Saison 2

S02E14 - Pascal Nègre, Manager d'artistes & patron de label

C’est un monument de l’industrie musicale française qui est au micro de cet épisode de SOLD OUTPascal NEGRE a dirigé 18 ans Universal Music France, où il a développé la carrière d’innombrables artistes et souvent pris la parole au point d’incarner à lui seul le secteur. Aujourd’hui manager d’artistes (Mylène Farmer, Marc Lavoine, Matthieu Chedid, Julien Clerc, Zazie, …) et patron de son label musical, sa voix porte plus que jamais, avec une vision et liberté de parole qui vont vous régaler dans ces 36 minutes. Les liens - ou plutôt les différences majeures - entre musique enregistrée et scène, des anecdotes improbables, le rôle central du live pour les gros artistes, sa vision des dégâts de la crise et l’optimisme pour le futur, voilà quelques sujets abordés dans cet épisode un peu spécial.

Sold Out Pascal Nègre Universal Music

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SOLD OUT - Saison 2, épisode 14 : Pascal Nègre

Bonjour ! Bienvenue dans ce nouvel épisode de « Sold Out ». Un épisode exceptionnel aujourd’hui, avec un « invité de marque » qui nous fait l’honneur de passer au micro de « Sold Out » : Pascal Nègre.

Bonjour Pascal ! 

Bonjour !

Merci BEAUCOUP d’être là !

De rien !

On va parler essentiellement de scènes, de lives… on aurait beaucoup d’autres choses à vous dire :
parler de votre parcours, c’est presque une saison entière de « Sold Out » ! On va donc se concentrer sur le Live

C’est quoi pour vous « la scène », Pascal Nègre ?

« La scène », c’est un moment unique. La grande différence avec les enregistrements, c’est que vous pouvez réécouter les enregistrements. La scène est un « moment suspendu ». Pendant une heure et demie à deux heures, vous allez passer un moment avec l’Artiste que vous aimez, et vous n’êtes pas seuls : c’est une foule. Quelque part, c’est une espèce de « messe ».

Un concert réussi, c’est quand l’Artiste est bon et quand le Public est bon.
C’est cette espèce de « moment » qui fait que vous pouvez aller voir dix concerts d’affilée d’un même Artiste, ce ne sera jamais le même concert parce que le Public est différent, parce que le mood de l’artiste est différent.

Ce qui est fort dans le Live, c’est cette espèce « d’unicité ». C’est un moment unique.

On parle de cette « unicité » et de ce « moment unique » dans cet épisode de « Sold Out », qui commence maintenant. 

Pascal Nègre, premier billet vendu ?

Je ne m’en rappelle pas.
En revanche, je me rappelle du premier billet acheté (c’est quand même un « autre truc »). Vous allez tous rire et ça va vous donner une idée sur mon âge, j’étais tout « minot » et j’étais allé voir Michel Fugain : Le Big Bazar, qui était à l’époque un phénomène absolument incroyable ! C’était non seulement de la chanson, mais il y avait un show sur scène : ça dansait, ça jouait la comédie… et dans ce Big Bazar, il y avait Mimi Mathy.

Dernier billet vendu ?

Dernier billet vendu… aujourd’hui, il faudrait plutôt parler du « dernier billet remboursé », parce que c’est ça la réalité. Le dernier billet remboursé, c’est la fin de la tournée de Zazie qui « la mort dans l’âme » a été obligée d’annuler ses trente dernières dates.
Sur Marc Lavoine on les a remboursés mais il y a un Olympia qui arrive au mois d’octobre : les gens pourront donc se faire rembourser et acheter à nouveau les places.

J’ai un petit label : « Six et Sept », dans lequel il y a Kimberose, Zazie, Oboy, Jérémy Frerot… (je vais en oublier plein : je vous parle de ceux qui ont déjà obtenu un Disque d’Or), et il y en a d’autres qui vont arriver. 

Je suis Coproducteur de Claudio Capéo, avec Sébastien Saussez et son label Jo & Co.

Voilà, grosso modo, mes activités. Je suis donc toujours dans la Musique. Je dirais que je suis beaucoup plus du côté Production indépendante et surtout beaucoup plus du côté des Artistes aujourd’hui.

Pascal, quand vous êtes arrivé ici, vous avez tout de suite mis le casque sur vos oreilles.
On sent que vous avez l’habitude des radios…

J’ai démarré là-dedans !
Il ne faut pas oublier qu’en 1981, j’ai vingt ans. Mitterrand autorise les « radios libres ». Je vais donc avoir une radio au Vésinet puis à Saint-Germain-en-Laye (dans la banlieue ouest de Paris) ; Ouest FM ensuite.

Je vais travailler là-bas. Je vais être d’abord Animateur, Interviewer, puis Directeur de la Programmation (c’est là que vais faire une grande partie de ma culture musicale). Puis, je vais être Patron de ma radio et vais comprendre que ma radio n’a aucun avenir parce que les radios sont en train de devenir des réseaux.

Ce qui est très drôle à l’époque, c’est que la « grosse radio » qui marchait et fascinait tout le monde (moi le premier) c’était RFM, à l’époque de Patrick Meyer et de Coluche. C’était la radio « historique ».
Il ne faut d’ailleurs pas oublier que c’est la dernière radio qui a été brouillée en Europe parce qu’elle faisait officiellement de la publicité : à l’époque, ils n’avaient pas le droit de faire de la « pub ».
La réalité était que Coluche faisait peur parce qu’il était en train de dire qu’il se présentait à l’élection présidentielle. Ils avaient donc décidé de le « brouiller » … Bienvenue dans la démocratie !

C’est à ce moment-là que NRJ a « explosé » (il n’y avait plus de concurrents) et qu’il y a eu cette fameuse manifestation avec toutes les radios et NRJ, qui s’est transformée en « manifestation de NRJ » (ce qui est faux parce que toutes les radios y appelaient à manifester !). NRJ l’a récupérée intelligemment pour autoriser la Publicité.

J’ai donc démarré là-dedans. J’ai d’ailleurs vécu une chose très drôle.
Il faut savoir que la première interview qu’a fait Marc Lavoine dans sa vie, c’est moi qui l’ai faite. C’était une catastrophe parce qu’à l’époque il ne répondait que par « oui » ou par « non », même pas par « oui, mais… » ou par « non, peut-être… » ! Ça durait une heure. J’avais en face de moi un « mec » qui me regardait avec ses grands yeux bleus et sa grosse voix et était terrifié ! 

J’ai aussi fait l’une des premières interviews de Mylène Farmer. C’est donc assez drôle de voir que, quarante ans après, je travaille avec ces deux artistes-là !

Vous travaillez avec eux dans la Musique et en plus vous les retrouvez parfois sur RFM…

De temps en temps.
Quelque chose d’important : je ne programme pas mes émissions. J’ai vraiment voulu que ce soit très clair. Ce n’est pas qui décide de mes invités, parce que le jour où je vais décider d’inviter un de mes artistes, tout le monde va faire « gna gna gna ! ». Il y a donc un Programmateur sur l’émission, qui décide de qui je vais avoir. Evidemment, il me dit : « Tu aimes ou pas ? », ce qui est logique, mais globalement voilà… il y a un Programmateur.

Pour la Musique, c’est la même chose : je ne touche absolument à rien là-dessus. C’est important de ne pas « mélanger les torchons et les serviettes » !

Dans cet épisode de « Sold Out », on va faire comme à chaque fois : on va parler de la Scène, du Live et de l’amour qu’on a pour celles et ceux qui les font.
On va déroger à notre règle habituelle, Pascal : on ne va pas parler de votre parcours depuis le début (peut-être qu’on fera ça un autre jour). Là, on va vraiment parler de la Scène et de votre vision.

J’ai eu envie que vous soyez là aujourd’hui parce que j’ai le sentiment que vous êtes parfois un « phare dans la nuit » : sur la Musique, vous avez été capable, vraiment très tôt, de voir des grosses tendances comme la Data, le Streaming (vous l’avez presque théorisé et en avez aussi été un acteur déterminant).

J’ai envie de vous entendre sur « la Scène » …
Avant de savoir ce que vous pensez de la situation actuelle et de « comment on se projette », peut-on revenir deux secondes sur le passé, sur la Scène à Universal ? Quels étaient vos rapports, en tant que Patron d’Universal, avec les Producteurs et les Productrices de spectacles ?

Alors…
J’avais une position qui était très claire : « chacun son métier ». Je considérais « qu’être bon dans le Disque » (dans la musique enregistrée), c’est déjà un métier en soi. Pourquoi, diable, faut-il aller faire le métier de l’autre ? Pour moi, « être bon dans le Spectacle Vivant », c’est un métier en soi. Ce sont deux métiers différents.
Je fais donc partie des « oiseaux » qui ont dit : « Je ne veux pas être Producteur de spectacle », alors que Warner a créé sa société et Sony aussi. Moi, j’étais contre. Je pensais que chacun avait son métier et qu’on était complémentaires.

Je pensais aussi (et je continue de le penser) que plus on est nombreux, actifs et créatifs autour d’un Artiste, plus l’Artiste est fort. Or, quand l’Artiste a le même interlocuteur pour la Scène, les éditions et pour le Disque, je pense qu’on l’étouffe. 

C’est comme un Homme Politique qui n’écoute plus qu’un seul Conseiller…

Exactement !

Il est important qu’il y ait des visions différentes, des sensibilités différentes et des apports artistiques différents qui « nourrissent » l’Artiste. C’est pour cela que, personnellement, j’étais contre.
La seule chose que j’ai faite dans le Live, c’est de racheter l’Olympia, dont j’ai été Président très longtemps et surtout de « remonter la boutique » : quand on l’a récupéré, l’Olympia « paumait » de l’argent et avait une image complètement ringarde !
On a donc récupéré l’Olympia et on l’a redéveloppé. J’y avais nommé Arnaud Delbarre (qui s’occupait à l’époque du Zénith de Lille), qui a remonté l’Olympia Musical dans lequel il y avait tous les genres musicaux. On a donc ramené la « jeunesse » : le Rock, le Jazz… à l’Olympia et on y a fait des « gros coups », dont Madonna en particulier.

L’autre chose que je faisais sur la Scène en tant que Président d’Universal, ce sont quelques coproductions de spectacles. 

Gilbert Coullier ne voulait pas aller seul sur le retour de Polnareff sur scène (d’ailleurs, à l’époque, personne ne voulait y aller, sauf lui). Pour le Grand Retour de Michel Polnareff sur Scène (il avait quand même fait 16 « Bercy », il ne faut pas l’oublier), Universal était aussi derrière. J’ai en particulier beaucoup travaillé sur l’ordre des chansons, le choix des chansons, etc… et j’ai accompagné l’Artiste jusqu’à son retour.
Puis, on a coproduit quelques comédies musicales, avec des succès formidables : Roméo et Juliette, et avec un insuccès complet : Spartacus. 

Donc, si je regarde les Productions « positives », négatives », etc… on n’a pas gagné grand-chose !

On gagne rarement « grand-chose » en moyenne dans le Spectacle !

Ça, c’est la première chose.

Deuxième chose : pour Universal, le Live a été cette espèce de « grande flambée » sur les « enregistrements live », c’est-à-dire les « disques live » et les « D.V.D. live ».

Ça veut dire quoi « grande flambée » ?

Exemple : pendant longtemps, Johnny vendait plus de « C.D. live » et de « D.V.D. live » que de « C.D. studio ».

Je l’ignorais complètement ça !

Eh oui !

Donc, le Live devenait presque un prétexte en fait…

Exactement.

Tout à coup, le live « faisait » que si vous sortiez un album puis que vous sortiez un live, en général le live vendait de temps en temps (si vous additionniez les C.D. et les D.V.D) autant si ce n’est plus que le « studio ». Là, on est dans les années 1990 (on peut aller jusqu’à 2005-2010).

Aujourd’hui, à part le dernier live de Mylène Farmer qui a « fait » 100 000 en C.D. et 100 000 en D.V.D…
Je dirais qu’elle est la dernière à faire des scores comme ça. 

Ça fait éventuellement des vues sur YouTube, mais c’est tout…

Oui, voilà. Ce qui n’est pas grand-chose.

Voilà donc ma position sur le live chez Universal. C’est d’ailleurs un des points sur lesquels j’étais absolument en désaccord avec Bolloré, qui voulait absolument faire du live, et l’a fait en montant Onaka Production. C’est là que j’ai vu que mon successeur montait aussi une structure en interne…

« Chacun son métier », voilà…

Pour vous, ce n’est pas le bon chemin…

Ecoutez, depuis deux ans, ceux qui ont choisi d’aller faire du live en Maisons de disques doivent être très contents de leur choix ! Vous voyez ce que je veux dire…

Il y a très peu de pays dans lesquels les Maisons de disques font du Live ; très peu de pays ! En général, ce sont plutôt des pays en voie de développement. Aux Etats-Unis, en Angleterre et en Allemagne, il n’y a pas une Maison de disques qui s’amuse à faire du live. C’est une espèce de « vision franco-française » un peu bizarroïde !

Ça va très loin ! Ça va même jusqu’à Believe… de nouveaux entrants s’y mettent aussi !

Ils pensent tous qu’il faut y aller. Evidemment, il y en a un qui le fait et tout le monde le fait !
Il n’y a pas de « modèle ». Un Producteur de spectacles n’est pas « Producteur de spectacles » : la réalité du Producteur de spectacles, c’est que quand il produit un Artiste qui est connu, c’est l’Artiste qui va produire !

Oui, bien-sûr.

C’est lui qui tout à coup va produire à 60 %, 70 % ou 80 %. Globalement, à l’arrivée c’est ça. Première chose. Deuxième chose, c'est un travail d’Artisan ! C’est un travail compliqué !

Aujourd’hui, il y a deux acteurs « sérieux », dont un qui est dominant : Live Nation.
Live Nation
a toute la chaîne de valeurs : ils sont Promoteur de spectacles (là-dessus, ils ne gagnent quasiment rien), ils ont plein des salles de spectacles aux Etats-Unis et en Australie (en France, il n’ont rien) : les Artistes jouent donc dans leurs salles, ils ont toute une partie « association aux marques » : quand ils créent des festivals ils vont chercher des marques, ils ont 50 % des « boîtes » de Management aux Etats-Unis (« je » suis d’ailleurs la seule « boîte » Française de Management associée à Live Nation), et enfin…

A Live Nation « Monde » ?

Oui, Live Nation International. Ils se sont associés à moi parce qu’ils voulaient une « boîte » de Management en France. Ils en ont partout (en Allemagne, un tiers des « boîtes » de Management en Angleterre, la moitié aux Etats-Unis), donc ils en voulaient une en France. 

Enfin, ils ont Ticket Master (Ticketnet en France), qui est un des dix plus gros sites de e-commerce dans le monde et qui, tout à coup, brasse des centaines de millions de tickets. 

Ils touchent donc un « petit bout » sur chaque partie de la chaîne de valeurs du Spectacle ! C’est comme ça qu’ils arrivent à gagner leur vie. Quand vous ne faites qu’un « bout », vous ne pouvez gagner qu’un peu d’argent.
Pour moi, c’est du travail d’Indépendant, de passionné, de gens qui ont une « personnalité », qui sont capables de parler aux Artistes et d’avoir une vision avec l’Artiste, de l’accompagner, de le conseiller, de l’écouter, de « l’engueuler », de le critiquer…
C’est « ça » le travail d’un Producteur de spectacles, et c’est un travail d’AR-TI-SANT !

Qu’on ne se méprenne pas, votre propos ne veut pas dire que « ça ne sert à rien », que « la valeur n’est pas là » ou que c’est un « ridicule business ». Pas du tout. Ça veut dire que c’est un vrai business, que vous qualifiez « d’artisan ». Ce n’est pas celui d’un gros label, d’une Maisons de disques ou d’un label, tout court…

C’est un autre métier, et c’est « gratter chaque centime » !
Vous allez gagner de l’argent dans une tournée parce que vous allez réussir à « gratter » 30 euros par date sur 150 dates… ce n’est pas un travail de Maisons de disques.

C’est quoi alors, un « travail de Maisons de disques » en 2021 ? Les gens qui nous écoutent connaissent peut-être moins bien les Maisons de disques…

Dans une Maison de Disques, on est beaucoup plus dans l’idée de mettre plus de moyens, avec des retours sur investissement qui sont, en général, beaucoup plus longs : vous avez une longue durée de contrat avec un artiste.

Il faut savoir qu’un Producteur de spectacles a un contrat pour une tournée.

C’est vrai !

A la fin de la tournée, le gars peut « se barrer ». Il y a très peu de contrats signés pour plusieurs tournées. Cela veut dire que c’est le relationnel et la confiance qu’il a avec l’Artiste qui font que l’Artiste va revenir avec lui.
En général, quand une Maison de disques signe un contrat, elle le signe pour deux, trois, quatre ou cinq disques. Elle a donc une vision qui est beaucoup plus « dans la durée ». C’est moins le cas d’un Producteur de spectacles.

Puis, quand vous avez enregistré un disque, s’il a « fonctionné » vous allez le vendre « pendant 70 ans » ! Vous n’êtes pas du tout dans la même logique…

Surtout maintenant, avec le streaming…

Surtout avec le streaming !

Pour que les choses soient bien claires, finissons sur le passé.
Prenons un exemple : je suis fan de U2. Quand le Groupe vient en tournée en France, le boulot de Pascal Nègre, à l’époque Patron du label Français, c’est… « rien » ?

Si… c’est d’aller « faire un gros bisou » à Bono parce qu’on se connaît depuis 1985 (ça fait quand même quelques années : il m’a connu maigre et avec des cheveux !), d’aller voir le concert, de s’éclater, et voilà… pas plus !

Vous êtes super « cash » en fait ! Vous avez un discours « hyper cash », c’est génial !

C’est la réalité ! 

C’est la réalité : « rien » ? Rien d’autre : Aucun boulot, on « laisse faire » Gérard Drouot… ?

Et encore, Pascal Nègre a la chance d’aller « embrasser Bono » et de rigoler avec lui !
Il y a un certain nombre d’Artistes que vous n’allez même pas voir parce qu’ils n’ont « rien à foutre » de la Maison de disques ! [Rires]

C’est super clair !

Aujourd’hui, dans ce que vous faites avec les Artistes, est-ce justement parce que vous êtes « Impresario » (comme vous dites) que vous parlez à Live Nation ou à des gros Producteurs Français ?

C’est assez amusant parce que parmi les Artistes que j’ai « en Management », très peu sont « avec Live Nation » ! 

Mais alors pourquoi avez-vous un contrat avec eux ?

C’est mon actionnaire !
La grande majorité de mes Artistes ne sont pas avec Live Nation. Cela ne pose pas de problème avec Live Nation car c’était clair depuis le début. 

Le live, c’est très important. Très important.
Plus un Artiste est « installé », plus c’est important. Pour un Artiste qui fait partie des 40 Artistes préférés des Français, qui sont là depuis un certain nombre d’années, le live représente 60 % à 70 % de leurs revenus. 

Ce n’était pas le cas, évidemment, il y a quelques temps ?

Non. Pour Johnny, à la fin des années 1990, c’était 50 %. Le Spectacle représentait la moitié de ses revenus. Aujourd’hui, ça représente 70 % des revenus de l’Artiste. 

Pascal, on va écouter un petit bout d’un ancien épisode de « Sold Out » avec Jean-Christophe Giletta qui travaillait au Stade de France. J’aimerais bien vous faire réagir là-dessus s’il vous plaît !

[Extrait de « Sold Out – Saison 2, Episode 12 : Jean-Christophe Giletta]

« Si jamais le concert reporté doit encore être annulé, je ne l’assure plus ! »
Là, tout le monde s’est regardé, et un monsieur qui s’appelle Pascal Nègre (le Patron d’Universal), a dit : « Moi, j’assure le spectacle quoi qu’il arrive ».
C’est comme ça que le report du concert de Johnny a pu se faire une semaine après.

Eh bien c’est vrai !

Pourquoi avez-vous fait ça ?

Il faut se remettre dans la situation…

Je commence à travailler avec Johnny en 1994 et il se passe deux choses. Il est ruiné : il a 100 millions de francs de dettes (à l’époque, les francs sont l’équivalent des euros aujourd’hui), en particulier avec le Fisc mais pas que, et surtout il est en voie de « ringardisation » complète ! 

Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, c’est la publicité « Legal, le goût » (pour du café), que tout à coup Les Guignols de l’Info font tous les soirs : « à que coucou ! », la « boîte à coucous » et compagnie… et qu’il est en train de devenir le ringard le plus célèbre de France ! C’est ça la « réalité » de Johnny en 1994 !

Quand j’arrive en novembre 1994, il est en train de faire un concert, à La Cigale, d’un album en anglais « tout pourri ». Voilà où on en est !

Après, il y a la reconstruction.
On fait un album… deux albums… Il y a l’album où Jean-Jacques Goldman enregistrait des « trucs » à La Lorada, à Saint-Tropez. Et puis… il y a l’idée d’Obispo, avec le fameux « Allumer le feu ».
Tout d’un coup, Johnny vendait 200 000 à 300 000 albums. On part, et on fait 1 000 000 d’albums, ce n’était jamais arrivé avec Johnny. On avait fait un lancement très malin sur cet album : il n’avait pas démarré par la télé, il n’avait pas démarré par la radio, il avait démarré par une interview exclusive au Monde, dans laquelle il racontait, sur quatre pages, sa vie, son père, la coke, enfin bon…

C’était assez dément ! On sortait cet album… Le Monde s’est mis à vendre des camions de journaux [Rires] : ils étaient manquants partout, c’était drôle… et les journaux télévisés et la radio ne parlaient que de cette interview presse (on ne le voyait pas !), dans lequel il parlait de sa vie. Il y avait des choses assez émouvantes, franchement. On apprenait des choses sur Johnny.

On est donc en train de « construire », et là-dessus est lancé le « Stade de France ».
Entre temps, Camus a une idée qui « excite » beaucoup Hallyday : « On va aller faire un concert aux Etats-Unis, à Las Vegas ! »
Voilà qu’on fait un concert à Las Vegas… Pour ce concert (je ne vous raconte pas !), 6 000 personnes arrivaient en avion et tous les avions allaient de Paris à Las Vegas (un « boxon » ! Camus était le seul à pouvoir faire des trucs aussi « dingues » !). Les gens payaient une fortune et n’allaient évidemment pas rester une semaine !
Concert le lendemain… Le « Hallyday », qui était arrivé 24 heures avant, était complètement « décalqué ». Un choix de chansons qui étaient à la fois des chansons à lui, des reprises, etc… Tout ça en direct sur TF1 à la « mauvaise heure » (par rapport à Los Angeles) … et ça donne un concert « tout pourri » ! « Pourri » de chez « pourri » ! « Pourri » à ce point-là, ce n’était pas possible !

Il n’y a rien qui va !

Rien qui va !

En plus, avec le décalage horaire, sa voix n’était pas là, et le Public dormait (évidemment, ils ne savaient plus où ils habitaient !) … Une CA-TA-STROPHE !
A l’époque, un certain nombre de gens « bien intentionnés » ont appelé Hallyday en lui disant : « T’es mort ! »

Suite à ça, Camus lance le « Stade de France », et on est sur cet album qui commence à « cartonner ».
Il était fondamental que sur ce spectacle-là, on rameute le ban et l’arrière-ban : « Johnny Hallyday, la superstar, est de retour ! ». C’était « ça », le truc.

Il y a trois « Stades de France » à venir, et Camus fait une « connerie » (il faut appeler un chat, « un chat ») : j’aime beaucoup « pousser » pour qu’il y ait un Grand Orchestre et des chœurs… et sur ce concert, il ne prévoit pas de mettre une tente pour protéger l’orchestre !

C’est pas vrai ? [Rires] C’est ça l’histoire ?

C’est ça l’histoire : il « flotte » donc il y a tout une partie du concert… où il n’y a plus de concert ! Voilà le premier problème.
Après, on a expliqué que c’était « à cause des feux d’artifices ». Certes. C’est vrai aussi qu’il y avait « des problèmes de feux d’artifices », mais FON-DA-MEN-TA-LE-MENT, le « vrai problème » n’était pas là.
Le « vrai problème », c’était l’orchestre !

Donc… « Qu’est-ce qu’on fait ? ». Est-ce qu’après ce « bide Vegas », Johnny…

… pouvait se « payer » un nouveau « bide » ?

Il ne pouvait pas !

Pouvait-il revenir avec une « moitié de show » ? Toute la deuxième partie était avec le Grand Orchestre…
Evidemment, ce n’était pas possible ! 

Je lui dis : « Tu as raison : il faut reporter ! », et là, Camus me dit : « Mais… je ne sais pas si je vais être assuré ! »
C’est là où il faut se dire : « Quelle est la bonne décision pour la carrière de l’Artiste ? ». La bonne décision pour la carrière de l’Artiste, c’est d’annuler !

Vous êtes la Maison de disques, vous avez le catalogue de Johnny Hallyday (vous avez d’ailleurs pu voir que suite à sa disparition, Universal ne s’est pas gêné pour exploiter le catalogue, et a eu raison : ils en ont vendu « des camions »), donc tout d’un coup vous dites : « OK, c’est la bonne décision pour la carrière de l’Artiste donc si tu n’es pas assuré, Universal sera l’assurance. »

Avant que Camus monte sur scène « la mort dans l’âme », Johnny s’était déjà « barré ».
Je vais être franc, je peux vous dire que côté âme je ne disais rien, mais alors je me disais : « Putain, pourvu qu’il ait quand même un minimum d’assurance ce « con », parce que sinon je suis « mal barré » : ça coûte cher ! »

Résultat des courses : il était assuré, le concert a été reporté… entre temps il a mis une tente ! Il a eu bien raison…

[Rires] … parce qu’il a plu, je crois…

Voilà ! Il a bien eu raison parce que le jour du report, il a plu « comme vache qui pisse » et franchement… je crois que ça a été le plus grand concert de Johnny ! Il était là, il tapait dans la « flotte » et tout… c’était un concert DE-MENT ! Voilà l’histoire.

De temps en temps, c’est « ça » accompagner un Artiste. Le travail d’une Maison de disques ou d’un Producteur, c’est de dire : « c’est quoi la bonne décision ? On s’en fout de l’argent, il arrivera après. De toute façon, on a le catalogue Hallyday ».
Il m’a d’ailleurs souvent assez dit : « A que je te rappelle que j’ai commencé à enregistrer et que tu n’étais pas né ! », ce parce qu’il a signé fin 1960 et que je suis né en 1961 ! On avait tout le catalogue Hallyday donc on savait qu’on aurait un retour sur investissement. Jean-Claude, non : Johnny pouvait le quitter à la tournée d’après.
Il ne l’a d’ailleurs pas fait pour la tournée suivante, mais deux tournées plus tard : il s’est « barré » pour aller voir Coullier.

Y a-t-il eu d’autres « moments de solitude » comme ça dans votre carrière : des trucs ou vous étiez le seul gars à lever la main dans la salle en disant : « Vas-y, je le fais » ou « Je ne le fais pas » contre tout le monde, parce que vous n’aviez pas la même vision que les autres ou vous pensiez à l’Artiste à long terme ?

Oui. Il y a des moments où c’est « marrant » !

J’en parlais la dernière fois avec Damien Saez. Damien fait son premier album avec son grand tube : « Quand on est jeune et con » et on en vend 250 000 exemplaires. C’est « vachement » bien, mais à moment donné on se dit : « Il y a deux possibilités : soit on fait de la pub télé à fond pour en vendre 200 000 ou 300 000 de plus (mais attention, on a tellement de « Quand on est jeune et con » sur la tête qu’à mon avis tu ne t’en remettras jamais…), soit on accepte de ne pas en faire et tu vas l’accepter toi aussi.
Tu vendras moins, mais je pense que ça va t’aider pour continuer à durer ».

Il a pris la décision de ne pas faire de pub. On était d’accord avec lui, même si on savait qu’on perdait du chiffre d’affaires. Je crois que s’il est encore là aujourd’hui et qu’il va faire deux « Bercy » dans peu de temps, ce n’est pas un hasard ! 

On en parlait avec lui il y a deux mois.

Hyper intéressant ! On arrive déjà vers la fin de cet épisode, Pascal. J’ai envie qu’on parle du futur et de la manière dont vous le voyez…
Comment les scènes vont-elles « se rallumer », et surtout, comment considérez-vous le Live dans les années à venir ? Par exemple : est-ce que Spotify va se mettre à produire des spectacles, ou PAS DU TOUT, pour les raisons que vous évoquiez au début ?

Qu’est-ce qu’ils iraient « foutre » là-dedans ? Je pense que chez Spotify, aujourd’hui, ils ont joué une deuxième carte par rapport à la Musique, qui sont les podcasts, et ils ont eu raison. C’est là-dessus qu’ils investissent « à fond les ballons », et depuis qu’ils le font, leur action a été multipliée par deux. Je rappelle qu’aujourd’hui, Spotify vaut 40 milliards d’euros, c’est-à-dire plus qu’Universal ! C’est quand même assez rigolo ! 

Je ne crois pas du tout à ça.

C’est quoi le « futur » du Live ?
On a essayé, un peu désespérément pendant ces périodes de confinement, de nous expliquer que l’avenir du Live, c’était le Streaming…

Oui.

Je pense que le Streaming est la « nouvelle version » du D.V.D.

C’est complémentaire ?

C’est complémentaire, ou c’est une version un peu « pauvre » du Cinéma. Globalement, ça existera sûrement. Ce sera une exploitation supplémentaire, mais ce n’est pas ça le « Live ».
Le Live, c’est : vous étiez là le soir où il est tombé, le soir où il s’est trompé, peut-être le soir où il a explosé de rire, le soir où il a pleuré, le soir où tout à coup, à la dernière chanson du concert de Zazie à l’Olympia, un mec a demandé s’il pouvait monter sur scène avec son petit copain pour le demander en mariage !

Vous n’allez pas voir « ça » la veille, vous ne le verrez pas le lendemain, vous ne le verrez plus jamais ! Même Zazie ne savait pas que « ça » allait se passer : 

« Je veux monter ! Je veux monter 
- Monte, monte ! »

Le gars monte sur scène avec son mec, ils ont l’air sympas, et tout d’un coup : « Voilà… Je voulais te demander en mariage ! ». C’était assez joli, sur la dernière chanson : « J’envoie valser ».

Voilà, c’est « ça » le Live. C’est l’imprévu ! L’imprévu…
Comment ces choses-là vont-elles évoluer ? Je n’en sais rien…

Je pense aussi qu’il y a deux types d’Artistes. Il y a « l’Artiste national » et « l’Artiste mondial ».
Lady Gaga n’ira jamais jouer à Toulouse ou à Bordeaux : elle n’a pas le temps ! Est-ce que le Streaming ou le Cinéma vont lui permettre d’aller dans ces villes-là ? Oui, sûrement, mais ce n’est pas la même chose.

On ne parle pas de la même chose.
« Aller au théâtre » et « regarder Au théâtre ce soir à la télé », ce n’est pas la même chose ! 

Dans les Métiers du Live, l’exception ne serait-elle pas de posséder une salle (par rapport à ce que vous disiez tous à l’heure) ?

Aujourd’hui, tout Producteur de spectacles possède au moins une salle de spectacles. La Charrière possède Pleyel et pas mal de salles en province, Lagardère possède pas mal de salles, Bolloré possède l’Olympia. Ils ont tous leurs salles.

Il y a une logique à avoir ses salles, sauf que si vous êtes Bolloré, que vous produisez un Artiste et qu’il ne veut pas faire l’Olympia mais « Bercy » ou la tournée des Zénith, vous êtes « contents » : la moitié du temps vous aurez vos Artistes dedans, l’autre moitié vous aurez des Artistes d’autres Producteurs dedans. C’est comme ça que ça se passe !

Pour vous, le fait que la Data soit hyper « éparpillée », et que les Producteurs (peut-être parfois même les Artistes) ne connaissent pas leur Public, c’est « emmerdant » ou pas ?

Aujourd’hui, un Artiste a ses réseaux sociaux. Il a donc une analyse très fine de…

Dans ce cas, n’est-ce pas Marc Zuckerberg qui connaît vraiment les gens ?

Non, parce que Spotify, Deezer ou Apple nous donnent aussi plein de statistiques sur « qui écoute ? » …

Anonymisées ? Il n’y a pas les e-mails ?

Non ! Il n’y a pas les e-mails, mais on sait que ce sont plutôt des hommes ou des femmes, leur tranche d’âge, dans quelle ville ils sont en France ou dans le Monde. On a quand même un certain nombre d’informations. Ce n’est pas jusqu’à la récupération des e-mails, même s’il y a des actions qui font qu’on essaie de récupérer les e-mails des fans, à leur demande. 

Ce qui ont les datas (que l’on n’a pas), ce sont ceux qui vendent les billets : les salles. A l’époque, la moitié des tickets de l’Olympia qui étaient vendus, l’étaient par l’Olympia. On connaissait donc la moitié des clients qui avaient acheté un ticket chez nous, mais la « base clients » on ne l’avait pas. C’est une base qui est très intéressante parce qu’à partir du moment où vous avez le numéro de la carte bleue du « gars », ça aide !

J’imagine que les Artistes ne s’intéressent évidemment pas à ce genre de détails techniques, mais essayez-vous de faire en sorte qu’ils connaissent de plus en plus les e-mails et les coordonnées de leurs fans ou pas ?

Si on essaie de récupérer des datas, oui. Bien-sûr !
Maintenant, attention… je pense que « la data tue la data » aussi. L’image d’un Artiste à un instant t n’est pas l’image de l’Artiste un an plus tard ou douze ans avant. On est quand même sur des univers très « mouvants ».

Comment imaginez-vous les scènes qui vont rouvrir ? Vous devez avoir tellement hâte…

Je ne sais pas… Je pense que ça va commencer doucement avec les « festivals assis ou assis-debout » cet été.

Vous irez ?

Oui. J’ai des Artistes qui normalement sont censés en faire : Julien Clerc et Marc Lavoine, pour sûr. Après, je pense que ça va rouvrir, j’espère « normalement », à partir de septembre / octobre.

La réponse est simple : il faut tous être vaccinés. Fin de l’histoire. Vaccinons-nous vite, tous, en espérant que les fabricants seront capables de fabriquer suffisamment de doses (j’ai l’impression que c’est le cas).

Fin septembre, l’affaire sera réglée. J’espère…

Question « rituelle » pour finir « Sold Out » : les conseils qu’on donne à une jeune personne qui a envie de bosser dans ces métiers, dans la Scène, dans la Musique… Elle « s’accroche » cette personne aujourd’hui, ou on lui conseille de « faire autre chose » comme Boris Johnson en Angleterre ?

Ça, c’est une chose qui est « triste ».
On ne voit ça que dans le Spectacle Vivant (c’est vrai aussi dans le Disque, mais moins). Dans le Spectacle Vivant, on apprend son métier sur le terrain. Quand il n’y a pas de terrain, vous n’apprenez rien.

Il y a plein de monde qui aurait rêvé de faire des stages dans le Spectacle Vivant et qui ne peuvent pas en faire. Parmi ces mômes-là, il y en avait certainement qui avaient du talent, auraient pu faire une grande carrière, et vont partir dans un autre domaine parce que ça n’a pas été possible.

On a connu ça dans le Disque, à l’époque où le Marché de la Musique enregistrée s’est « écroulé ». Pendant un certain nombre de moments, les Maisons de disques passaient leur temps à virer des gens : elles n’embauchaient pas. Il y a eu un « trou » entre 2005 et 2015 : 10 ans où il y a eu très peu d’embauches et très peu de signatures d’Artistes. 

Ça manque. Il y a vraiment un « trou », une génération manquante : une génération qui, aujourd’hui, devrait avoir la quarantaine. Elle n’y est pas. Vous avez « au-dessus de 50 ans » et « moins de 35 ans ».
Cette génération des 40-45 ans… il y en a très peu et c’est regrettable ! 

Le risque, c’est que ça recommence ?

C’est exactement le risque qu’il y a là.
Je suis optimiste : je pense que ça va « redémarrer de folie ». Voilà ce que je pense !

On en reste là-dessus… Salut Pascal, à bientôt !

Au revoir !

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