période où tu es « promoteur local », c’est là où tu as tout appris… Est-ce que tu as des souvenirs particuliers de moments un petit peu « dingues », incongrus, que tu as pu vivre en « faisant tes classes » ?

Oui… J’ai eu la chance de travailler avec beaucoup d’artistes Pop-Rock, mais très vite je suis moi-même devenu producteur, dans la seconde partie des années 70.

Dès 1976, à l’occasion d’un concert aux arènes de Poitiers, j’ai rencontré Jacques Higelin. Je suis devenu le producteur des tournées de Jacques Higelin avant qu’il ne vienne chez Albert Koski, chez KCP.
Puis, j’ai rencontré Alain Baschung.

Finalement, à 27 ans, tu es le producteur d’Alain Baschung, de Jacques Higelin, de Téléphone

Téléphone dès le début, oui. Les premières années de Téléphone.

Tu nous racontes ça « calmement », mais pour les gens qui nous écoutent : être producteur de Téléphone, d’Higelin et de Baschung à ce moment-là, c’est juste… inouï, en fait ! 

Oui… Maintenant je veux bien l’imaginer. Je veux bien m’en rendre compte, mais j’aimais tellement ça que je ne m’en rendais pas compte. Dans la même période, à la fin des années 70, je me retrouvais producteur « en nom propre » (mon nom était mis en avant) du Festival de Jazz d’Antibes-Juan-les-Pins.

Oui ! Les « plus grands » sont venus dans ce festival de Jazz…

On les a tous croisés : Keith Jarrett, Oscar Peterson, Sarah Vaughan, Ray Charles, Dizzy Gillespie… et j’en passe. Tous les « grands » du Blues.
Je n’imaginais pas toute la chance que je pouvais avoir à l’époque. C’était quand même tous les « grands » du Jazz, quoi ! Ils ont tous défilé dans ces années 1978-1981 à Antibes-Juan-les-Pins.

Quelques années plus tard (au milieu des années 90), je me suis retrouvé, avec Pascal Bernardin aussi (curieusement), à travers un avis d’appel d’offres, producteur du Festival de Jazz de Nice…

Je voudrais revenir sur cette période.
Je me mets à la place de nos auditeurs et je me demande comment est-ce qu’on passe d’étudiant qui « s’emmerde » un peu sur les bancs de la fac’ de médecine, à « je produis Jacques Higelin, Téléphone, … je dirige le Festival de Jazz d’Antibes, je rencontre les plus grands… »
Une très courte période de temps t’as fait faire un saut inouï, en fait…

Je ne travaillais pas en médecine. J’ai travaillé à l’école avant, un petit peu, mais en médecine je ne travaillais pas. C’était la Musique et, très rapidement, les rencontres avec les artistes.
Entre la sortie de médecine, toutes mes pitreries de DJ etc., je me suis retrouvé très rapidement au contact d’un certain nombre de grands artistes.
La différence fondamentale, c’est qu’à ce moment-là on était en contact direct, amical, convivial. Ce n’était pas un producteur qui rencontrait un artiste, c’était « une bande » autour d’un producteur qui rencontrait « la bande » autour de l’artiste.
Je me souviens de contacts formidables et de moments passés avec Téléphone, avec Higelin… Je pense que ce sont de grandes rencontres qu’on a du mal à renouer aujourd’hui. C’est un peu différent. Le métier a tellement changé au niveau de la structure, au niveau administratif, etc.
On n’a pas cette fluidité qu’il y avait avant quand on était au contact personnel, direct, amical avec l’artiste.

En fait, c’est l’Humain qui a fait la différence…

Tout à fait ! Les échanges de cette période, c’est très rare de les retrouver.
Effectivement, les artistes sont « structurés » différemment aujourd’hui : le management (qui existait déjà), les avocats… Le métier, surtout, a changé.

Tu le regrettes ?

Je m’adapte.
Effectivement, je regrette tous ces contacts et le temps que nous avions : le temps disponible pour aller profiter du terrain de jeu extraordinaire qui était sous nos yeux.
 
Tout à l’heure, tu me parlais d’anecdotes…
J’ai produit un artiste, pour plusieurs dates, qui s’appelle Jerry Lee Lewis. J’avais organisé, à l’époque avec la Ville de Paris (je pense que c’était à la fin des années 80), à la Halle Carpentier (une ancienne salle de boxe), avec un monsieur qui s’appelait Alain-Michel Grand… La Halle Carpentier nous avait été mise à disposition. Il avait fallu l’aménager, la « mettre en route ».

Arrive le jour du concert. Evidemment, on avait signé les contrats et envoyé 100 % d’avance à Jerry Lee Lewis, à son management, etc… Entre l’avion qui le menait de là où il était aux Etats-Unis vers New York : tempête, retard d’avion… Il a fini par prendre le Concorde. Le Concorde est parti de New York au moment où on ouvrait les portes de la Halle Carpentier. Inutile de te dire que j’ai « pissé dans mon froc », là !

Bref, le concert a eu lieu. Il a fallu meubler. Entre 20 heures et 23 heures, des groupes se sont succédés sur scène. Il y avait beaucoup de monde dans cette Halle Carpentier : 4 000 à 5 000 personnes. On se faisait insulter, « canarder ». C’était la grande époque où les bouteilles de bière « volaient » vers la scène ! 

De temps en temps, je prenais la parole en disant : « ne vous inquiétez pas, il ne va pas tarder ! »
La Ville de Paris avait mis à notre disposition une escorte de C.R.S. ; on est allés « chopper » Jerry Lee sous douane pour qu’il passe très vite, mais il ne voulait pas venir : il voulait sa valise ! Il voulait être sûr que sa valise suive ! Je lui dis : « mais attends bonhomme, les gars sont dans la salle depuis trois heures ! »
Il n’en avait rien à faire ; il fumait sa pipe à l’intérieur de l’aéroport.

Finalement, on a réussi à « l’acheminer ». Il est monté sur scène à minuit, quelque chose comme ça.

Les gens étaient heureux à la fin ?

Il a fait un concert incroyable ! Il y a un film qui a été tourné d’ailleurs, il existe ! 

Autour de cette soirée-là ?

Jerry Lee Lewis en 1989 à la Halle Carpentier, oui.

Je crois que tu as travaillé avec Gérard Depardieu et Barbara…

C’était pour Albert Koski, effectivement, dans les années 1985 – 1986.
Il y a eu cette « pièce » incroyable : Lily passion, écrite par Barbara. Les deux « monstres sacrés » - Barbara et Gérard Depardieu - sur scène, sur une longue tournée. Une belle tournée et un long passage au Zénith.
J’étais sur la tournée. J’adorais les deux, et j’ai presque demandé une dérogation du travail de bureau pour être sur la route ! Je ne vais pas raconter toutes les « histoires sur la route » parce que, quand même… Barbara était la plus sage des deux !

On l’imagine assez aisément !

Je vous épargne les détails avec cet « olibrius » de Gérard Depardieu…
Chaque soir, il y avait le « cérémonial » : on débriefait du concert qui venait de s’écouler, on accompagnait Barbara, on allait la border… Elle me faisait promettre qu’on allait « sagement » rentrer se coucher.

En fait, on était là, avec Gérard Depardieu et son beau-frère œnologue… Parfois on se retrouvait avec Jean Carmet. Vous imaginez qu’on allait se coucher après le concert ?
Chacun rentrait dans sa chambre, mais quelques minutes plus tard il y en a un qui sonnait le « rappel ». Tout le monde se retrouvait dans le couloir et c’était parti pour faire de grandes fêtes, quoi ! 

Voilà…

A la même époque, tu as rencontré Rémy Kolpa Kopoul, de Nova, où tu le connaissais.
Toute la musique brésilienne était aussi quelque chose de très important pour toi…

Oui, Rémy c’est… [Sanglots] Pardon… C’est une partie de ma vie en fait… [Silence et sanglots]

Rémy Kolpa Kopoul c’est une dizaine d’années passées…
Quand Rémy a quitté Libération et avant qu’il n’entre à Nova, il était chez moi, dans le « 14ème ».
Il était là, quoi ! Il me parlait de toutes ses amours brésiliennes : Joao Gilberto, Caetano Veloso, Joao Bosco, Marisa Monte, etc. Toute la grande musique brésilienne de ces années-là.

Finalement, je lui ai dit : « écoutes, puisque tu es libre, tu vas être l’ambassadeur de Caramba au Brésil »
Rémy faisait des allers-retours entre Rio et Paris. Il nous ramenait « les grands artistes » du Brésil.
Dans cette décennie-là, on a « fait » les plus grands artistes brésiliens. On les a quasiment tous « fait »s. J’exagère un peu, mais on a monté cette grande tournée avec Joao Gilberto, Caetano Veloso et Joao Bosco, les trois réunis. On a fait un concert à Paris, dans le Jardin des Tuileries… totalement improbable !

Je m’en souviens, j’étais sur la route avec eux…
Joao Gilberto était un personnage assez curieux à suivre, et difficile. En plein été (on était dans des vans), il avait un manteau en espèce de « fourrure » sur lui ! Pas de clim’, rien ! On « crevait de chaud » dans cette bagnole !

Il fallait supporter un certain nombre de choses.
Je me souviens que, chaque jour, c’est comme s’il remettait en question, pour des raisons de coquetteries (pas uniquement financières), le concert d’après.
Il faisait des « conseils de famille » puisqu’il était suivi par son fils, son neveu, son psy… Tout le monde était là, sur la route avec lui.
Il nous réunissait dans sa chambre d’hôtel après les concerts pour voir le programme d’après. Tout ce qu’on avait préparé, en général, on le jetait et on recommençait. On se remettait en question chaque jour !

Je me souviens d’une soirée à Madrid, où il a dit : « Non, non… Je ne pourrai pas jouer demain à Carcassonne ». On devait se rendre à Carcassonne en passant par Barcelone. Il n’y avait pas de « jour off », pas de relâche entre les deux. Nos vans étaient prêts à partir (il y avait un bus-van, etc…) et Joao Gilberto me dit : « Non, non… Demain, je ne pourrai pas jouer à Carcassonne. La voix, ça ne le fait pas, quoi ! »
Je suis resté dans leur chambre jusqu’à cinq ou six heures du matin, à parler de tas de choses. Rémy n’était pas là ce jour-là. On n’était pas au même endroit en tout cas.
 
Au petit matin, je rentre dans ma chambre, désespéré. Je prends une douche. Puis, on frappe à ma porte…
Son neveu vient me voir et me dit : « écoutes, Joao va un peu mieux. Il veut bien te parler à nouveau. »
On sortait de quatre à cinq heures de palabres, et me voilà de retour dans sa chambre. Au bout de trois heures (c’était déjà l’heure du petit déjeuner), il me dit : « bon… on peut aller à Carcassonne ! Je suis d’accord, on va à Carcassonne ».

En fait, il m’a testé pendant toute la nuit !

Oui… Si tu n’étais pas resté cette nuit-là, il n’y aurait pas eu « Carcassonne » …

Non… mais c’est toute la magie du spectacle !
De ces souvenirs un petit peu tendus, les émotions restent. On a fait plein de pitreries du genre avec Rémy. On a monté aussi toute une tournée qui était à l’image de ces grands camions qui « suivent les matches de foot » au Brésil : ce qu’on appelle un trio elétrico. 

On en a monté une réplique, qu’on a fabriqué en France. Ce sont quand même de « sacrés bestiaux » ! C’est comme un « semi » ; un gros camion.
On avait mis un sound system dessus : il y avait 80 000 Watts de part et d’autre. Le camion était bourré d’amplis et de « son », avec une plateforme dessus où les groupes se produisaient (et parfois des danseurs). 

On a pris des « brésiliens du Brésil » (je ne me souviens plus des gars de l’époque qui étaient montés sur ce trio elétrico), et on a fait une tournée sur la Côte Atlantique.
On avait ce trio elétrico qui faisait les stations estivales. Tout était gratuit. Le trio elétrico arpentait la ville, il était suivi par la foule et ça jouait dessus. C’était une grande fête !
On les emmenait jusqu’au port en général, et ça se terminait par une grande fiesta sur le port. Tout le monde dansait… c’était magnifique, très drôle !

Puis, le lendemain, on repartait. Il y avait un « jour-relâche » entre les deux parce que le convoi était un peu lent. Le « convoi » ou ce qu’il en restait, parce que chaque jour ça « déglinguait de tous les côtés » ! C’était une formidable expérience !

On parle de Téléphone, d’Higelin, de Baschung, de musique brésilienne, de Barbara, de Depardieu, de Jazz… Tout ça, évidemment, nous amène à « l’éclectisme » :  le fait de ne pas choisir une esthétique, mais d’embrasser toutes les esthétiques. C’est peut-être ce qui te caractérise le plus et ce qui caractérise le plus Caramba

Oui, tout à fait ! Caramba est devenue Caramba Culture Live pour signifier cette diversité qui nous caractérise. C’est comme une « agrégation de courants musicaux », incarnée par des personnes.
Je peux citer Claire Hénault pour des esthétiques de musique caribéenne ; pour tout ce qu’on appelle les musiques du Monde, la World, etc. avec des artistes magnifiques : Chucho Valdes, pour n’en citer qu’un. 

Laurent Castanié travaille aussi à nos côtés. Lui est plutôt « dans les artistes anglo-saxons ». Il s’est occupé aussi, pendant des années, de Christophe qui nous a quitté cette année.
Laurent fait partie de cette agrégation de projets avec des artistes anglo-saxons, de Dropkick Murphys à Marillion, mais aussi Didier Wampas.

Je peux citer aussi un pôle qui s’appelle Good Morning, qui fait partie de Caramba Culture Live.
Good Morning, c’est « le spectacle » en opposition à la chanson, à la musique. Ce sont plusieurs cirques québécois : Eloize, le Cirque Alfonse ; ce sont les russes du Slava’s SnowShow

Pour les gens qui n’ont pas vu Slava, tu peux le décrire en quelques mots ?

Slava, c’est le grand maître du mime en Russie. C’est un show qui, vraiment, touche absolument tout le monde : des enfants à partir de sept ans jusqu’aux séniors. C’est vraiment un show extraordinaire !

En fait, Caramba c’est aussi une agrégation de talents dans la coulisse.
Tu as cité Claire et Laurent… Il y a d’autres personnes, comme ça, qui sont « importantes » ? 

Plus récemment, c’est Jean-Hervé Michel (de Nueva Onda) qui nous a rejoint, avec un « catalogue » (je n’aime pas ce mot ! Je me mets une baffe, tiens !), avec un certain nombre d’artistes magnifiques : Delgres, J.P. Bimeni, et beaucoup d’autres…

Tu ne m’as pas complètement répondu sur cet amour viscéral de l’éclectisme.
Pourquoi, finalement, aller dans toutes ces directions sans jamais choisir ? Parce que « le beau est partout » ? 

Parce que je pense qu’on peut avoir un coup de cœur pour quelqu’un qui fait du mime (en France, récemment, Julien Cottereau, qui nous a rejoint et qui m’a beaucoup touché, vraiment), et on peut aussi aimer la Chanson Française ! On peut aimer toutes ces esthétiques-là.
De la même manière, j’aimerais bien aussi qu’on ouvre à la danse parce que ça me touche beaucoup. 

Laurent l’a déjà fait dans le passé avec Pietragalla, mais on ne ferme pas la porte côté danse !

Je crois qu’un jour tu as dit : « le métier de producteur de spectacles implique la nouveauté et le mouvement ». J’ai l’impression qu’en 2020, dans cette année improbable, et pour 2021, ça n’a jamais été aussi vrai…

Cette année est particulièrement grave pour toutes les filières musicales.
Je pense qu’il s’agit, effectivement, d’avoir cette capacité, cette agilité à imaginer le futur, à revoir un petit peu nos marques. 

Je dois dire qu’aujourd’hui, dans une période aussi inédite, j’ai la chance d’être entouré par des femmes et des hommes au sein de Caramba Culture Live, qui m’aident vraiment à réfléchir et à avancer sur ce que nous pouvons imaginer pour le futur.

Quand tout est « en panne », quand tout est à l’arrêt, on peut se poser des tas de questions. Des gens restent « sur le bord de la route » aussi. Notre rôle, c’est d’être attentifs à tout cela…

Parmi toutes ces personnes qui t’entourent, il y en a une qui compte particulièrement : c’est ta fille, Charlotte, qui est à la Direction Générale, maintenant, de Caramba.

Charlotte est à la Direction Générale de Caramba depuis trois ou quatre ans.
Elle n’arrive pas « au bon moment », en fait. Nous, on a connu les grandes et belles années.
Ces années-là sont beaucoup plus difficiles. Je pense qu’elle est courageuse. Elle se repose sur des personnes de talent autour d’elle, et je pense qu’elle a la niaque !

Vous avez tous la niaque dans cette « boîte de prod’ » indépendante !
Finalement, alors que vous auriez pu vous « mettre en boule » et attendre que ça se passe, j’ai l’impression que vous aimez aussi vous mettre en danger et regarder devant.
« Vous battre » contre les autres pour arriver à signer des artistes. Vous projeter, finalement.

Il s’agit de se projeter, bien entendu, mais en ce qui me concerne je suis meilleur quand je suis en danger. En revanche, je ne parle pas de la filière musicale dans son ensemble qui est quand même totalement à l’arrêt. C’est un drame ! On n’est pas du tout entendus par le Gouvernement. Il y a des aides, certes, mais qui viennent aider (je parle du chômage partiel, etc.) l’ensemble des professions à l’arrêt : cafetiers, restauration, évènementiel, etc… Les théâtres, le Cinéma… Tout le monde est à l’arrêt !
C’est un véritable drame.

Ce qui nous rend un peu fous, c’est cette espèce « d’illisibilité ».
Notre métier réclame de l’anticipation. On a besoin de travailler en amont. On a besoin de prévoir. On ne peut pas travailler à court terme.
On avait programmé sur novembre et décembre un certain nombre de concerts et de spectacles (pour ce qui nous concerne, je pense qu’il y en avait 150 et peut-être plus), et d’un seul coup on nous dit : « non, vous ne pouvez plus les faire ! ».

Je ne vais pas rentrer dans cette polémique : ce n’est pas très intéressant, mais c’est quand même un drame !

C’est quand même encore le moment de prendre des risques, là, pour la suite ? 

Je n’ai pas peur de ça. Pas du tout. Je pense qu’il faut construire. Il faut continuer dans l’éclectisme. Comme je le disais tout à l’heure, on est aussi sur les festivals. On est partenaire d’un festival côté mer d’Iroise : Les petites folies. On est partis il y a trois ans sur ce festival, et on continue.
On essaie de trouver de nouvelles esthétiques à développer. 

Luc, on arrive à la toute fin de ce podcast.
Aujourd’hui, est-ce que tu penses qu’une jeune personne qui est très sensible à l’Humain et qui aime prendre des risques peut encore avoir cette vie inouïe et entrer dans ce « milieu » du spectacle ?

Il faut mettre en avant l’humanité et le côté relationnel, même si c’est de plus en plus complexe par rapport aux strates et aux obligations administratives.
Préservons-nous du temps pour des parenthèses d’échanges, pas uniquement en direct avec les artistes – ce n’est pas si facile – mais avec les entourages d’artistes : les gens qui les accompagnent, toutes ces personnes à leurs côtés, que ce soit « sur la route », à la technique, chez les labels… tout l’environnement des artistes.

Il faut être très attentifs et continuer à échanger. De ces échanges-là peuvent naître des nouvelles idées et des rapprochements. Si on aime la musique, si on aime les artistes, je pense que tout est permis !

Merci Luc !

Merci à toi Marc !


TOUS LES ÉPISODES