Saison 2

S02E03 - Corinne Mimram, Directrice Artistique de La Cigale

Bienvenue dans ce 3ème épisode de la saison 2 de SOLD OUT ! Nous tendons aujourd’hui nos micros à la discrète Corinne MIMRAM qui fait vivre La Cigale depuis…1987 ! La programmatrice et directrice artistique de ce lieu mythique partage son point de vue dans Sold Out : pour elle, ce que l’on vit dans une salle de spectacles ne peut pas se vivre devant un écran, et chaque minute de cet épisode passionné le prouve. Et n’oubliez pas, SOLD OUT revient de plus en plus souvent : on se retrouve désormais tous les 15 jours, le jeudi ou le vendredi ! Bonne écoute <3 N’hésitez pas à nous envoyer vos commentaires sur nos réseaux sociaux ou notre site delight-data.com

Sold Out Corinne Mimram La Cigale

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SOLD OUT - Saison 2, épisode 3

Corinne Mimran, la cigale qui programme tout l’été… et le reste de l’année

Notre exploration des coulisses du monde du spectacle vivant se poursuit, avec toujours comme ligne directrice l’idée de donner la parole à celles et ceux auxquels on tend rarement le micro… et qui ne le demandent pas forcément. Des métiers méconnus, des lieux ou des genres mal identifiés, des impacts majeurs passés sous silence, c’est ce qui nous motive à SOLD OUT, le podcast de Delight.

Ce troisième épisode de la saison 2 de SOLD OUT se penche sur la profession de programmateur d’une salle, une fonction qui est plus souvent associée à l’univers de l’informatique qu’à celui du spectacle. C’est en l’occurrence une programmatrice qui s’est prêtée au jeu des questions-réponses avec Delight. Corinne Mimran est programmatrice de la Cigale à Paris depuis 33 ans, une longévité à faire pâlir le pape lui-même. Pour elle, pas besoin de solutions data ou de ciblage culturel pour fixer son calendrier artistique. C’est à son intuition qu’elle se fie lorsqu’elle programme Ed Sheeran un an avant qu’il n’explose sur les réseaux sociaux. Son meilleur outil de fidélisation des spectateurs pour la Cigale, c’est sa vision de son rôle et de l’identité de cette salle mythique de Pigalle. Pas besoin de CRM pour salle de concert, sa boussole, ce sont ses contacts forgés depuis longtemps mais aussi, tout simplement, son jugement sur ce qu’elle écoute et le sentiment que cette musique pourra plaire au public de sa salle. Un travail de dentelle, de fourmi, pourrait-on dire. Cap sur la Cigale…

Episode 3 – Corinne MIMRAM

Directrice artistique et programmatrice depuis 33 ans de La cigale, salle de spectacle située boulevard de Rochechouart (Paris 18ème)

Enregistré dans les bureaux de Delight à Paris en octobre 2020

SOLD OUT, c’est tous les 15 jours un nouvel épisode en fin de semaine, le jeudi ou le vendredi, pour interroger celles et ceux qui font le spectacle vivant mais depuis la coulisse.

Et d'ailleurs, aujourd'hui, c'est exactement le portrait-robot de Corinne Mimram que l'on reçoit. Peut-être que vous ne connaissez pas encore ce nom mais Corinne est là depuis tellement longtemps, depuis plus de 30 ans à la Cigale. Elle en est la directrice artistique et la programmatrice, elle a des points de vue extrêmement intéressants et parfois même fascinants sur l'évolution de ce secteur, sur la manière de recevoir.

Corinne Mimram, 1er billet vendu ?

10,000 Maniacs avec Alain Lahana, mais surtout Michel Jonasz en janvier février, deux mois complets de Michel Jonasz.

Dernier billet vendu ?

Le dernier billet vendu ? C’est le 11 mars, Nada Surf, le dernier concert qu’on ait fait… coupé en deux, on a fait deux séances.

Je m'appelle Corinne Mimram je suis directrice de la programmation de la Cigale depuis 1987.

Bonjour Corinne, bienvenue dans SOLD OUT. Tu es une des personnes les plus discrètes de ce milieu on ne sait pas très bien qui tu es et pourtant, tu es directrice de la programmation de la Cigale, c'est bien ça ?

Oui, mais c'est pour ça aussi que je suis discrète, puisque je suis là pour faire de la programmation et pas pour me montrer.

Tu m'as dit un jour « j'ai épousé ce métier mais j'ai pas épousé ses us et coutumes ».

En fait, je me suis rendu compte assez vite que ce n'était pas dans les cocktails qu’on faisait des affaires, donc je ne vais pas forcément dans les cocktails. Je ne suis pas une picoleuse donc je reste discrète. Et puis les gens, c'est à eux de se mettre en valeur, ce n'est pas moi qui dois être mise en valeur, ce sont les gens qui viennent à la Cigale.

Tout a commencé à la Cigale il y a presque 33 ans, en 87. Mais avant cela, tu as eu quand même une carrière un petit peu ailleurs, dans l'audiovisuel on pourrait dire puisque je crois que tu as commencé dans le film publicitaire, c'est ça ?

J'ai commencé dans une boîte qui s'appelait 1/33 Productions. J'ai fait des films avec Jean-Pierre Jeunet, Luc Besson… Je lui ai fait faire son premier film de pub, c'était pour Dim. Ça m'a amenée à rencontrer d'autres gens forcément, et je suis arrivée dans le clip où j'ai rencontré Fabrice Coat pour Program 33.

Mon Dieu, c'est comme ça que ça s'est passé. Fabrice Coat, qui était aux Bains Douches déjà à l'époque ?

… qui était tout à fait aux Bains Douches. il fermait les Bains Douches, ils en avaient marre de la nuit donc ils ont commencé à faire des clips. Ils ont ouvert aussi, avec son associé Jacques Renault, Corrida, où ils faisaient des concerts aux Bains Douches. Program 33 faisait son premier clip, en 35 mm, il fallait une directrice de production du 35 mm – oui je sais, c'est une autre époque (rires)

Y a des vraies pellicules, des ciseaux…

Voilà, comme ça… et on avait fait Epaule Tattoo premier film…. Je suis même dedans.

C'est vrai, tu es dans ce clip ?

Oui, toute l'équipe était dans ce clip, avec Philippe Gautier.

Raconte-moi tout, tu étais figurante ?

Oui, mais bon surtout j'ai été dir. de prod. Et après, on a enchaîné avec Mondino C'est comme ça et puis, à force de faire des clips, Program 33 ont acheté La Cigale avec Corrida, Jacques Renault et on s'est installé dans les murs de la Cigale. J'étais toujours directrice de production et puis, un jour, on m'a dit « mais tu veux pas faire la programmation de la salle ? ». Euh ben, j'ai répondu que je ne savais pas. Forcément, j'avais 23 ans, je ne savais pas. « Ben justement, tu sais pas… On ne peut pas payer quelqu'un qui sait, alors tu vas venir avec nous dans l'histoire ».

Tu étais morte de peur ?

Oui, mais c'était génial ! Quelle aventure, monter une salle en 87 à 23 ans.

C'est le début de tout pour La Cigale, ça a été vraiment un changement d'époque pour la Cigale.

Ah ben là on a réouvert, les travaux ont été faits par Starck. On a réouvert avec Jacques Renauld et Fabrice Coat à la direction.

C'est une première partie de travaux, c'est ça ? C'est là où la Cigale acquiert l'âme qu'elle a encore aujourd’hui ?

Ah oui, tout à fait ! On a inauguré avec les Rita Mitsouko qui ont toujours fait La Cigale à tous les albums. Ce sont nos amis.

D'ailleurs il y a plein d'artistes comme ça à La Cigale, il y a plein d'artistes qui sont des amis de la Cigale et qui reviennent à chaque fois dès qui peuvent dans cette salle, à chaque nouvel album, même si entre-temps ils ont énormément grandi, non ?

Eh been tout à fait (rire).

Ah, tu as préparé tes petites notes (rires).

J'ai mes chouchous qui reviennent tout le temps. No One, FFS, Delerm, Oxmo, Ibrahim Maalouf, Thomas Fersen… J'ai des petits habitués comme ça que j'aime beaucoup recevoir.

Ce sont vraiment des gens pour lesquels, même si entre temps ils sont devenus énormes et qu’il y a eu des gros, gros succès, La Cigale est un passage obligé dans une tournée ou dans le lancement d'une aventure ?

Tout à fait ! Et en plus ils ont fait des enfants… les Rita Mitsouko, ils ont fait Minuit. C'est le groupe des enfants de Catherine et Fred.

C'est génial ! Et eux aussi passent par la Cigale…

Eux aussi. Et Hollysiz, fille de Jean-Pierre Cassel. Jean-Pierre Cassel avait fait la Cigale, évidemment. M, avec Louis, qui avait fait la Cigale également… Louis Chedid évidemment. Oh là là, il y en a plein de ces bébés Cigale. On les appelait les bébés Cigale (rires).

Mais il n'y a pas que les Français, parce que je crois qu'il y a un artiste qui adorait la Cigale, tu en parles parfois, c'est Prince, qui a fait lui-même La Cigale dans le cadre d'un truc pour son fan club, je crois, en 2009… et qui d'ailleurs avait respecté le couvre-feu.

Prince est venu deux fois, une fois pour voir Ana Moura.

C'est ça, il s'était fondu dans les spectateurs.

Totalement discrètement. Il était même habillé en rouge ce jour-là donc on ne le voyait pas dans les fauteuils rouges. C'est vrai, c'est une vanne mais c'est vrai ! (rire) Et après il est venu faire la Cigale il a fait un set incroyable, incroyable. Mais on l’a su la veille pour le lendemain surtout, ça c'était formidable.

Jackie Lombard nous en parlait dans un précédent numéro. En fait Prince, il se décidait la veille pour le lendemain et boum, il fallait tout monter.

Oui, mais c’est aussi ça le spectacle, on sait faire, nous ! On peut tout monter comme ça en un jour.

Et à l'époque, je crois qu'il montait normalement sur scène à 22h, mais vraiment à La Cigale, c'est impossible.

Ah non, ça c'est pas possible puisqu'on a un curfew de 22h30 !

Vous avez inventé le couvre-feu avant tout le monde…

Oui, moi je suis habituée au curfew depuis 33 ans, et qu'on respecte évidemment pour nos voisins chéris.

Oui, c'est ça, à La Cigale, tu ne joues jamais après 22h30.

Non. Et d'ailleurs, il y a plein de gens qui n'y croient pas (rires). A chaque fois, ils pensent qu’ils sont rentrés à 3 du mat parce qu'ils ont passé une soirée extraordinaire et on me dit « mais non, mais moi ça a fini beaucoup plus tard ». Mais non, 22h30 depuis 33 ans.

Est-ce que toi, tu t'es déjà posée en te disant « ça fait 33 ans que je suis là à la Cigale, que je fais la programmation », pour te demander ce qui avait changé ou ce qui était en train de changer profondément ?

Le métier a totalement changé. Au départ en 87, il y avait une dizaine de producteurs qui étaient des tout jeunes producteurs, ton ami Alain Lahana, il était tout jeune, Jules Frutos, Jackie Lombard, Gérard Drouot. Il y a 30 ans, des tout frais et ce métier qui était fait par des indépendants des la One again ( ?), puis c'est devenu professionnalisé, on a été racheté - enfin pas nous, pas encore… - par des gros groupes. Nous, on a été racheté par un petit groupe indépendant, Because, mais il y a plein de de producteurs qui ont été rachetés par des gros groupes.

Et donc, en quoi ton métier quotidien de programmation a changé ? C'est ça qui est intéressant en fait parce que j'ai l'impression que tout change autour mais que ce métier reste un métier très humain en fait…

Mon métier, il n'a pas changé. Il a beaucoup évolué depuis qu'on ne vend plus de disques, puisqu'on fait beaucoup plus de scène, mais il n’a pas tellement changé au quotidien.

Alors c'est quoi au quotidien concrètement le job de programmatrice ? Parce que ça fait partie de ces mots magiques : ah oui, programmatrice, mais on ne sait pas exactement ce que ça veut dire.

Alors il y a un côté pas très joli, parce que c'est un business. Moi, j'aime bien garder le côté un peu fleur bleue des gens qui pensent que c'est formidable, qu'on est tous amis et tout ça. Mais bon, à la base c'est un business. Je vais vous le dire : c'est une capacité et donc une vente de billets et donc un artiste vaut une capacité de salle, une jauge. C 'est triste (rire).

Et donc ton boulot, c’est d’avoir le pif de savoir ce qu'il vaut comme capacité et pour lui proposer la jauge adéquate ou en même temps si quelqu'un veut une plus grosse jauge, essayer de privilégier quelqu'un-là, c'est ça ?

Alors non, malheureusement non.

Je caricature un peu…

Ce sont des producteurs qui jugent la jauge, c'est leur métier de dire « là je vais gagner mais là je ne vais pas gagner ». Si je fais un Cigale et que je ne la remplis pas, je ne peux pas me permettre de faire un Bercy, ça on est bien clair. Et c’est sur des Bercy qu’ils gagnent des sous, ce n'est pas sur des Cigale. Donc mon métier, c'est d'être un peu psy, de les accueillir, d'écouter tout le monde, d'écouter aussi ce qu'on me propose comme artistes, parce que même si ce n'est pas que pour me faire plaisir, c'est surtout pour faire plaisir aux gens que je fais de la programmation, j'ai besoin aussi de savoir de qui je parle et quand on vous demande, six mois ou un an à l'avance, et qu’on vous propose un artiste, vous ne savez pas forcément qui c’est. Ed Sheeran, on m'a dit « ben tiens, je vais prendre des dates pour Ed Sheeran ». Personne ne savait qui c'était, Ed Sheeran. Bon, ben j'ai écouté, j’ai dit oui et puis finalement j'ai bien fait, hein.

Attends, c'est hyper intéressant, parce que donc quand tu nous a dit tout à l'heure c'est d'abord un business, ça ne veut pas dire que tu dis oui à tout en mode parking souterrain : je rentre, j'ai une carte bleue, je viens, je prends une place. Ce n'est pas ça en fait, tu dois quand même faire un lien entre la ligne artistique de la salle et ce qui va rentrer dans les caisses.

C'est exactement ça. Moi, je ne suis pas intéressée au billet vendu, je ne suis… vraiment pas du tout intéressée au chiffre d'affaires. En revanche, ce qui m'intéresse, c'est d'avoir une salle pleine. Une salle vide, ça ne m'intéresse pas, même si on me paye trois fois le prix de la salle, je n'ai aucun intérêt à avoir une salle vide. Moi, ce qu'il me faut, c'est que les gens soient heureux, viennent et qu’il y ait de la vie dans ce théâtre.

Généralement, ce genre de salle que les producteurs louent pour y produire leur propre spectacle, dans le métier on les appelle parfois des « garages », et c'est assez péjoratif. Du coup tu es en train de nous expliquer que ce n'est pas si simple que ça au fond, parce que vous, même si vous n’êtes pas intéressés directement à la vente, il est hyper important de montrer que votre salle continue à attirer du monde, c'est ça ?

Mais bien sûr ! Et puis la salle, pour qu'elle fonctionne, il faut justement qu’il y ait du monde, que ça intéresse, qu’il y ait de la promo, qu'il y ait les journalistes qui en parlent. Sinon eh bien oui, c'est un garage mais personne ne vient.

Enfin, soyons concrets : est-ce qu'il t'arrive de dire non ?

Oui, mais ne me demande pas à qui (rires).

C'est très contre-intuitif. Même dans une salle qu'on loue comme ça et qui n'a pas elle-même de billetterie, il y a au fond quand même une ligne artistique ou une ligne de programmation.

Ah ben oui, tout à fait ! Quand Jacques Renault et Fabrice Coat m’ont donné les clefs de la maison, ils m'ont dit « ton objectif, c'est dans les 2000, tu me fais un petit Olympia ». Ouais, c'est pas mal réussi, on est un petit Olympia.

Un petit Olympia, ça veut dire de la diversité, ça veut dire qu'il n'y a jamais un seul genre ou une seule esthétique, c'est ça que ça veut dire ?

Tout à fait, parce qu'il en faut pour tout le monde. Moi, je n'aime pas forcément Johnny Hallyday, mais quand je vois ce qu’il s'est passé autour de cet artiste, ben d'un seul coup je trouve que le mec est formidable quand même. Et j'apprends. J'apprends comme les autres. Tout ça, c'est du feeling.

C'est pour ça que, parfois, on peut dire oui à de la boxe.

De la boxe, de la danse, des projections, des défilés de mode, des conventions, des dîners. J'avais fait les 60 ans de monsieur Darty.

Et alors, c'est vrai que, tu es programmatrice la Cigale mais il y a d'autres programmatrice à Paris. On a l'impression que vous êtes un gang de femmes qui programment des salles iconiques.

C'est assez nouveau. Je viens de me rendre compte qu’à l'Élysée Montmartre Trianon, il y avait Christelle, Yvette ma copine à l'Olympia, Florence au Bataclan. A priori, les femmes, on commence à avoir notre rôle dans le spectacle. Je te rassure, il y a 33 ans, on n'était pas nombreuses.

Tu étais sans doute toute seule.

Oui, mais ça c'est vachement bien parce que c'est un milieu de mecs et j'adore ça (rires).

Est-ce que concrètement tu penses qu'aujourd'hui des jeunes gens qui veulent rentrer dans ce milieu, des jeunes femmes ou des jeunes garçons, ont encore leur chance ou que c'est beaucoup plus normalisé qu’autrefois ?

Ah non, c'est beaucoup plus normalisé. D'ailleurs il y a des écoles. Moi, je n'ai pas fait d'école pour devenir programmatrice, on m'a serré la main, on m'a dit « vas-y, je te donne une salle, essaye de jouer ». Bon, c'était une autre époque. En même temps, quand je faisais du cinéma, c'était pareil. Je suis rentrée stagiaire, j'ai dit « je veux travailler gratos » et je suis rentrée dans une boîte gratos.

Mais ça existe encore ça quand même aujourd'hui, non ?

Mais non ça n'existe plus, puisqu'il faut une convention, même pour un stage. [Mon métier] c'est principalement de l'accueil, alors on dit que c'est du garage. OK, mais l'accueil, c'est un métier, monsieur. Il faut savoir accueillir, faire plaisir aux gens, qu’ils se sentent bien, qu’ils aient l’impression que tout va rouler. Et tout va rouler. Et d’ailleurs, tout a toujours roulé.

Une salle de spectacle, c’est en perpétuelle évolution, il y a tout le temps des travaux.

Tout à fait. Des travaux depuis trente ans. Tous les ans, l’été en général quand nous sommes fermés, on refait la chaudière, la toiture, des fauteuils. C’est comme une grande maison, mais un peu disproportionnée. Quand on achète un rideau, c’est un rideau de 10 m. Donc des travaux, on en fait tout le temps. A un moment, on avait des fauteuils en fixe derrière les consoles et, pour gagner un peu de souplesse de circulation, on a fait enlever les fauteuils à l’arrière et ils sont maintenant amovibles. On peut monter et démonter tous les fauteuils à l’orchestre.

Et donc ça bouge tout le temps. Sauf qu’effectivement, quand on met une chaise à réparer, il y en a neuf cents, c’est pharaonique. C’est pour que tu ne crois pas trop à l’arrivée des grands groupes industriels dans ce métier de la gestion de salle, parce que tu l’assimiles parfois à une danseuse.

Oui bien sûr, parce que, on a l’impression parfois que c‘est facile de gérer un théâtre et d’accueillir les gens, et que cela rapporte beaucoup d’argent. Mais non, c’est l’inverse. Ce n’est pas facile d’accueillir les gens, parce que le public est de plus en plus…

… volage ?

… et surtout il y a des travaux constants et ça coûte très cher. Donc en effet, c’est un peu comme une danseuse. Mais je crois qu’au début du siècle aussi, les théâtres, c’était pour les gens un peu riches qui aimaient mettre leur argent de côté et faire croire qu’ils étaient un « puissant ». Pas impuissants (rire).

Et la salle, là, elle est au top ou est-ce qu’il y a encore des choses à changer ?

Ah non, on est au top. En plus, on a changé le son, il est nickel, la lumière, on est au top du hype, de tout ce qu’il faut ! Donc on est vraiment bien, on est prêt à accueillir du public, il ne manque qu’un petit peu de …

Parlons-en justement un instant de cette actualité et de cette crise. Vous, ça s’est arrêté avec Nada Surf en mars 2020.

Je me souviendrai longtemps de cet appel de Dominique Revert, d’Alias Production, un dimanche qui me dit « Bon ben dans deux jours, on ne peut plus jouer à jauge pleine, comment fait-on ? Tu es prête à faire deux concerts en un ? ». J’ai dit « ben ouais, je suis prête ». Ça a pris dix minutes de conversation, on a monté le truc et on a assuré le premier concert en deux séances. Après, on a fermé les portes, et depuis… on est toujours fermé. Va pas pleurer, Marc… (rires)

Depuis, tu joues à Tetris avec le planning, tu montes des choses, tu les démontes, c’est ça qui se passe.

Ben oui, on a changé le planning quatre fois, on attend de savoir quand est-ce qu’on ouvrira, mais on a une programmation prête, moi je suis prête à chaque instant pour ouvrir.

Ce qui est génial, c’est que bon, c’est super frustrant, la salle est au top, mais tu gardes profondément ce sourire, du genre « on ne lâche jamais rien ».

Non, on ne lâche rien. On va rester, on fera du spectacle. Et moi j’attends le jour où on va vraiment rouvrir et où ce sera fini, tout ça… Quelle fête ! 98 à côté, ça va être de la gnognotte.

Une question un petit peu naïve : c’est quoi tes journées aujourd’hui ? Autrefois, tu passais ton temps à accueillir, mais j’imagine que ton emploi du temps a radicalement changé.

Mes journées sont beaucoup plus calmes. Je viens de découvrir la cuisine (rires). Je suis quand même derrière mon ordi car je ne suis pas à l’abri d’ouvrir et donc je fais une programmation. Là je programme pour le 21, le 22 (janvier – ndlr), j’ai même préparé mon planning du 23.

Cette salle, on parlait des travaux qui font qu’elle change de visage, elle se refait un peu une beauté chaque été. Mais au-delà de ça, elle a eu également cette vie quand ça ne s’appelait plus seulement La Cigale, mais ça s’appelait La Cigale SFR. Tu te souviens de cette époque ? Qu’est-ce que c’était, elle avait été rachetée par SFR ?

Non, pas du tout, ça a été un sponsor. Alors on est comme tous les autres, comme tout le monde, il faut de l’argent donc, sponsors… Alors avant SFR, on a eu Kronenbourg… Kanterbrau pardon, Kanterbrau que tout le monde appelait Kronenbourg, ils m’ont embrouillée à force … (rires). Et puis après on a eu SFR. Moi j’aurais préféré Levi’s, parce qu’on a un drapeau (vertical – ndlr), ça aurait été nickel, ça aurait fait comme sur le jean (rires).

Mais est-ce que c’est quelque chose que les équipes de La Cigale ont mal vécu ou qui était un peu bizarre ? C’était un peu bizarre, ce changement de nom… Ça va assez loin un naming.

En interne, vraiment, ça n’a rien changé, juste que ça nous a ramené un peu de sous et un peu de fraîcheur pour avoir des tee-shirts marqués La Cigale SFR et tout ça. Non, non, en interne, ça n’a vraiment rien changé. Leur idée était plutôt intéressante : c’était de capter des concerts et de les diffuser via des téléphones. Moi je kiffais de me dire que, de 1 500, je passais à 10 000 ou 100 000… mais ça n’a pas beaucoup marché.

C’est exactement là où je voulais t’emmener car on était en train de parler de la crise et du Covid et tu sais qu’il y a quelque chose qui agite tout le monde, en tout cas tout le monde réfléchit à ça, c’est ce fameux streaming payant. C’est la notion des captations où les gens pourraient acheter des billets. On est tous d’accord pour dire que ça ne va pas tout remplacer, qu’on a besoin d’une chaleur humaine, etc. Mais est-ce que toi, tu crois finalement que ce que voulais faire SFR à l’époque en captant des concerts pour étendre un peu la jauge, au fond ça risque d'être un modèle ?

Je n'espère pas, je n’espère vraiment pas. Ce que tu vis en concert, tu ne peux pas le vivre devant ta télé, ce n'est pas possible. Ce qui se passe dans une salle de spectacle au moment où tout le monde est face à l'artiste et envoie sa sueur, ses gouttelettes, son bonheur, c'est un truc qui ne peut pas se faire devant son écran, ce n'est pas possible ! Il faut toujours venir dans les salles.

Justement tiens, si chacun joue à ce jeu d’un moment mythique à la Cigale… Moi je vais commencer parce que je sais que tu me poses la question à chaque fois, et comme ça tu peux essayer d’y penser. Moi, je me souviens en avril 1996 d'un concert inouï de Radiohead. Je ne sais pas si tu te souviens de cette soirée-là où le groupe revenait des États-Unis, ils ont commencé à le set à moitié endormis en mode automatique, puis tout à coup il y a eu un déclic, sans doute parce que la salle est folle, la salle est inouïe. Et du coup, ils sont réveillés, ils ont enchaîné des inédits dont le morceau que tu peux entendre là (en fond sonore de l’interview – ndlr) qui s'appelle Lift. Et derrière, c'est devenu un concert complètement dingue ! Est-ce que tu as vécu d'autres moments comme ça à la Cigale avec des moments où les groupes sont eux-mêmes fascinés par ce chaudron qu'ils ont devant eux ?

Oui, et pas forcément dans des salles pleines. J'ai un souvenir, mais alors c'est tellement vieux, Bruce Hornsby and the Machine ou un truc comme ça (Bruce Hornsby and the Range – ndlr). Dans la salle il y avait deux cents personnes, donc vraiment c'était ridicule. Un show de la mort,! Le mec qui s'est donné comme si on était 2 millions, il était encore plus incroyable qu’un concert plein. Non mais après, j'en ai tellement : des Red Hot Chili Peppers à la Cigale, des Coldplay, des Prince, des mecs qui t’embarquent quoi… (rire).

Et dans la coulisse qu'est-ce qu’il se passe après quand on a des pointures comme ça ? Est-ce que c'est différent du soir où on a le gars qui fait un concert devant 200 personnes. Est-ce que forcément il y a vraiment une ambiance radicalement différente ?

Non, c'est pareil si tu joues devant 200 personnes ou, je ne sais pas, dans les grandes salles, c'est la même chose. Tu sors de scène, tu es en transe… Bon alors, moi particulièrement, j'ai toujours laissé les artistes tranquilles, je n'ai jamais voulu faire la groupie et aller voir les gens. L'amitié se fait plutôt au fil des années…

Mais justement parce qu'ils savent qu'ils vont être tranquilles.

Exactement.

Et est-ce que pour la réouverture, quelle qu'en soit la date, il y a déjà dans les cartons des idées, des trucs un peu différents, ou c'est juste une envie de « juste laissez-nous jouer » ?

D’abord, c’est « laissez-nous jouer ». Je pense que tout le monde va être tellement heureux. Je vois bien quand on fait une petite date par-ci par-là comment les équipes sont heureuses. On vient travailler avec un sourire, tout le monde a le sourire. On ne fait une petite date que par-ci par-là mais quand ça va revenir, ça va être « pump it up ».

On va rester là-dessus, on ne peut pas finir mieux ! Merci beaucoup Corinne.

Je t’en prie, c’était un plaisir

A bientôt

Production et réalisation : Marc H'LIMI / Interview : Marc GONNET / Créations visuelles et réseaux sociaux : Emilie BARDALOU

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