Saison 2

S02E20 - Alain Lahana, producteur / Spéciale Bowie #2

On retrouve un vieil ami de SOLD OUT pour clore cette Saison 2 : Alain LAHANA, le tout premier invité de notre série de podcasts. Alain, producteur d’artistes de légende (Patti Smith, Iggy Pop, Phil Collins, R.E.M., …) est l’invité idéal de ce deuxième épisode spécial consacré à cet artiste absolu, ce génie qu'était David BOWIE, et plus particulièrement à ses aventures sur scène en France. C’est en effet lui qui accompagne Bowie en France depuis Tin Machine. La parole directe, cash et passionnée d’Alain se déguste comme un plaisir d’été et regorge d'anecdotes savoureuses sur son rapport avec un artiste follement exigeant. Rendez-vous à la rentrée pour une Saison 3 de SOLD OUT. D’ici là, prenez soin de vous <3

Sold Out Alain Lahana

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SOLD OUT - Saison 2, épisode 20 : Alain Lahana

Bonjour ! Bienvenue dans le tout dernier numéro de "Sold Out" : le numéro 20 de la saison 2.

Merci d'avoir été de plus en plus fidèles à "Sold Out" tout au long de cette saison, depuis le premier épisode avec Jacquie Lombard, puis avec toutes ces femmes et ces hommes que l'on a rencontrés.

Je vous promets que ce n'est que le début. Il y aura évidemment une troisième saison de "Sold Out". On se retrouvera à la rentrée, dans le courant du mois de septembre.

Pour l'heure, continuons d'explorer le "génie" de David Bowie. Vous nous avez beaucoup écrit et avez adoré l'épisode de la semaine dernière avec Jérôme Soligny, le Spécialiste Français de David Bowie.

Comme promis, voici une sorte de "tome 2", un "droit de suite" avec un vieil ami de "Sold Out". Il était à l'origine de ce podcast : c'était notre premier invité. On avait enregistré un "numéro 0" avec lui et il était tellement génial que c'est devenu le "numéro 1" de "Sold Out" que vous connaissait.

C'est Alain Lahana, bien-sûr, le Producteur-Tourneur Français de David Bowie, qui bosse par ailleurs avec Patti Smith et Iggy Pop et qui a bossé avec R.E.M. quand le Groupe était actif... la liste est intarissable.

Il a tellement de souvenirs précis avec David Bowie en tant que Promoteur et Producteur Français : des d'anecdotes qu'il n'a encore jamais livrées, et qu'il va partager avec nous pour ce dernier épisode de la saison 2 de "Sold Out", qui commence maintenant.

Je suis Alain Lahana, Producteur de concerts.

J’ai eu la chance, le privilège et l’honneur de m’occuper des concerts de David Bowie de 1989 à 2004.

Comment est-ce qu’on arrive à avoir un « coup de fil » proposant de produire un concert avec David Bowie ?

Ce n’est pas compliqué.

Avant 1989, j’avais déjà une douzaine d’années dans le métier. Cela faisait déjà onze ans que je travaillais avec Iggy Pop, entre autres. Cela faisait un petit moment que je travaillais avec John Giddings, qui se trouvait être l’Agent d’Iggy Pop, de David Bowie et de plein d’autres Artistes que j’ai « travaillés » avec lui : Phil Collins, Simple Man, The Stranglers, Tears for Fears, les Rolling Stones… C’était un Agent d’un certain niveau, et quand il m’a appelé pour dire : « Ecoutes, on va faire une petite date avec le nouveau projet de David : Tin Machine », on est « partis ».

A l’époque, j’avais fait un deal avec une radio-rock : La voix du lézard. On avait fait quelque chose de très simple : un billet à 21 euros.

A la demande de David, j’avais pris une Première Partie qui était un « Groupe non signé » : La Place, le Groupe de Julien Civange. A l’époque, je fréquentais beaucoup Jean-Louis Aubert, pour qui j’avais monté la première tournée après qu’il ait quitté Téléphone. Jean-Louis voulait une invitation, mais c’était un no comp show. Je lui ai donc dit : « Si tu veux venir, tu travailles ! ».

C’est-à-dire qu’il n’y avait jamais d’invitation ?

Pas d’invitation.

« Si tu veux venir, tu travailles ! »

« Si tu veux venir, tu travailles, parce qu’on est complets. Tu pousses les caisses de la Première Partie ».

C’est Jean-Louis Aubert qui a « remballé le matos » de la Première Partie, sur scène, sans que personne l’identifie.

Le « Jean-Louis Aubert de Téléphone » …

Oui !

Quand j’ai lu cette anecdote, je pensais que c’était très tôt, mais non ! C’était après le succès de Téléphone !

Oui ! Après Téléphone, qui avait un petit peu « marqué le territoire ».

[Rires] Il est venu « faire le Roadie » …

Voilà !

… parce qu’il était « fan intersidéral » de David Bowie, évidemment !

Et « ultra-pote » de Julien Civange, qui faisait la première partie !

Pour la première partie, le « Clavier » qui était avec Julien Civange s’appelait Natacha Krantz.

Comment s’est passé ce premier contact avec « l’idole » ?

Cette fois-là, je n’ai pas eu énormément de contact.

Il y avait tout un « barda » autour. Je me rappelle qu’il y avait une Conférence de Presse où les quatre parlaient…

Les quatre membres de Tin Machine…

Oui. Si tu ne posais une question qu’à David, il ne répondait pas. C’était donc vraiment un projet de Groupe.

Juste avant cela, il faut savoir que David avait dit : « Je vais arrêter de jouer tous mes titres emblématiques. Ils correspondent à une période et à un personnage. Je ne suis plus dans cette période. Je ne suis plus ce personnage. Maintenant, je fais de la musique en Groupe ».

Il faut voir que c’est un « mec » comme Reeves Gabrels qui lui a redonné une envie créative parce que son jeu de guitare l’a inspiré. Reeves est co-Auteur d’énormément de choses (pas seulement de la période Tin Machine).

Il officie d’ailleurs comme l’un des quatre membres de The Cure, en tant que co-Auteur. C’est un Guitariste extrêmement prolifique, qui a un style très marqué.

A ce moment-là (un peu comme une « réaction aux années 80 », que l’on pouvait considérer comme des « années de perdition » pour certains et pour David Bowie), pour Tin Machine, c’était la rédemption…

Oui, mais il faut voir que David a très souvent mis un terme à chacun de ses cycles d’une façon assez scénarisée.

Pour Ziggy Stardust, tout le monde connaît le concert où les Musiciens apprennent, alors qu’ils sont sur scène, que c’est le dernier concert. C’est quand même un petit peu particulier. Ils sont bouche bée et disent : « Mais qu’est-ce qui lui arrive ? ». C’est le « truc » qu’a toujours eu David : se remettre totalement en question.

Anecdote marrante qui vient « dans la foulée de Tin Machine » (je préfère parler des périodes que j’ai vécues en première ligne) : dans la foulée de ce concert de Tin Machine à La Cigale, une discussion s’engage et on parle du Sound + Vision Tour : la tournée où David allait jouer, pour la dernière fois, tous ses titres emblématiques.

J’ai donc monté les dates en France. On a commencé par deux Bercy. Après ça, il avait dit qu’il ne rejouerait plus jamais ces titres-là… David n’est pas le seul Artiste à être un menteur…

Tin Machine est donc ton « premier contact » avec lui…

Oui ! Mon premier échange « réel » (autrement qu’avec les gens du label). Le premier vrai « contact direct » avec lui a été à Bercy. J’avais deux Bercy et toute une « série de Bercy » autour (quatre avec Phil Collins et un ou deux avec Tears for Fears). Vu que j’avais Bercy pour une dizaine de jours, j’ai vraiment creusé les aménagements. Pour David Bowie, j’étais tombé sur un gars qui faisait de la décoration de jardin (un copain de mon Assistante de l’époque), qui a dit : « Je voudrais faire un jardin japonais avec une cascade dans la loge de David. Je vous l’offre ! ».

J’ai dit : « Ouais... », et on a installé un jardin japonais avec une cascade dans sa loge.

Quand il est arrivé, David a vu ça et a dit : « Fuck me ! Who made that ? Where does he come from ? »

[« Qui a fait ça ? D’où vient-il ? »]. De là, il a demandé à me rencontrer et on a sympathisé. Après, la soirée avait été assez particulière puisque le jeune Chanteur d’un Groupe qui s’appelle les Rolling Stones est venu le rejoindre. On avait fait un after assez marrant (je ne me rappelle plus trop où).

Avais-tu une « petite idée derrière la tête » avec ce jardin japonais ou pas ?

Aucune ! Aucune, à part que pour chaque Artiste que j’ai pu produire à Bercy dans cette période-là, j’essayais toujours de faire un décor spécifique pour lui montrer que ce n’était pas impersonnel. Pour moi, soigner l’accueil d’un Artiste, c’est « pareil qu’inviter un pote à bouffer » : on ne va pas lui sortir les « trucs sous cellophane » !

La hauteur de l’aménagement marque aussi la hauteur du respect et de la connaissance que tu as de l’Artiste.

Cela créé une première base d’échanges plutôt « cool » !

Te rends-tu compte tout de suite que c’est quelqu’un qui est, malgré tout, plutôt abordable… C’est ce que tu dis dans le livre de Jérôme Soligny : « Au fond, on lui parle simplement à David Bowie ».

Ah oui ! J’ai eu une relation très particulière avec lui, tout le temps de notre collaboration. La plupart des périodes de Live qui se rajoutaient au fur et à mesure, n’étaient pas planifiées. Souvent, c’était une conversation à la fin d’un cycle où David me disait : « Tiens, pourquoi on ne referait pas ça ? ».

Une fois, c’était : « Pourquoi je fais juste le Parc des Princes alors que j’ai une semaine off ? ». Je lui ai dit : « Ecoutes, je ne sais pas. Vois avec ton Agent ! ». Il m’a dit : « J’ai une semaine libre, tu me ferais des petites dates… ».

Est-ce que je vais refuser à David Bowie de faire des petites dates ?

Après, il y a eu quelque chose de très drôle (j’ai souvent raconté cette anecdote). Quand on a joué à la Salle des Fêtes de Rezé ou à la Salle des Fêtes Mériadec (à la sortie de Bordeaux) et qu’on y a annoncé « David Bowie », les gens prenaient ça pour un canular. D’autant plus qu’à ce moment-là, sur la pochette d’album de David, on ne voyait pas sa « gueule » : il était de dos, avec le grand imperméable que lui avait fait Alexander McQueen, et voilà !

Les gens disaient : « Est-ce que c’est le « vrai » ? », le prix des places étant en plus très abordable !

Pourquoi faisait-il ça ?

Il voulait du « contact ». David gagnait beaucoup d’argent, il faisait des stades comme le Parc des Princes à cette époque-là. Au moment de « Heathen », je lui avais dit : « David, pour moi, c’est la première fois depuis longtemps que je vois des gamins qui réagissent par rapport à ce qu’il y a dans cet album et pas par rapport à ce que tu as fait avant ». Il m’a dit : « Putain ! Ça me touche vraiment que tu dises ça ! Pourquoi je ne fais qu’une seule date ? J’ai envie d’aller vers les gens ».

Il avait une « semaine off ». On a donc fait trois ou quatre dates, et on a passé une semaine ensemble sur la route, Iman était là, etc… On se faisait des petits plans vraiment « sympatoches », « à l’ancienne », entre copains…  

Crois-tu que cette manière de faire : « prendre des décisions dans une conversation », était propre à la France ou qu’elle se faisait aussi ailleurs ?

Je ne vais pas dire que c’était « propre à la France » …

Moi, j’en ai l’impression…

… en fait, je crois que si !

Très peu de Producteurs de Concerts ont eu de vrais contacts directs avec David Bowie. Albert Koski, qui a produit David sur toute la période avant moi, était « pote » avec lui : il y avait une « vraie » relation.

Dans pas mal de pays, ces choses-là n’existent pas trop. Tout le monde fait son « taf », et voilà ! Pour passer un certain cap, il faut que des petites interactions se créent.

Moi, en l’occurrence, après Sound Vision, j’ai eu un « truc » assez incroyable.

Déjà, David m’a dit : « Ah ! Je reviendrais bien pour faire un « truc » ! », et on a calé les Arènes de Fréjus.

Quand on a « fait » les Arènes de Fréjus, il m’a dit : « Tu ne connaîtrais pas un endroit tranquille où je pourrais répéter le deuxième Tin Machine ? ». J’habitais « à moitié » à Saint-Malo, et je lui ai dit : « Tu n’as qu’à venir chez moi ! » (comme je te l’aurais dit à toi si tu m’avais posé la question à l’époque !).

Le lendemain, j’ai eu un « coup de fil » de son Agent qui me disait : « Ecoutes, j’ai eu David. Tu l’as vu récemment ? Il nous a dit qu’il veut venir répéter chez toi. Peux-tu nous donner des infos ? »

J’ai donc monté les répétitions du deuxième Tin Machine à Saint-Malo, dans le petit Théâtre Chateaubriand qui ne faisait que des projections pour connaissance du Monde pour le troisième et quatrième âge. J’ai installé David à l’Hôtel des Thermes. Tous les jours, le « mec » allait au théâtre à pied depuis l’Hôtel des Thermes et disait juste : « Ok ! Let me take my bodyguard », ce qui de la part de David, voulait dire : « Ok ! Laissez-moi prendre ma casquette et mes Ray-Ban ». On marchait comme ça, et nous n’avons jamais été abordés une seule fois !

Les gens ne devaient pas penser que c’était le « vrai David Bowie » …

Je peux dire que sur les trois semaines, à part le Coiffeur de ma femme (ma femme l’avait emmené chez son Coiffeur pour se refaire une couleur à moment donné) qui était tremblant d’avoir « Bowie sous les ciseaux » [Rires]

En dehors de ça, on a fait l’anniversaire de Tony Sales (le Bassiste, frère de Hunt, le Batteur) là-bas. Tony et Hunt formaient la « section rythmique » de The Idiot (je peux me tromper), et juste après, celle d’Iggy Pop.

En parlant de choses qui se croisent : Jérôme Soligny était-il déjà dans tes bagages à Saint-Malo ? Le connaissais-tu déjà ?

Jérôme « fait partie des quatre ou cinq coups de fil » que j’ai passés le matin du concert. David me l’avait annoncé la veille au soir.

Il a voulu faire un petit concert à la fin de la résidence, comme ça…

Je lui ai dit : « Arrêtes tes conneries ! On va avoir une émeute ! », il m’a dit : « Mais non, mais non… En plus, je compte le faire gratuit ». J’ai dit : « Arrêtes tes conneries ! », et il m’a dit : « Mais non ! On est à Saint-Malo ! ».

Il avait totalement raison : j’ai dû « faire la retape » pour remplir la salle, parce que personne n’y croyait !

Il n’y avait pas Internet à l’époque. Quand tu faisais une annonce comme ça la veille pour le lendemain, si tu ne passais pas par la Presse, c’était un peu compliqué quand même.

Tu as même fait rentrer une école, je crois !

Je suis allé « racoler » l’école qui était à côté pour faire rentrer des gamins. Juste avant le concert, en regardant à travers le rideau, Corinne « Coco » Schwab, l’Assistante historique de David, m’a dit : « Il y a plein de gamins, David joue fort, il nous faut des air-plugs ». J’ai donc dû aller chercher cent paires de boules Quiès à la pharmacie d’à-côté pour qu’on commence.

Le souci du détail, quand même ! C’est sacrément bienveillant, l’air de rien…

Oui, mais… tout était « normal » !

Oui, bien-sûr…

J’ai réalisé beaucoup de choses par rapport à la relation que je pouvais avoir avec David quand il y a eu l’exposition « David Bowie Is… ».

Dans « David Bowie ouvre le chien » …

Un des autres livres de Jérôme Soligny.

…sur une quarantaine de pages, Jérôme Soligny avait parlé de ma relation avec David, et quand je suis arrivé, des gamins m’ont demandé des autographes !

J’ai dit : « Il ne faut pas confondre le Cuisinier et le mec qui fait la vaisselle ! ».

[Rires] « Le mec qui fait la vaisselle » … La métaphore est évidemment exagérée.

C’est trop mignon parce que, ce soir-là, pour le concert de Saint-Malo, je crois que c’est toi qui as « mis l’argent » parce que personne n’en filait, en fait… [Rires]

Oui ! On avait mis un carton pour faire une cagnotte, en disant aux gens : « Vous mettez ce que vous voulez », et à la fin du concert, quand j’ai regardé au fond du carton, c’était des « pièces jaunes » !

Là, j’ai eu une vraie gêne parce qu’on avait dit qu’on allait offrir un babyfoot aux gamins de la Cité de la Découverte (en périphérie de Saint-Malo), et j’étais trop gêné de dire à David : « Ecoutes, tu as ramassé l’équivalent de 100 balles… ». J’ai donc mis un billet de 500 !

Ce qui est étonnant dans cette relation professionnelle et dans la relation entre ces deux hommes que vous êtes, c’est que vous passez de très gros projets, au Parc des Princes ou à Bercy, à La Cigale (dont tu parlais tout à l’heure), ou à l’Elysée-Montmartre en 1999, c’est ça ?

Oui ! Attention, pas mal de concerts que j’ai fait plus tard avec David étaient des « concerts détournés ».

Au départ, c’était des « demandes promo » pour faire des captations de David en France, et comme j’étais un petit peu « incontournable » à l'époque, par rapport à la relation que j’avais avec lui, le label était obligé de m’appeler.

En général, l’Agent ou l’entourage de David m’avait avisé avant. J’étais « au jus des trucs » et tout le monde me suivait.

Par exemple, quand il a été question de faire l’album « Hours », ce devait juste être pour une captation.

J’ai dit : « Mais non, il va se faire chier ! Ce qu’on va faire, c’est qu’on va monter un concert. On va mettre les billets en vente le matin du show, et on va jouer. La salle fait 1 400 places. On va se faire plaisir : on ne va mettre que 1 000 personnes, pour que le confort soit total pour les gens, et qu’ils puissent se dire qu’ils vivent vraiment un moment unique ».

Autre exemple, le dernier concert de David à l’Olympia (en 2002 ou 2003) devait être une captation pour Arte. J’ai visité six lieux avec les « mecs » d’Arte, la Production, le label, etc… et rien ne me semblait « coller » du tout avec David. J’ai passé un « coup de fil » et j’ai dit : « Ecoutez, on va arrêter les conneries ! Je vais vous dire un truc : on va faire un Olympia à 50 euros le billet. Vu que je vais avoir 2 000 places à 50 euros, ça va couvrir pas mal de frais, et vous aurez une captation avec une atmosphère ». On l’a fait, et ça a été l’un des concerts les plus mythiques de David Bowie en France. Il avait une « setlist de rêve », il était dans un état de grâce absolu, et on s’est « explosés » !

Les gens n’y croyaient pas et se pinçaient en se disant : « On a David Bowie comme ça ! ». Lui, ça « l’éclatait » complètement !

Tu travailles avec plein d’Artistes : Patti Smith, Iggy Pop, tu nous parlais tout à l’heure de Phil Collins, de Tears for Fears et de plein d’autres. Ces Artistes se sont-ils croisés « devant toi » ?

J’ai présenté quelques Artistes avec qui je travaillais à David.

Quand j’ai « fait » Fréjus, j’avais pris une maison à Saint-Aygulf (à l’entrée de Fréjus). Ian McCulloch (du Groupe Echo & The Bunnymen), qui était un super pote, est venu avec sa femme s’installer trois semaines dans la baraque, et je lui ai présenté David à l’issue du concert.

Plus tard, sur les derniers Bercy de David, on a « fait » Electrafixion, le Groupe de Ian McCulloch, en Première Partie.

Pour moi, les liens se faisaient comme ça. D’ailleurs, un petit souvenir me revient : Les Pattinson, le Guitariste des Bunnymen, est arrivé à Bercy, où il ouvrait pour David, avec trente-six vinyles de David à faire signer…

Ah oui… [Rires]

… et David a signé les trente-six vinyles ! Là, j’ai cru que Les allait pleurer !

Tout se passait comme ça ! Pour moi, le « mec » avait un « truc » que les autres n’avaient pas forcément.

Déjà, humainement, c’était quelqu’un avec un énorme sens de l’humour ! Je pense que c’est l’un des « gros » Artistes internationaux avec lequel je me suis le plus marré dans ma vie ! C’était un genre de « pisse-froid » qui te balançait des vannes…

Il chambrait un peu, non ?

Oui ! Avec un bon humour, bien « British » ! On s’est vraiment « tirés la bourre » sur plein de choses ! C’était vraiment une excellente relation !

Il y a autre chose que l’on découvre pas mal dans ce livre de Jérôme Soligny, c’est la capacité de David à être toujours curieux, à toujours vouloir découvrir ce qu’il se passe, à toujours vouloir écouter quelque chose de nouveau…

Oui ! Là-dessus, il était très proche d’Iggy Pop, à toujours regarder ce que fait l’autre.

De toute façon, pour moi, David est un « vampire ». Tout ce qu’il a fait musicalement (ou une grosse partie) vient de choses qu’il a piochées à droite et à gauche, qu’il a « faites à sa sauce », et qui après sont devenues une sorte de « base » pour beaucoup d’Artistes.

Il avait une façon hors-normes de « métisser » les choses. De certains, on dirait : « C’est du pompage », de lui non !

Il y a toujours une relecture brillantissime…

C’était vraiment une « alchimie », qui faisait que ça ne sonnait pas pareil si n’importe qui d’autre le faisait. Point.

Cet épisode de « Sold Out » est diffusé pour la première fois en juillet 2021. C’est aussi le moment où l’on a un petit peu plus le temps d’aller découvrir des Lives, soit en vinyles, soit sur Internet.

Dans toute cette période entre la fin des années 80 et l’année 2004, y a-t-il un « highlight » : un moment inouï à réécouter ?

Pour moi, l’Olympia était un concert hors-norme : un concert de plus de deux heures, avec une setlist incroyable, et un « mec » en possession totale de tous ses moyens !

Après, on peut parler de la dernière tournée : « Reality » (je crois que Jérôme t’en a parlé).

Pour la tournée « Reality », j’étais très proche de l’équipe de Musiciens (et j’en suis toujours très proche).

David leur avait fait répéter plus de 70 chansons, de façon à changer la setlist tous les soirs !

C’est d’ailleurs quelque chose qu’il te demandait quand il était dans une ville…

Oui ! Ça arrivait souvent ! Il disait : « Attends, je ne suis pas sûr… On a déjà joué ici… Attends que je recherche la setlist… ». Pour deux concerts consécutifs de David, il y avait une dizaine de titres de différence.

Même sur de très grosses Productions très « calées » ?

Oui !

Ce qui n’arrive jamais ! Normalement, tu as un ou deux emplacements pour faire varier un « truc » …

En plus, il savait que beaucoup de ses fans achetaient les billets pour toutes les dates !

Je voyais énormément de gens (peut-être que « énormément » n’est pas le mot) … Sur « Reality » au moins 200 ou 300 personnes ont fait toutes les dates françaises !

Tu sais, j’ai moi aussi fait ça pour d’autres Artistes en tant que Public. Il y a aussi plein d’Artistes que les fans suivent de soir en soir. Ils « s’en foutent un peu » !

Oui, mais pour David ça faisait une « excitation » supplémentaire : tu sais que tu ne vas pas avoir le « même truc » tous les soirs.

Tu es « en inconfort » …

J’ai aussi eu de gros mouvements de fans sur les 15 ans où j’ai été avec Dépêche Mode. Je peux te dire que c’était la même setlist tous les soirs, « à la virgule près » ! David, non.

Comme s’il avait besoin de fragilité, en fait.

Oui, mais à partir du moment où tu es conscient que tu es une « icône » par rapport à une époque, tu fais gaffe à la manière dont tu traites les gens qui te suivent. Pour lui, ça faisait partie d’une expérimentation de quelque chose : « Allez, tiens ! On va faire ça ! ». C’était aussi une manière de voir le niveau de ses Musiciens. Il les checkait beaucoup. Sur les concerts, tu avais souvent des changements d’instruments, des mouvements, etc… C’était un « truc » voulu, et il adorait ça !

Il voulait tout le temps les mettre non pas « sous pression », mais…

Qu’ils soient « frais », qu’ils ne soient jamais blasés, comme lui était tout le temps « frais » et jamais blasé !

« Chaque date est la première, chaque date est la dernière ».

Venons-en à 2004 et à cette dernière tournée. C’est sans doute celle qui a laissé un souvenir très excitant (70 titres et de merveilleux concerts), mais elle a fini avec des « points de suspension » … C’est très bizarre !

Oui ! Sur cette tournée-là, on reprogrammait un « truc » à Toulouse parce qu’on avait annulé « Toulouse » sur la tournée « Reality ». A Nice, David avait la voix « rincée » et n’avait pas pu finir le concert. On s’était donc dit : « Ça chauffe un peu ! ».

Je me rappelle que j’ai appris l’annulation de « Toulouse » quand j’étais en route entre Nice et Toulouse, en bagnole.

« Toulouse a sauté » et on a finalement retrouvé David à Marseille deux jours après.

C’était pour se préserver…

Il a fait un concert magnifique et la tournée a fini à un niveau musical magnifique.

David a toujours été perfectionniste. Les perfectionnistes sont toujours très exigeants avec les personnes qui les entourent, mais sont surtout très exigeants avec eux-mêmes.

Quand le « patron » va vraiment « mouiller la chemise » et va vraiment regarder dans le détail, quand tu as « le bol » d’être aux côtés d’un mec comme tu en croises rarement plus d’un par siècle, tu essaies quand même d’avoir un peu l’humilité de respecter la démarche !

On le voit très bien avec les différents témoignages de Gail Ann Dorsey, la Bassiste « iconique » de David à la fin, tout au long de cet ouvrage de Soligny. On sent très bien qu’elle est tellement reconnaissante d’avoir travaillé avec lui…

Oui ! Ecoutes, j’étais encore avec elle la semaine dernière. Gail Ann était à Paris depuis quelques mois, et on s’est pas mal vus pendant cette période.

Justement ! C’est pour ça que je t’en parle. On a l’impression que pour ses anciens Musiciens et tous ces gens qui ont travaillé avec David, il y a comme un « lien invisible » qui les unit. Ce « lien » ne se disloque pas du tout, en fait.

Oui. De toute façon, j’ai toujours eu beaucoup de relations avec les Artistes.

J’ai connu Gail Ann il y a trente ans, sur son premier album solo, avant qu’elle ne « rentre » dans Tears for Fears, au moment où il y a eu la « rupture » entre Curt Smith et Roland Orzabal. C’est elle qui était « sur la route », avant qu’elle aille avec David. Elle est maintenant avec Kravitz et The National, et a plein d’autres projets dont elle parlerait bien mieux que moi.

J’ai toujours eu des relations comme ça. Quand tu passes des tournées de deux à trois semaines avec un Artiste, il faut voir que tu « bouffes » en moyenne deux fois par jour avec lui !

Il n’y avait pas Internet et les tournées étaient très longues. Dans les périodes un peu plus « reculées », le « coup de fil de trois heures du mat’, pas à l’aise », c’était toi qui le prenais !

La relation, c’était toi qui l’avais, parce que tu avais toujours tout le monde à Paris et plus personne ne suivait en province.

Si tu passes quinze jours à « bouffer » tous les jours avec les mecs, au bout d’un moment, une petite relation s’installe, surtout si tu le fais tous les ans ou tous les deux ans !

Je vais toujours voir la première date d’une tournée mondiale d’un Artiste, où qu’il soit. Cela m’a permis de voir David plusieurs fois aux Etats Unis, en Allemagne, en Italie, en Belgique… un peu partout.

Comme toi tu vas « voir tes potes », je vais « voir mes potes », à part qu’ils sont un peu plus loin, peut-être… et un peu plus connus, c’est tout !

C’est à Marseille la dernière fois que tu as vu David, en 2004 ?

La dernière fois que j’ai vu David physiquement devant moi et qu’on a échangé, c’était à Lyon, à la dernière date de « Reality », en novembre 2003. C’était la première partie de la tournée « Reality ». La deuxième venait pour l’été d’après. C’est celle-là qui n’a jamais eu lieu puisqu’il a démarré et, même pas une semaine avant d’arriver en France, il a eu son « pépin » en Allemagne.

Après, il y a tellement eu de rumeurs autour de sa santé (j’ai au moins été appelé cinq ou six fois par des Journalistes qui préparaient sa nécrologie). Pendant cette période, il n’était en fait absolument pas gravement malade ! Il était juste « un grand communiquant qui ne communiquait plus », point.

Il était en famille, il s’occupait de sa femme et de sa fille, il faisait ses petites courses, il se baladait, il prenait du temps, et voilà !

C’est quand même un « mec » qui a réussi à faire un album sans qu’il n’y ait aucune fuite !

Pendant ce temps-là, as-tu eu « des fourmis dans les jambes » entre 2004 et cet horrible matin de janvier 2016 ?

Honnêtement, pendant trois ans, j’ai cru qu’on le reverrait.

Tu as pensé qu’il reviendrait ?

Oui ! J’en étais persuadé.

Quand au bout de trois ans, rien ne se signalait, j’ai commencé à dire : « Je ne le vois remonter sur scène qu’éventuellement, pour que sa fille le voit sur scène ». Ça ne s’est pas fait.

Il est très peu remonté sur scène après, à part avec Arcade Fire, avec David Guilmour (ils avaient le même Tour Manager, et il a toujours été très « pote » avec les « mecs de Pink Floyd »), et avec Mike Garson, à New York.

En dehors de ça, plus rien.

Je ne vais pas dire que « j’avais des fourmis ». Quand tu as eu une vie aussi remplie que ça, à moment donné, si tu dis : « Je pose mes valoches », je respecte.

La façon qu’il a eu de procéder après : faire ses disques d’une façon aussi secrète pour une « star planétaire », ça devait lui mettre le « petit truc de pep’s » et l’adrénaline qu’il fallait.

On ne va pas juste le cantonner à Chanteur, Interprète et showman !

Nous finirons cette saison là-dessus. Merci beaucoup Alain !

Avec plaisir !

Merci à tous d’avoir été si fidèles à « Sold Out » pendant toute cette saison ! C’était un bonheur de vous croiser et de vous lire aussi.

A bientôt ! On se retrouve bien-sûr pour une saison 3 à partir de la rentrée prochaine ! Ciao !

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