Saison 2

S02E19 - Jérôme SOLIGNY - Spéciale Bowie #1

Jérôme SOLIGNY n'est ni producteur de spectacles, ni promoteur, ni tourneur. Il ne dirige pas plus de salle que de festival. Mais il a pourtant toute sa place dans SOLD OUT car c'est sans doute le plus grand spécialiste de David BOWIE. Et quoi de mieux, pour finir cette folle saison 2 de SOLD OUT que deux épisodes spéciaux consacrés à cet artiste absolu, ce génie qu'était BOWIE, et plus particulièrement à ses aventures sur scène en France. On commence dans cet épisode avec Jérôme Soligny, l'auteur -notamment- de RAINBOW MAN -Tomes 1 & 2, deux livres indispensables et furieusement inspirants sur le "Thin White Duke"...

Sold Out Jérôme Soligny

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SOLD OUT - Saison 2, épisode 19 : Jérôme Soligny

Bonjour ! Bienvenue dans le 19ème numéro de « Sold Out » de cette saison 2, l’avant dernier numéro de la saison.

Pour finir, on va faire un petit « chemin de traverse », un « pas de côté », puisqu’on va consacrer les deux derniers épisodes de cette saison 2 à un Artiste absolu, génial, qui a vraiment marqué la Scène Française : David Bowie.

On s’est dit qu’on ne pouvait pas passer à côté de David Bowie.

Pourquoi aujourd’hui, en juillet 2021 ? Tout simplement parce que l’an dernier et l’année d’avant ont été publiés deux tomes de « Rainbow Man » de Jérôme Soligny, le spécialiste français de David Bowie. Il avait déjà beaucoup écrit sur Bowie. Là, il a rencontré plus de 300 proches de l’Artiste : des gens « inouïs », qui ont tout raconté sur Bowie et notamment sur « David Bowie sur scène ».

On s’est donc dit que ce serait vraiment une super bonne idée d’intégrer Jérôme Soligny dans « Sold Out », et de lui tendre notre micro. Il est non seulement le spécialiste de Bowie, mais a des tonnes d’anecdotes sur ce qu’il se passait dans les « backstages » de Bowie, sur la manière dont cet Artiste se comportait sur scène, sur ses hésitations permanentes, sur ses fulgurances et son génie.

Je crois que c’est très inspirant pour finir la saison, pour prendre encore un petit peu de hauteur tous ensemble.

On va donc interroger Jérôme Soligny aujourd’hui et, dans un épisode qu’on publiera la semaine prochaine (le tout dernier de la saison), on retrouvera un vieux camarade de « Sold Out » … Pour l’instant, c’est le numéro 19 de « Sold Out » avec Jérôme Soligny, et ça commence maintenant.

Je m’appelle Jérôme Soligny.

Je suis un « Musicien de l’ombre ». [Rires] J’ai fait une carrière « d’Auteur-Compositeur dont on ne connaît pas le nom ». Ce n’est pas dramatique du tout parce que je ne suis pas quelqu’un qui, à la différence de David Bowie, aimait beaucoup la scène. J’en ai fait un tout petit peu avec mes premiers Groupes quand j’étais jeune, mais je trouve que j’étais très mauvais. Par contre, j’adore la Musique. J’ai un home studio et j’ai continué à faire des chansons sur des disques qui ne se sont pas vendus… En revanche, j’ai eu la chance qu’Etienne Daho (pour ne pas le nommer) chante certaines de mes chansons.

J’ai donc pu continuer à « vivoter » de ma musique, jusqu’à ce qu’on me tende la main, à la fin des années 80, pour écrire sur la Musique. De même que je n’ai jamais cherché à écrire pour quelqu’un (c’est Etienne qui m’avait demandé s’il pouvait chanter certaines de mes chansons, j’en étais ravi), je me suis retrouvé à écrire dans la Presse Rock de la même manière.

En l’occurrence, la première personne qui m’a demandé d’écrire sur la Musique, c’est Christian Lebrun, l’ancien Rédacteur en Chef de BEST (aujourd’hui malheureusement décédé).

Il y avait une collection de livres qui « marchait » avec le journal BEST, et Christian m’avait demandé si je voulais écrire un livre sur David Bowie (on était en 1985).

J’étais très impressionné, et je lui ai dit au téléphone : « Franchement, je ne vais pas en être capable ! Des livres, j’en ai lu « douze » dans ma vie, je ne suis pas du tout un littéraire ! ». Il m’a dit : « Non, mais tu es un passionné, tu as l’air de bien aimer David Bowie ! ».

A cette époque-là, j’ai donc écrit un livre qui est sorti aux éditions Grancher et qui n’était pas du tout comme « Rainbow Man » (c’est le moins qu’on puisse dire).

Il n’y avait pas Internet, j’essayais donc de glaner les informations comme je pouvais. J’avais une pile de journaux anglais (Melody Maker, Musical Express) sur une période d’une dizaine d’années. J’avais donc de la « matière » assez fiable. J’ai donc fait un premier livre comme ça, et c’est ainsi que je me suis mis à écrire…

C’était quand ?

Il a dû sortir en 1985 ou 1986.

L’année suivante, on en a fait un avec Etienne sur Françoise Hardy, toujours pour le même Editeur.

Après, je suis entré dans la Presse Musicale, en grande partie grâce à David Bowie. J’y suis entré au moment où il y a eu les premières « rééditions Bowie », au tout début des années 90.

Le Rédacteur en Chef de l’époque, Jacques Colin, m’a téléphoné en me demandant : « Jérôme, j’ai une discographie de David Bowie à faire, et je n’ai personne pour la faire ». C’était un moment où c’était compliqué pour Rock & Folk : ça passait d’un Propriétaire à l’autre et il semblait manquer des gens à la Rédaction…

Comme je le connaissais par ailleurs, j’ai accepté de faire un grand papier (dont on me parle encore aujourd’hui) où je « chroniquais » tous les disques en très peu de signes. J’ai essayé de faire du mieux possible. Je n’ai d’ailleurs jamais été payé, il faudra que j’en parle à Jacques !

Au début des années 90, pour le coup, le journal a vraiment changé de Propriétaire.

J’ai été sollicité par le Rédacteur en Chef de l’époque, Eric Breton, et son Adjoint, Philippe Leblond. Ils m’ont demandé d’écrire dans le journal de façon plus régulière. Ce n’était pas encore « systématique » : je n’écrivais pas encore dans tous les numéros.

Finalement, quand le Conseiller de la Rédaction, Philippe Manœuvre, est devenu Rédacteur en Chef au milieu des années 90, il m’a donné plus de responsabilités. Je suis devenu Conseiller de la Rédaction (ce que je suis toujours aujourd’hui), ce qui « veut tout et rien dire ». Cela m’a permis d’écrire sur la Musique, ce à quoi je n’étais pas du tout prédestiné. Je l’ai toujours fait avec plaisir.

C’est dans ce cadre-là, en continuant de « faire ma musique dans mon coin », à vendre « trois disques et demi » et à écrire une chanson dont on parlait de temps en temps (même par procuration), que j’ai commencé à écrire de plus en plus sur la Musique.

D’une certaine manière, tu as trois « ports d’attache » : Rock & Folk, qui était un « fil rouge », la Musique, un peu « dans l’ombre » et parfois plus « dans la lumière », et « être Auteur » …

Oui. Un choix de carrière aussi : avoir voulu rester en Province.

Dans les années 80, si j’avais fait le « grand saut » de venir à Paris, ça aurait peut-être été malin (j’aurais peut-être un appartement à Paris). Je n’ai finalement jamais voulu quitter Le Havre, ni la mer. J’ai vraiment voulu élever mes enfants dans ces conditions : on ne « roulait pas sur l’or », mais je pense qu’on a été heureux (et j’espère qu’on l’est encore). Au bout du compte, c’est un choix de vie qui me correspond bien.

J’ai une anecdote sur le premier Olympia d’Etienne Daho.

Etienne était sur scène, tellement heureux et tellement bien (il avait l’air d’être tellement « dans son élément » ; Dieu sait s’il l’était et s’il l’est toujours), et les gens me disaient : « Ah ! Vous le regardez là. Vous devez mourir d’envie d’être à sa place ! ». J’ai dit : « Ah non ! Certainement pas ! Je suis très content qu’il y soit, mais je serais tout à fait incapable d’être à sa place ».

Je suis donc tout à fait satisfait de cette vie de Compositeur (que les gens ne connaissent pratiquement pas), qui me permet de faire autre chose à côté.

J’ai d’ailleurs signé avec une Maison de Disques il y a quelques années, juste avant que David Bowie ne décède.

Comme j’étais parti sur ce projet « Rainbow Man », je n’ai pas du tout livré mon disque. J’ai eu la chance que la Maison de Disques soit bien patiente : je vais enfin le livrer, en espérant que ça sorte l’année prochaine (je me sens très fautif sur ce coup-là !).

[Rires] Et puis, comme il y a une prochaine édition de « Rainbow Man » qui va arriver, ce n’est pas gagné non plus !

Oui… mais je ne travaillerai pas dessus de la même manière : il n’y aura pas de « promo » …

Pendant longtemps, j’ai voulu faire un disque. Je signe un contrat pour en faire un, David Bowie décède, et là je dis : « ‘Pouce’ ! Je vais écrire quelque chose ». Je ne savais pas que ça durerait cinq ans, franchement !

Justement, revenons là-dessus. Je les ai devant moi (il suffit de taper « Rainbow Man » sur Internet pour voir de quoi on parle) : ce sont quand même deux « pavés gigantesques ». L’un est sorti en 2019, l’autre en 2020. C’est cinq ans d’une vie pour écrire ça ?

Oui ! C’est un projet dont je n’ai absolument pas mesuré l’ampleur. Je ne veux pas apparaître comme « le pauvre type à qui on propose tout », mais c’est exactement le cas !

Dans les deux mois qui ont suivi le décès de David Bowie, j’ai eu des propositions pour rajouter deux ou trois chapitres « à l’arrache » sur ce que j’avais déjà écrit…

Oui ! On oublie de dire que tu avais déjà écrit trois livres sur Bowie avant, c’est ça ?

J’ai écrit un livre qui a été réédité et enrichi deux fois : une fois chez Albin Michel et une fois chez 10-18.

Au décès de Bowie, je ne faisais pas ma « diva » mais j’avais dit : « Ne comptez pas sur moi ! ».

Je l’avais d’abord dit pour en parler le jour de son décès. Ce jour-là, Philippe Manœuvre m’a « passé un savon » au téléphone, à 200 bornes, le matin, en me disant : « On ne te demande pas si tu as envie de venir, tu viens ! Tu viens parler de David Bowie aux gens ! Ça fait 20 ans que tu les « bassines », il faut vraiment que tu sois là ! »

J’y suis allé. Je m’étais dit : « Si on me propose d’enrichir mon livre une énième fois pour que ça sorte avant Noël 2016, et éventuellement gagner des sous avec, je ne le ferai pas ». J’ai été qualifié « d’idiot » par beaucoup de gens : on me proposait beaucoup de sous pour ajouter deux chapitres à ce que j’avais déjà écrit.

J’ai finalement tout refusé, et j’ai reçu le coup de fil d’Aurélien Masson auquel je ne m’attendais absolument pas.

Il travaillait à l’époque chez Gallimard et y avait amené Patti Smith (Antoine Gallimard lui faisait confiance).

Aurélien Masson m’a dit : « Bonjour ! On ne se connaît pas, je m’appelle Aurélien Masson. J’ai cru comprendre que vous ne vouliez plus rien écrire sur David Bowie. Je respecte tout à fait ça. Néanmoins, si jamais une idée vous passe par la tête, quelque chose que vous auriez envie de faire, vous pouvez le faire chez Gallimard ».

Au début, je lui ai dit : « Vous êtes gentil, mais ça ne m’intéresse pas ». Puis, j’en ai parlé à mes proches et ils m’ont dit : « Réfléchis quand même ! Cela peut être l’occasion de faire quelque chose qui n’a jamais été fait ! ».

Quelque chose qui « reste » …

Oui… Je n’avais pas cette ambition-là, mais en tout cas, « quelque chose qui n’avait jamais été fait ».

Je le disais précédemment, dans la vie, je suis du côté de la Musique et des Musiciens. J’ai travaillé avec le Pianiste Mike Garson depuis les années 90 (il jouait sur mes disques) …

Un des Musiciens du Groupe de David Bowie à la fin…

Voilà. J’ai donc réfléchi, et je me suis dit : « Je vais proposer à Gallimard des trucs qu’ils ne vont pas pouvoir accepter. Ainsi, je n’aurais pas de regret ».

J’ai donc dit à Aurélien Masson : « Je veux bien, mais je veux faire un livre où je vais raconter comment les choses se sont passées, en espérant être au plus près du factuel ». Il y avait énormément de « conneries » écrites au sujet de David Bowie et de tous les Rockeurs. Je voulais donc être au plus proche de ce que David Bowie avait vécu.

Je lui ai dit : « D’abord, ça ne parlera que de la Musique. Je ne parlerai pas de Cinéma ni de Peinture. Je n’ai pas envie de parler de « cul » ou de ses histoires personnelles : je ne les connais pas. A-t-il couché avec Mike Jagger ? Peu importe (je l’espère…). Je ne veux pas parler de « fric » parce que, pour le coup, on ne connaît pas trop les histoires de Management (à un moment, on parle d’un contrat à 17 millions de dollars… Si ça se trouve c’est 25 millions ou 11 millions : personne ne le saura jamais et on s’en fout !). Je vais surtout essayer de raconter son histoire en étant au plus proche du factuel, et vais donner la parole à tous ces « gens de l’ombre » qui ont fait de la Musique avec Bowie, que ce soit des gens connus ou non… » (c’était relativement facile, j’en connaissais plein grâce à Rock & Folk).

Je suis ami avec Tony Visconti depuis longtemps…

Tony Visconti ?

… le Producteur de David Bowie. C’est lui qui a produit et coproduit le plus d’albums de David Bowie. J’ai traduit son autobiographie en Français.

J’ai donc proposé à Aurélien Masson de donner la parole à ces gens-là. Je me suis dit : « Si je donne la parole à des gens très connus comme Carlos Alomar (le Guitariste de Bowie), il va me dire oui… Si je donne la parole au ‘troisième Ingénieur du Son à gauche en entrant’, en pensant que comme il était là, ce type-là a peut-être quelque chose de bien à raconter, il va peut-être me dire que c’est une mauvaise idée… ».

A tout ce que je proposais, Aurélien disait tout le temps : « C’est une bonne idée ». J’ai dit : « Je voudrais faire ceci », « je voudrais faire cela », et à chaque fois il me disait que c’était une bonne idée. Au bout du compte, je me suis un peu retrouvé « pris au piège » de devoir le faire.

Là où ça a été difficile et où je n’ai pas vu tout le travail à faire, c’est que récolter les propos des Anglo-saxons, c’est quelque chose ! Il a d’abord fallu les récolter, les retranscrire et les traduire. Après, j’ai surtout été confronté à un « double problème » (je ne m’en suis rendu compte qu’une fois que j’avais signé mon contrat avec une date de remise du manuscrit que je n’ai absolument pas respectée). A partir du moment où, dans mon rédactionnel, je racontais des choses, je ne pouvais pas leur laisser les dire (sinon, ça aurait « doublonner »).

Il a donc fallu que je trouve un équilibre entre ce qu’ils apprenaient et ce que j’apprenais. Cela a été un vrai puzzle.

J’ai aussi parlé (surtout dans le premier volume) de gens qui ont vécu ces choses-là il y a trente ou quarante ans, et avaient peut-être déjà trente ans à l’époque. Je me suis donc adressé à des gens parfois âgés et qui, bien sûr, ne se rappelaient pas précisément de ce qui avait pu se passer il y a trente ou quarante ans.

En l’occurrence, beaucoup me disaient : « On va te répondre, mais si jamais on se trompe, merci de ne pas retranscrire bêtement nos propos. Fais toi-même des vérifications au niveau des titres, des dates, etc… »

Finalement, cette partie qui correspond aux pages de couleur dans « Rainbow Man » (les parties où les gens s’expriment) sont celles qui m’ont donné le plus de travail. C’est d’ailleurs ma femme qui a fait toutes les retranscriptions. On a vraiment travaillé à deux…

Et elles sont addictives ! Tout ça, ça donne quoi ? 300 entretiens, c’est ça ?

Oui, il y a à peu près 300 entretiens.

J’ai bien-sûr beaucoup interviewé de gens pour Rock & Folk (je continue à le faire d’ailleurs). Dans toutes les interviews que j’ai conservées, à chaque fois, quelqu’un me parlait de Bowie. Finalement, j’ai pu me retrouver avec Lars Ulrich de Metallica qui parle de Bowie à un moment (même si on ne s’y attend pas), Dave Gahan de Dépêche Mode se retrouve dans le livre parce qu’il m’a souvent parlé de Bowie…

C’est une espèce de patchwork avec essentiellement des gens qui ont vraiment travaillé avec Bowie, mais aussi avec des gens qui n’ont pas travaillé avec lui, mais qui sont des Musiciens Anglo-Saxons, « connus » ou « moins connus », qui peuvent avoir des choses intéressantes à dire (les Anglais utilisent le mot « relevant ») …

« Pertinent » …

Voilà, « pertinent ».

Ça peut aussi être le contraire : j’ai sollicité Amanda Leer (je la connais un petit peu), et elle m’a dit : « Jérôme, tu connais plus la musique de David Bowie que moi ! Qu’est-ce que tu veux que je t’apprenne ? Moi, je pourrais te parler de ce qu’il s’est passé ‘de manière horizontale’… mais je sais que ça ne t’intéresse pas ! ».

Pour les gens qui ne les ont pas encore vus, allez les « toucher » dans une librairie ! Tu parlais tout à l’heure de ces « pages de couleur » : elles sont oranges dans le premier volume et vertes dans le second. Ces livres ressemblent un peu à un zèbre : ils sont « hachurés ». C’est génial ! On comprend tout de suite qu’il y a une « entrée par période », c’est très chronologique…

Oui, par album…

Par album (tu as raison, pas « par période »). Derrière, il y a ton texte, ton analyse, et encore derrière, en couleur et en plus ou moins « gros » (sur la fin, c’est « très gros »), tout le monde s’exprime…

Oui ! Tout le monde réagit sur Blackstar !

Exactement ! J’ai des frissons rien que d’en parler, c’est incroyable ! Période par période, tu as tout le temps des citations incroyables ! Ça se « picore », ça se « dévore », en fait…

C’est « l’or » du livre, et ce n’est pas de la fausse modestie !

J’ai énormément sollicité les gens et il est arrivé un « effet boule de neige ». Des gens m’ont eux-mêmes sollicité en me disant : « Excuse-nous, mais on a cru comprendre que tu avais parlé à ‘machin’… »

[Rires] Tu ne nous as pas appelés !

Il s’est passé un « truc rigolo » (que je raconte) avec la Section de Cuivres du « Serious Moonlight Tour ».

Je n’avais interviewé qu’un seul de ses membres, en me disant : « C’est super ! J’en ai un… ». Quelques mois après avoir terminé le chapitre « Last Dance », un autre membre me contacte, en me disant : « Bonjour ! J’ai vu Stan Harrison dans un bar et il m’a dit que vous l’aviez interviewé. J’étais dans la même Section de Cuivres que lui et je veux bien vous en parler ! ». J’ai dit : « D’accord ! » …

Encore maintenant, on travaille sur quelque chose qui va s’appeler Rainbow +, avec une vingtaine de nouvelles interviews. J’ai parlé à Julien Temple (le Réalisateur de Absolute Beginners), et il m’a dit : « Est-ce que tu as parlé à telle personne ? ». Je lui ai dit : « Non… », et il m’a dit : « Tu devrais ! ».

Voilà… Ces gens sont venus vers moi.

Ce n’est pas pour rien que beaucoup de gens considèrent ça comme une « somme » et comme un « livre définitif » !

Ce n’est pas un « livre définitif ». Un « livre définitif » serait un livre qui couvrirait tout ce que Bowie a fait. Moi, je me limite à la musique. Je pense qu’il est relativement « définitif » sur la musique de David Bowie, avec l’analyse des gens qui l’ont aidé.

Parmi ces gens, il y a Tony Visconti, son Producteur historique, qui dit : « Bowie, l’Artiste, a toujours eu confiance en Soligny, l’Auteur ». Comment était votre relation ?

C’était une relation professionnelle (j’insiste toujours lourdement là-dessus). Je n’ai jamais dit qu’on était amis. Lui l’a dit (c’était très gentil de sa part), mais nous ne sommes pas partis en vacances ensemble et « n’avons pas gardé les cochons ensemble ». Une fois, il m’avait dit que le fait que je sois Musicien faisait qu’il me disait toujours : « Tu ne risques pas de me demander avec qui j’ai couché ! ».  

Il y avait vraiment une confiance…

Oui, mais avec les autres aussi !

J’ai fait une très longue interview pour « Rainbow Man » avec quelqu’un qui s’exprime dans les deux tomes et avec qui je m’entends très bien depuis très longtemps : Iggy Pop. Il m’a donné une « interview-fleuve » d’une heure et demie (ce qui pour lui est beaucoup !). A la fin, il m’a dit : « Je t’ai beaucoup parlé. Il y a des choses que tu peux utiliser, d’autres choses que tu ne peux pas utiliser. Je ne te demande pas de me montrer, je sais que tu sauras ce que tu ne peux pas utiliser ». J’ai respecté ça.

Je respecte ces gens-là parce que c’est ce côté-là que je connais : je n’ai pas forcément côtoyé que des gens du « calibre » des Musiciens qui ont joué avec David Bowie, mais je sais « ce que sont les Musiciens ». Je suis, par définition, du côté des Musiciens. C’est ce que j’aime, c’est ce que je sais faire, j’aime être en Studio, etc…

Je leur ai beaucoup fait parler de ça.

Il y a des gens qui se disent : « Quel est l’intérêt de savoir comment se sont passés les enregistrements ? Il n’y a que le résultat qui compte ! ». Pour moi, c’est un peu le contraire. Tant mieux si le résultat est génial, mais je trouve « rigolo » de savoir comment les choses se sont passées, en tous les cas sur le plan artistique.

On aimerait bien te faire parler de tout, mais on va être obligés de se limiter si on veut tenir dans le format – même plus long que d’habitude – de « Sold Out ». Si tu veux bien Jérôme, on va essayer de parler de David Bowie « en live » et en France.

On va se limiter à une période particulière, celle qui a commencé avec Alain Lahana, en France (on va un peu « passer » sur le premier tome et directement « sauter » dans le deuxième tome). Tu le disais, Alain a été son Producteur Français, « essentiel » pour avoir plein d’idées.

On va commencer, si tu veux bien, en 1991, à Saint-Malo (Alain nous en parlait dans le premier épisode de « Sold Out »). Que se passe-t-il à ce moment-là ?

Il se passe ce que vous a dit Alain. En l’occurrence, c’est une requête. Je ne suis même pas sûr qu’elle soit passée par John Giddings (le Producteur des spectacles de David Bowie, qui négocie avec chaque territoire, et qu’Alain connaît très bien). A cette époque-là, David cherchait un endroit pour répéter avec Tin Machine, et être relativement tranquille. Ils étaient allés en Irlande, etc… et avaient finalement posé la question à Alain.

Il se trouve qu’Alain était beaucoup à Saint-Malo pour des raisons familiales (je ne rentre pas dans les détails, je ne les connais pas exactement... on s'en fout ! [Rires]. Il a dit à David (via John Giddings ou peut-être même directement) : « Je connais un endroit plutôt pas mal. A ce moment-là, ils pourraient venir à Saint-Malo, loger à l’Hôtel des Thermes qui est quand même plutôt sympathique… » (un grand hôtel avec thalasso) « … il y a aussi cette espèce de cinéma-théâtre intra-muros dans lequel il y a des films-documentaires sur le Monde etc… ».

Les Anglais ont dit : « Oui ! Bonne idée ! », et en septembre, Alain a donc très discrètement fait venir Tin Machine et David Bowie à l’Hôtel des Thermes. Il y avait Henry McGroggan (le Tour Manager de Tin Machine à l’époque, aujourd’hui Manager d’Iggy Pop).

Les répétitions de la deuxième tournée de Tin Machine : « It’s my life », ont donc eu lieu à Saint-Malo.

L’anecdote marrante qu’Alain a forcément déjà racontée, c’est qu’à la fin, David a dit : « Ce serait peut-être pas mal qu’on fasse un petit concert ! »

Ce qui n’était pas prévu : ils étaient juste là pour préparer le spectacle…

Exactement ! Ce n’était pas prévu.

Ils ont donc improvisé un concert, et le matin-même, Alain m’a appelé en me disant : « Ce soir David va jouer, il faut que tu sois là ». J’ai donc pris ma bagnole et j’y suis allé. Il avait prévenu d’autres amis, il y avait des Musiciens de Rennes, je crois que Franck Darcel était là…

Il y a donc eu un petit concert improvisé dans le théâtre. David n’était pas dans la plus grande forme du monde (il avait un peu mal à la gorge), mais le concert était sympa. C’était un concert gratuit, mais David avait dit : « Ce qui serait bien, c’est que les gens donnent ce qu’ils veulent comme sous ».

Les gens n’ont pratiquement pas donné de sous. Alain en était malade. Il a donc « glissé » deux billets de 50 euros dans le panier pour que David ait l’impression que des gens avaient donné…

C’était sympa ! Bowie voulait qu’il y ait un peu de décoration, mais il n’y avait rien ! Ils sont donc allés acheter du papier-crépon et du fil de fer dans une droguerie, pour faire des têtes de poupées…

On a du mal à imaginer ça, quand même…

Oui… Je crois qu’Alain avait fait des flyers pour les distribuer à la sortie des écoles (non pas avec une photocopieuse, mais avec une poly-copieuse qui sentait l’alcool), et les gens ne le croyaient pas ! Il distribuait des flyers en disant : « Ce soir il y a un concert de David Bowie dans le théâtre », et les gens disaient : « Qu’est-ce qu’il nous raconte ? ». Voilà pour l’anecdote…

Je l’avais oublié, mais c’était une époque où Tin Machine était vraiment le Groupe qui était « premier » !

David Bowie « se fondait dans le Groupe » …

C’est ce qu’il a essayé de faire ! C’est le Groupe de sa « renaissance ». C’est un Groupe qu’il a monté avec le Guitariste Reeves Gabrels qu’il avait rencontré dans les années 80. Reeves a dit à Bowie à quel point il se fourvoyait dans les années 80, et a eu le courage de lui dire : « Tu devrais retourner à tes racines… ».

J’ai énormément sollicité Reeves pour le tome 2. C’est un mec absolument admirable, qui a remis David Bowie « sur des rails » qui n’ont évidemment pas été appréciées par tout le monde : Tin Machine est un Groupe de Hard Punk…

Ce qu’il faut dire aux gens qui ne connaissent pas bien Bowie, c’est que dans les années 80, il a eu une « période Top 50 » …

Oui. Il a eu cette période « très commerciale », avec un album surtout. On se rappelle surtout de Last Dance, China Girl, Modern Love

Une période un peu « opportuniste » …

En fait, ça aurait été « opportuniste » s’il avait prévu d’avoir du succès. Personne ne peut prévoir d’avoir un succès de cette ampleur ! Il espérait que ça marche, mais il ne savait pas qu’il allait en vendre à ce point !

En fait, son « succès global » lui a « fait un croche-pied » : il l’a mal vécu !

Il a toujours apprécié la notoriété (le problème n’est pas là), mais il s’est toujours un peu considéré comme un « mec de l’underground ».

Forcément, cela fait rire tout le monde, mais le fait est que c’est vrai. Au niveau de ses goûts artistiques, il n’aimait que des choses comme l’Art Contemporain, qui ne sont pas forcément des « trucs » qui vendent énormément : ce n’est pas de la Culture populaire.

Il s’était donc retrouvé à faire des « choses populaires » dans les années 80, et à le vivre moyennement. Il avait perdu le « sens de sa musique », quelque part. Ce n’est pas facile de dire ça de façon catégorique, parce que même sur ses albums qui ne sont soi-disant « pas bons », il y a toujours de très bonnes chansons. Sur l’album Tonight, il y a la chanson « Loving the alien » qui est quand même une « tuerie totale » …

Il y a beaucoup de lives à la fin…

Je suis désolé, mais aux gens qui me disent : « ‘Never let me down’, c’est de la merde », je réponds que j’aurais bien aimé écrire cette chanson ! Le fait est qu’au niveau sonore, c’est quand même un peu « douteux », et que ce n’est pas du calibre de « Ziggy Stardust » ou de « Heathen », c’est le moins qu’on puisse dire.

Il est donc un peu pommé, et certains journalistes ne vont pas croire en Tin Machine, surtout en Angleterre. Ils ne vont pas du tout apprécier…

En disant : « C’est trop indépendant pour être honnête ! »

Oui, et puis : « Qu’est-ce que c’est que cette histoire d’une Superstar qui veut se cacher dans un Groupe ? ».

Ils faisaient leurs interviews à quatre, par exemple…

Il y a même des Journalistes qui l’ont très mal vécu. Ils avaient l’habitude d’échanger avec David Bowie, qui était toujours brillant en interview : un peu cynique et drôle…

A quatre, ils étaient quand même brillants ! J’ai eu la chance d’interviewer Crosby, Stills & Young. On se dit qu’avoir ces trois « monstres » en interview doit être « terrible » et qu’il vaudrait mieux les avoir séparément. En fait, c’était un grand moment journalistique : ce sont effectivement des personnalités « plus grandes que nature » !

Avoir David Bowie et les trois Tin Machine en interview était aussi quelque chose de très « spécial ». En Angleterre, les gens n’ont pas voulu jouer le jeu. Ils prenaient des photos de Tin Machine puis ne mettaient que David en couverture et enlevaient les autres membres.

David Bowie s’est beaucoup déguisé en des personnages différents pendant toute sa carrière. On peut presque dire qu’à un moment il s’est « déguisé en Groupe » !

A un moment, vient la fin de Tin Machine, qui en fait n’a pas vraiment « pris » …

… qui lui a permis « d’exister autrement ». Il disait que ça lui avait « sauvé la vie », et on est plusieurs à penser que…

… que ça l’a remis dans le « droit chemin ».

Oui, ça l’a vraiment relancé ! Ça a redonné un sens à son Art, qu’il était en train de perdre.

Au tournant des années 1992 – 1993, il vit même à New York et s’entoure des Musiciens qui vont l’accompagner presque jusqu’à la fin. Il entame la dernière partie artistique de sa vie (qui va encore se réinventer plein de fois). A partir de ce moment-là, une « colonne vertébrale » va exister dans ce qu’il va faire sur scène…

Oui, ce n’est pas un secret : cela correspond à sa rencontre avec Iman, sa deuxième épouse, avec qui il va trouver une stabilité que je pourrais qualifier de « domestique », qu’il n’avait jamais connu.

Son premier mariage a été un peu « Wild in Public » comme on dit. C’était à l’époque de « Ziggy Stardust ». Angie elle-même était brillante, mais « grande gueule » … ce n’était pas un couple qui passait inaperçu. C’était au moment de l’explosion du Glam Rock. Il y a eu ensuite le « Diamond Dogs Tour » avec ses grands décors… Plein de choses très « visibles » et très « show off ».

Dans les années 90, il va rencontrer Iman. Il va lui déclarer sa flamme à Paris, sur un bateau-mouche (si ce n’est pas mignon ça !), et lui demander sa main. Ce n’était pas un bateau-mouche où il y avait des gens, je crois qu’ils en avaient privatisé un…

[Rires] Quand même !

Moi, si je le fais sur un bateau-mouche, il y aura plein de gens autour !

Finalement, il va trouver avec Iman une sorte d’équilibre, quelque chose qu’il va apprécier : avoir une routine de vie. Non pas celle de « Monsieur Tout-le-monde », mais pouvoir lire la presse le matin, prendre un café, lire, travailler…

A partir du moment où il a rencontré Iman, il quittait le studio à 18h00 pour rentrer dîner chez lui, le lendemain il disait : « On se retrouve à 9h00 » … Sa vie n’était pas du tout devenue « rangée », mais…

Il y avait un cadre.

… c’était une vie avec un cadre, accentué par le fait qu’ils allaient avoir un enfant.

N’ayant pas exactement été là au tout début de la vie de son fils aîné, il avait tenu à s’occuper aussi de sa fille. Il allait faire ce que font tous les papas du monde : la conduire à l’école, l’emmener au parc, aller faire des courses avec elle… New York lui donnait une forme d’anonymat qu’il allait apprécier (il n’aurait pas pu faire cela à Londres, par exemple).

A partir de ce moment-là, il y a plein d’albums et plein de « nouvelles périodes » de David Bowie. J’imagine que tu as été de toutes ses « périodes » en France, qu’il n’y en a pas une que tu as ratée à partir de ce moment-là…

Oui ! J’ai rencontré David Bowie grâce à Rock & Folk. Un jour, Philippe Manœuvre m’a dit : « Jérôme, il y a une interview, il faut que tu y ailles ! ».

« Bon, tant pis ! » [Rires]

Ce n’était pas un « truc » où j’essayais d’avoir un autographe ou quoi que ce soit. Là, j’y allais pour poser mes questions…

Etais-tu déjà un « immense fan » ?

Oui, bien-sûr ! J’avais déjà écrit mes bouquins. J’ai eu « l’idole qui descend du poster », ça c’est clair !

On ne peut pas dire que ce sont des rencontres anodines. On ne peut pas être blasé de ce genre de « truc ». Ça me le fait avec plein de gens. J’ai eu la chance de beaucoup côtoyer Paul McCartney ou Bryan Ferry, qui sont des gens que j’adorais quand j’étais môme. On ne peut pas être indifférent au fait de les voir.

Je n’ai jamais été fan de Bob Dylan. Je l’ai vu sur scène, mais je ne l’ai jamais croisé et ne lui ai jamais serré la main.

Je pense que j’en serais très impressionné aussi ! Ce sont des « monuments ».

David Bowie, comme Paul McCartney, fait partie de ces gens qui mettent tout le monde très vite à l’aise. On n’oublie jamais qui ils sont, mais ce n’est pas un « poids ». Ce n’est pas « Je n’ose pas vous parler, tellement… » : ils font tout pour qu’on ne soit pas dans cette situation-là. C’est terriblement important.

Je suis effectivement beaucoup allé l’interviewer au tout début des années 90, et j’ai fait sa dernière interview, qu’il a donné à Rock & Folk, en France, en 2003.

Un autre Journaliste de Rock & Folk lui parlait relativement souvent : mon alter-ego Eric Dahan, un type absolument charmant, que j’aime beaucoup et qui a préfacé mes livres. Eric y est allé les fois où je n’y suis moi-même pas allé.

Je n’allais pas « squatter » ou « monopoliser » David Bowie. Ce n’est d’ailleurs pas moi qui décidais d’aller lui parler. C’est le Rédacteur en Chef qui disait qui allait parler à qui.

Une relation s’est installée, et Alain Lahana y a joué un grand rôle.

Sachant que David n’avait rien contre le fait que je sois en backstages après les concerts, et parfois avant, j’y suis souvent allé à chaque fois qu’il venait en France et même ailleurs (à Londres et aux Etats-Unis). Il y avait une proximité toute professionnelle, mais sympathique.

Il faut savoir que David Bowie était quelqu’un qui demandait tout le temps l’avis de personnes qu’il estimait être « de confiance ». Non pas des personnes qui lui disaient qu’il était extraordinaire, mais des personnes à qui il pouvait dire : « Que penses-tu du fait que je mette ce morceau-là à la place de celui-là ». Il s’est avéré qu’Alain ou moi-même répondions aux questions en se disant : « Il nous le demande, donc on va répondre », et nous nous sommes rendu compte qu’il tenait compte de ce qu’on avait dit. Ce n’était pas un « truc en l’air » !

La fameuse fois à Saint-Malo, après le concert, on a mangé dans une pizzeria. Corinne « Coco » Schwab, l’Assistante de David, avait mangé avec nous. David était resté à l’hôtel. A moment donné, le téléphone sonne, et Coco dit : « Tiens, justement : avec Jérôme et Alain on est en train de parler de l’ordre des morceaux… ». David dit : « Oui, justement, demande-leur ce qu’ils pensent de… ». Avec Alain, on a dû dire : « Il faudrait peut-être mettre ce morceau-là au début ou à la fin… ».

On s’est rendu compte à Paris qu’il avait suivi notre conseil ! Il nous a dit : « Vous avez vu ? J’ai fait ce que vous avez dit ! Vous aviez raison, c’est mieux ! ». Là, on ne se dit pas : « Il a fait ce que j’ai dit ! », on se dit : « Ce mec est à l’écoute ».

Il est David « fucking » Bowie ! Il pourrait se dire : « Qu’est-ce que je vais aller demander à Jérôme Soligny ce qu’il en pense ? ». Il avait toujours cette curiosité-là. Il n’y a pas eu un concert en France où il ne m’a pas demandé, à un moment donné (souvent après) : « Et sinon, qu’écoutes-tu en ce moment ? ». Après ça a été : « Qu’est-ce que tes enfants écoutent ? ». Il a vu mon fils tout petit, il l’a vu adolescent. Il s’intéressait beaucoup à ce qu’écoutaient les jeunes. C’était quelqu’un qui était super curieux.

Le backstage de David Bowie n’était pas un « truc où on picolait comme des trous ». C’était un endroit où on parlait d’Art. Nicolas Godin (Air) raconte qu’il demandait toujours ce qu’il y avait comme expositions à voir. Il parlait de Peinture avec Eric Dahan, il parlait Littérature… C’était riche, et enrichissant.

Ce n’était pas du tout une ambiance de fête…

Non, mais les Musiciens « picolaient un coup », comme ça se fait toujours. Même si je n’ai absolument pas connu ceux des années 60 ou 70, j’ai vu des backstages dans les années 80 ou 90 où c’était un peu « destroy » (ceux de Nirvana ou de Marilyn Manson, par exemple). Avec Bowie, ce n’était pas comme ça. On pouvait y passer une heure, mais on parlait surtout d’Art, de ce qu’on avait pensé de tel film… un peu comme avec McCartney.

Je me rappelle d’un backstage avec McCartney à l’Olympia, où il y avait plein de gens : Laurent Voulzy, Chrissie Hynde et The Pretenders, Matthieu Chedid, etc… On parlait de ce qu’on écoutait, de ce qu’on aimait, de Cinéma…

J’ai dernièrement été sollicité par le Collège de la Philarmonie pour y donner deux conférences à l’occasion de l’Exposition « David Bowie is… » à la Philarmonie de Paris en 2015. Je les ai réunies dans un petit bouquin qui s’appelle « David Bowie ouvre le chien ». L’une d’elles s’appelle « David Bowie et la France ».

Comme c’était sur la France, j’ai demandé à David Bowie de me donner trois mots qui, pour lui, caractérisaient la France. C’était la dernière fois que l’on échangeait directement. Il a mis dix minutes à me répondre trois mots.

Bien-sûr, je ne vais pas dire ces trois mots : ils sont dans le bouquin… [Rires]

Tu peux nous le dire, quand même… [Rires]

Non ! Il faut aller dans une bibliothèque, même si ce n’est pas pour l’acheter !

Ce que je veux dire, c’est qu’il a mis deux minutes à me répondre ! Sa relation avec la France était telle qu’il avait du répondant. Il connaissait bien les Artistes Français. Il blaguait toujours avec Johnny Hallyday (qui est un peu la « tête de Turc » de tous les Rockeurs Anglo-saxons). Avant que Johnny ne décède, même McCartney disait : « Et ce pauvre Johnny, comment va-t-il ? ».

Il a apprécié les chansons de Jacques Brel (même s’il n’est pas Français), il connaissait bien Edith Piaf, il savait très bien qui était Serge Gainsbourg, etc…

Dans tes ouvrages, quand on lit les propos d’Alain Lahana, on comprend qu’il y a des concerts qui se montent « un peu à l’arrache », comme au Parc des Princes, en 1997. Deux ans plus tard, l’Elysée-Montmartre devait être un showcase et devient finalement un concert. Il y a tous ces moments-là. En gardes-tu un souvenir ?

L’un des talents de David Bowie était de s’entourer des « bonnes personnes ».

Une fois que les « bonnes personnes » étaient autour de lui, que ce soit au niveau des Musiciens, des visuels, des clips, des gens qui allaient sur la route pour donner des concerts, des équipes techniques, des Ingénieurs du Son (à qui j’ai parlé), si une suggestion était faite par ces gens, il écoutait. Il n’était pas dans la « dictature » de vouloir tout contrôler et de dire : « C’est moi qui décide de tout ! ». Il faisait tout le contraire, et donnait parfois même de la liberté aux gens qui étaient autour de lui. Ces gens étaient les premiers à dire : « Tu es sûr que tu as besoin de notre avis ? ». Il disait : « Mais oui ! C’est pour ça que je vous paie, pour avoir un avis. Je ne vous paie pas pour faire ce que je vais vous dire de faire, sinon, je paierais n’importe qui moins cher ! Je vous paie pour avoir des idées ! ».

Quand Alain savait qu’il devait essayer de transformer quelque chose qui devait juste être un showcase pour les Médias (par définition, un « truc chiant »), il disait : « A ce moment-là, on n’a qu’à en faire un vrai concert ! Ça va forcément créer l’émeute : c’est l’Elysée-Montmartre et c’est David Bowie ! ».

Il ne le faisait pas pour « créer l’émeute », mais se disait que ça ferait plaisir au peu d’amateurs et de fans qui seraient là. C’est exactement ce qu’il se passait : tous les jeunes qui, à l’époque, avaient acheté leur billet pour être à ce concert-là, en parlent encore (même s’ils sont moins jeunes aujourd’hui). A l’Elysée-Montmartre, ils allaient avoir David Bowie à cinq mètres d’eux !

Si Alain Lahana disait à David Bowie : « Ce concert est devenu un showcase », David lui disait : « Si tu le dis ! ».

Dès le milieu des années 90, pendant la tournée « Outside » qui a été prolongée par des festivals, il est arrivé qu’il y ait, entre deux villes françaises, quatre ou cinq jours libres. Plutôt que de payer un Relais & Châteaux où les « mecs » seraient restés à « attendre que ça se passe » jusqu’à la prochaine date, David Bowie ou John Giddins disait à Alain Lahana : « Si tu peux caser quelque chose… », et Alain « casait » une autre date.

C’est comme ça que David s’est retrouvé à jouer dans des villes relativement improbables, pour le plus grand bonheur des gens qui y venaient. Finalement, il y avait 4 000 ou 5 000 personnes dans un gymnase, alors que ce n’était pas du tout prévu !

Il avait envie d’être sur scène.

Il faut avouer que les années 90 sont le moment où David Bowie a consécutivement beaucoup aimé les Groupes avec lesquels il a joué en France (comme la « version allégée » du Groupe de « Outside », avec uniquement Mike Garson au piano, Reeves Gabrels à la guitare, Gail Ann Dorsey à la basse et Zachary Alford à la batterie, plus, disons-le quand même surtout si des Techniciens nous écoutent, non pas forcément des bandes mais des DA-88 qui tournaient avec de la musique dessus et des chœurs pré-enregistrés…).

C’est quoi des « DA-88 » ? Des synthés ?

Non. Les « DA-88 » sont des enregistreurs numériques.

Par exemple, quand David Bowie chantait « All the young dudes », il y avait tous les chœurs alors que personne ne les chantait ! C’est comme pour Cold Play : s’ils jouent ou qu’ils lèvent les mains, il n’y a aucune différence.

[Rires] A ce point-là ?

Oui ! A ce point-là !

Toujours est-il que c’était un Groupe « léger », une formule qui lui a énormément plu. C’est pour cela qu’il a fait plein de festivals qu’Alain lui avait suggérés à l’époque, parfois jusqu’à se fatiguer !

Bien-sûr !

Il faut savoir que c’est en France qu’il y a eu pas mal de dates annulées. Il y en a aussi eu ailleurs, après son problème cardiaque. Avant ce problème survenu en juin 2004, il y a eu des « trous ». Pourtant, il adorait les Musiciens. Il est reparti sur la route en 2003 et en 2004 (après avoir tourné en 2002) parce qu’il avait énormément de plaisir à jouer avec ces gens-là.

J’ai toujours eu envie de poser une question (peut-être un peu taboue).

J’ai beaucoup vu David Bowie sur scène « sur la fin », avec un Groupe d’un niveau exceptionnel, « stratosphérique ». Je trouve que Sterling Campbell est un Batteur qui « envoie vraiment du lourd » (on a l’impression qu’il frappe comme bûcheron !), alors que d’autres Musiciens sont au contraire très subtils…

Cette alchimie-là m’a toujours étonné ! As-tu une analyse là-dessus ?

Il a « utilisé » deux Batteurs à la fin : Sterling (dont tu parles), qui était effectivement celui de la tournée « Reality », et Zacchary, qui correspond à la période d’avant. Je crois que les deux ont joué sur tous les disques jusqu’à la fin, à l’exception de « Black Star ».

C’était un peu selon les disponibilités de chacun. Zacchary aurait pu continuer, mais il était parti avec Bruce Springsteen. Il a donc fallu prendre Sterling. A un moment, Sterling est allé avec le Groupe B-52’s. Il a donc fallu que Zacchary revienne un peu. Quand on est Musicien, il faut bien vivre : quand on ne joue pas avec David Bowie, on n’est pas payé par David Bowie. Il faut bien aller faire autre chose !

Ce Groupe-là était-il en « parfait équilibre » ? Cela dépend…

C’était pareil pour les Guitaristes. Earl Slick était le « clin d’œil au passé », comme Mike Garson (qui était de la « vieille école » et qui était là dès 1974). Trente ans après, ils étaient toujours là !

Et Jerry Léonard.

De l’autre côté, il y avait Jerry Léonard, un « Guitarfreak » et Musicien admirable, qui jouait notamment avec Susan Vega et aussi Marc Plati qui a beaucoup été là. Jerry est arrivé au moment où Marc est parti avec Robbie Williams.

Marc est un « vrai » Arrangeur, un « vrai » Producteur » qui est multi-instrumentistes : il peut jouer des claviers, de la guitare, de la basse (je crois que c’est dans « Achieves to achieves » où il joue de la basse).

C’était un excellent Groupe avec des gens qui, pour moi, étaient un peu comme Paul McCartney ou xxxx [43:45 – Nom de personne non compris] dans un registre qui n’est d’ailleurs pas si différent ! C’était le fait d’avoir de jeunes Musiciens qui avaient tout compris à la « musique de l’ancien » et la jouaient en la respectant.

En France, on a effectivement eu tout le loisir de voir ça, puisque David Bowie a beaucoup joué avec ses « Groupes de la fin ».

J’ai ce souvenir au Zénith de Paris, sur la tournée « Heathen ». On est en 2002, c’est son avant-dernière tournée en France (la dernière était en 2004), et il s’amuse parfois à fredonner « Space Oddity », un morceau qu’il ne joue plus du tout depuis les années 90.

C’est un autre élément qu’on voit beaucoup dans tes livres : l’humour et le côté un peu taquin de David Bowie…

Oui ! On peut dire qu’à partir des années 2000, il va arrêter de jouer des personnages. Il dira : « Je n’ai plus besoin de me dissimuler derrière des personnages et des masques… », et va donc « se réconcilier avec son Répertoire ».

David Bowie était capable de dire tout et son contraire. Il ne s’en est pas privé. Il a aussi dit : « Il y a des chansons que je ne jouerai plus jamais », et qu’il a en fait jouées jusqu’à la fin de sa vie !

Cela a eu un rapport avec ce qu’il vivait en tant qu’homme : il était plus apaisé et avait retrouvé un équilibre familial. Il prenait du bonheur dans cet équilibre, chose qui ne lui était peut-être pas arrivée pendant son précédent mariage (une fois de plus, je ne veux pas m’avancer là-dessus, mais le fait est qu’il avait l’air radieux).

Dans toutes les dernières interviews, il commençait par me montrer des photos de la petite en train de grandir, de « Bowie à Disneyland », de « Bowie le jour de la fête des pères » … Son portefeuille était plein de photos qu’il montrait ! Ce n’était pas quelque chose de tabou.

Il était heureux, et cette sérénité l’a remis en contact avec ses vieilles chansons.

Il savait que les gens étaient là pour ça. Il ne pouvait pas toutes les jouer (sur la dernière tournée, il avait répété entre 60 et 70 titres !), mais certains soirs, il était capable d’imposer des albums complets à ses Musiciens !

Je l’ai vu jouer l’album « Low » en entier, sauf un morceau (on dit toujours qu’il a fait « Low » en entier, mais il n’a pas joué l’un des morceaux). Il y a eu des concerts où il a joué l’intégralité de « Low », puis l’intégralité de « Heathen », par exemple. Il fallait donc quand même tout bien maîtriser !

Le lendemain, il pouvait dire : « On va jouer beaucoup plus de tubes ». Les « mecs » avaient donc intérêt d’être à l’affut, sachant qu’il avait tout « transposé » : il n’était plus capable de chanter beaucoup de chansons dans la tonalité d’origine. Je pense que le fait de changer de tonalité n’était pas un problème pour Mike Garson, mais que quand c’était des suites d’accords comme dans « Quicksand » …

David Bowie, c’est de la « fausse musique simple » !

Tu as raison de le dire ! Quand on va voir des concerts d’Artistes internationaux, souvent, la setlist bouge à peine d’un soir à l’autre. Il y a des positions dans le set où l’Artiste peut faire des chansons un peu différentes (même de grands Artistes Français font ça, c’est très « mécanique »). Le nombre de morceaux que David Bowie répétait est incroyable ! Si tu me parles de 60 à 70 morceaux, le concert que tu voyais en début de tournée ou en fin de tournée ne devait pas être le même…

Je ne sais plus si c’est dans « Rainbow Man » ou dans « David Bowie ouvre le chien » qu’Alain Lahana raconte qu’il arrivait que David lui demande quelles étaient les setlists dans les villes où il était déjà passé…

C’est dans « Rainbow Man ».

… pour ne pas rejouer les mêmes choses !

Il les consultait lui-même…

Par exemple, s’il voyait qu’il avait fait « The Jean Genie », il disait : « Tiens, on va leur faire « Rebel Rebel » ».

C’est incroyable !

Il avait un vrai respect du Public sur un plan artistique. Il ne voulait pas « servir la même chose », d’un air de dire : « C’est une recette qui marche ». Il faut savoir qu’il était toujours « dans le challenge ».

Dans la tournée « Outside », que j’ai d’abord vue aux Etats-Unis…

En 1995…

… Il n’y avait pas de Première Partie, mais une double-affiche avec le Groupe Nine Inch Nails avant lui.

Le problème, c’est qu’à ce moment-là, Nine Inch Nails était « au sommet de la vague ». Pour leurs « amateurs », David Bowie n’était « rien, ou presque ». Il était juste « le mec dont Michael Trent Reznor parlait en en disant le plus grand bien ».

Il y avait donc un concert de Nine Inch Nails qui était une « folie ». C’était une espèce de « section » avec David Bowie et Nine Inch Nails, où les fans de Nine Inch Nails commençaient à « trouver le temps long ». Quand il n’y avait plus que David Bowie, les fans de Nine Inch Nails « se barraient » !

Avec Eric Dahan, nous avons vu des salles se vider d’un tiers pendant le passage avec David Bowie !

Les Journalistes Français disaient : « Nine Inch Nails a fait la Première Partie… », mais non ! C’était une double-affiche relativement redoutable pour David, mais il avait décidé que c’était un « challenge artistique » de plus à relever, et ça ne le dérangeait pas.

En plus, à cette époque-là, il jouait 70 % ou 80 % de l’album « Outside » qui venait de sortir, et que personne ne connaissait ! Il a donné le premier concert de la tournée « Outside » à Hartford, Connecticut, le jour de la sortie du disque.

Donc, personne ne le connaissait…

Il imposait donc un disque que personne ne connaissait, avec trois ou quatre morceaux repris de son propre Répertoire mais qui n’étaient pas connus, et « My Death » de Jacques Brel.

« Toujours dans le challenge », avec des setlists interminables, ou qui changent d’un soir à l’autre…

C’était aussi pour « se challenger lui-même ».

Je dis toujours qu’il ne faut pas croire qu’il ne faisait ça que pour les autres. Il était capable de s’ennuyer de lui-même ! Quand un enregistrement de disque était trop long (comme celui de « Outside », par exemple), le disque que l’on retrouvait dans les bacs n’était pas le même que celui qui était envisagé au départ.

Il était incapable de passer un an et demi sur un projet. Il y avait trop de choses qu’il écoutait. Il disait : « Tiens, j’ai entendu tel « truc » ; tiens, il y a tel Musicien que j’aime bien. Il n’a qu’à venir jouer, … ».

David Bowie était « mouvant ».

La question est peut-être un peu "bateau", mais dans toute cette période, y a-t-il pour toi un soir, une date, un concert ou un moment au-dessus des autres ?

Oui. Ça va me faire un peu "la ramener", mais c'est vrai. Alain en est témoin (c'est en partie grâce à lui et à Coco), nous nous sommes retrouvés devant l'Elysée-Montmartre avec ma femme, au moment où David y est rentré...

En 1999, donc...

... en 1999.

David rentre et se faufile dans la salle. Coco est en train de parler avec Alain et voit que je suis là... Coco et Alain nous font signe de rentrer dans la salle et on se retrouve devant la scène. L'Elysée-Montmartre est vide (il y a trois ou quatre techniciens), il est très tôt (il doit être 18h00 ou 18h30). J'imagine qu'ils ont mangé un morceau après...

Le fait est qu'on était dans la salle et Coco m'a dit : « Ça me fait bizarre que tu sois là ! ». Je lui ai dit : "A moi aussi ! Merci !". En plus, nous n'avions pas trop envie de « faire la queue » (on l'aurait faite s'il avait fallu ! On l'a faite plein de fois ! [Rires])

A ce moment-là, David et Mike sont arrivés sur scène et ont joué "Life on Mars ?" devant nous, comme ça...

Ouaw !

Il n'y avait que nous deux. On était « à trois mètres d'eux » !

David m'a fait signe de la tête, il a dit : "Salut Sophie !", etc... (on était déjà bien contents).

Il finit le morceau, Mike me fait des sourires, etc... (cela fait déjà 10 ans que je connais Mike à ce moment-là).

Puis, à la fin de la chanson, il regarde Sophie et dit : « Alors Sophie, qu'en as-tu pensé ? Je ne demande pas à Jérôme parce que je passe mon temps à lui demander ce qu'il pense de notre musique. Pour une fois, ce n'est pas à lui que je demande, c'est à toi ! »

Sophie vient de « se prendre « Life on Mars ? » en piano-voix dans la tête » et a trouvé ça magnifique. Elle dit : "Well, I loved it" (ou je ne sais pas ce qu'elle a pu dire de « bête »).

David dit : « Je suis content que vous soyez là ! On se voit tout à l'heure ! ».

C'est un beau souvenir... Comme tous les gens, j'ai aussi des souvenirs de quand j'étais dans la fosse... Je crois qu'à l'Olympia, on devait être sur le côté droit, avec Jean-Louis Aubert et toute la bande, et quand David a vu qu'on était là, il nous a fait signe en chantant « Everyone says Hi ! ».

Alain le raconte dans un de ses livres, Jean-Louis Aubert était fan de David Bowie et s'était fait embaucher comme "Rodie" pour le voir !

Oui ! David Bowie a été d'une générosité énorme avec tout son Public !

Ce n'était pas « mieux quand on le connaissait » : il était « cool » avec tout le monde !

« Le David Bowie que j'ai côtoyé » était effectivement plus apaisé que « le David Bowie des années 70 », qui était certainement un autre personnage.

Vers la fin, il y a deux dates « atroces » qu'on a envie d'oublier : janvier 2016 : sa disparition, et une première disparition : celle de la scène, en 2004. Je l'avais vécu en tant que spectateur, « à distance », sur Internet, mais j'avais complètement oublié que les membres du Groupe qui était avec lui ne s'était jamais vraiment rendu compte que c'était leur dernier concert avec David Bowie !

Ça s'est arrêté un peu "en queue de poisson" cette histoire, à cause de son accident en 2004...

Oui ! Il va avoir un premier problème et un deuxième deux jours après...

Ça se passe à Prague et en Allemagne, c'est ça ?

C'est ça ! Le 23 juin, je crois...

On arrive dans des "choses qu'on ne sait pas"... Elles n'ont jamais été officiellement déclarées (il y a peut-être des gens qui ont des sources que j'ignore et qui pourront dire exactement ce qu'il a eu, mais à priori on n'en sait rien).

On sait que c'est un problème cardiaque, qui s'est manifesté pour lui comme une espèce de pincement à l'épaule.

Ce n'est pas trop étonnant : c'était une tournée épuisante, il avait été en Australie juste avant, il était dans le bus avec tout le monde, il était "parti comme en 14"… et il va y avoir une espèce "d'alerte" comme ça.

Finalement, le Groupe n'a pas été tenu au courant, il n'est pas "tombé" sur scène comme plein de gens l'ont raconté, et il a fini le concert comme il a pu.

En revanche, il s'est certainement évanoui dans les coulisses. Il est parti à l'hôpital. Il a certainement dû recevoir des soins en Allemagne, puis il est retourné aux Etats-Unis, où il y a eu une convalescence.

Après, il y a eu une espèce de période assez "floue" (il y a encore une fois des gens qui "prétendent savoir"… Personnellement, je n'en sais rien).

Tout ce qu'on sait, c'est qu'il n'a plus jamais joué en live...

Il a fait des apparitions furtives avec Arcade Fire et Alicia Keys... Des choses qui n'ont pas été filmées et des choses où l'on voyait qu'il n'était pas excessivement à l'aise.

La dernière "belle chose" qu'il a pu faire, il l'a faite avec David Guilmour, au Royal Albert Hall, où il a chanté deux chansons : une de Syd Barrett et "Comfortably Numb" de Pink Floyd (à l'invitation de David Guilmore).

Effectivement, il n'y aura plus jamais de tournée de David Bowie.

Cela est peut-être effectivement dû à des problèmes de santé pendant cette décennie d'absence, mais les éléments n'ont jamais été communiqués officiellement. Tout n'est donc que "conjecture". On ne peut pas dire : « Il s'est passé ci, il s'est passé ça ».

Je pense qu'à une période où on le disait « très malade », ça devait aller, et à un moment où les Médias se sont un peu désintéressés de lui en disant : "Bon, il ne reviendra pas...", c'est là, je crois, qu'il a dû être malade.

Eric Dahan pourrait dire la même chose. Un des secrets qu'on a pu entretenir aussi longtemps avec David Bowie et son entourage (je parle encore avec des gens de son entourage), vient du fait que je ne savais que ce qu'on me disait. Je n'ai jamais posé de question, je n'ai jamais demandé où ont été jetées les cendres de David Bowie.

C'est pour cela qu'à la fin de "Rainbow Man", je cite trois endroits, en sachant qu'il y en a peut-être un des trois qui correspond... Peu m'importe où sont ses cendres. Je préfère penser qu'elles ont été aux trois endroits.

Peu m'importe ce qu'il a vraiment eu. On sait que c'est quelque chose de cardiaque.

Mireille Darc (dont j'étais très proche), qui était aussi une grande amatrice de la musique de David Bowie, et qui malheureusement « s'y connaissait » aussi en problèmes cardiaques, m'avait dit que ce qu'il avait eu était quelque chose dont on se remettait tout à fait. Peut-être y a-t-il eu autre chose avant (à la fin, indiscutablement). Personnellement, je ne le sais pas. Ce n'est pas parce que je ne veux pas en parler, c'est parce que je ne le sais pas.

On est en droit de se poser la question, à savoir qu'il était physiquement un petit peu "entamé" (si je peux me permettre) à la fin de sa vie, et qu'il n'y avait pas forcément que l'âge qui rentrait en ligne de compte.

Si on revient un instant en 2004, à cette dernière tournée en son nom, je trouve bouleversant que les membres Groupe qui l'accompagnait n'aient jamais su que c'était les derniers morceaux, les dernières notes qu'il jouaient avec lui...

Comme ils disent, ils n’étaient pas plus étonnés que ça.

Catherine Russell a dit : "On voyait bien qu'il se donnait !". Il faut savoir qu'il restait deux heures et demie sur scène !

C'était quelqu'un qui avait beaucoup de générosité...

De la générosité, il chantait...

Comme je l'ai dit, beaucoup de morceaux étaient transposés (les Musiciens savent ce que ça veut dire : si on fait "Ziggy Stardust" en Mi, ce n'est pas pareil que si on le fait en Sol). Il faut savoir qu'il y a des morceaux qu'il n'a jamais chanté dans la tonalité du disque, même quand il était jeune.

Il essayait d'être à l'aise mais il "se donnait" énormément quand même ! Il ne chantait pas "pour rien".

On a suivi pratiquement toutes les dates de la Tournée « Reality » en France. Eric Dahan et moi, à deux, les avons toutes faites (même si on ne les a pas toutes faites ensemble).

Il y a des concerts où il n'allait pas « à la balance » car il était complètement "claqué" avant de monter sur scène.

Ça se sentait un peu, d'ailleurs...

C'est la "vie sur la route" ! Dieu sait si les Techniciens et les Tourneurs connaissent bien ça ! Il y a un "prix à payer" !

On a beau se balader en Jet entre certaines dates (en l'occurrence ce n'était pas des Jets mais des avions à hélices un peu bizarres), c'est quand même très épuisant ! Il y a eu une histoire d'intoxication alimentaire : dans le sud, ils ont mangé des fruits de mer qui n'étaient apparemment pas bons, donc tout le monde est tombé malade... C'est toujours "chiant" !

Ce qui est sûr, c'est qu'il a indiscutablement beaucoup donné à la France, et la France le lui a bien rendu.

Merci beaucoup Jérôme ! C'était un bonheur de passer cet épisode de "Sold Out" avec toi. Le prochain épisode sera avec Alain Lahana...

Super !

On va « rebondir » sur tout ce que tu as raconté.

Alain dit tout ça, mais dans le désordre ! Pour le coup, il mélange tout mais il l'a vécu : c'est plus fort que tout !

[Rires] Je renvoie vraiment, comme "lecture d'été de rêve", à "Rainbow Man" : ces deux tomes sur David Bowie que l'on va se régaler à "picorer", ou à lire dans l'ordre.

Merci beaucoup Jérôme d'avoir été dans "Sold Out" !

Merci ! A bientôt !

Ciao ! A bientôt !

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