Saison 1

S01E08 Hors Série – Pierre Beffeyte, Festival OFF d'Avignon

Second épisode "HORS SERIE" de SOLD OUT pour réfléchir ensemble à la sortie de crise dans l'industrie du spectacle vivant. Notre invité aujourd'hui : Pierre BEFFEYTE, le Président du Festival OFF d'Avignon, une institution où se joue une partie de la saison théâtrale à venir. Contraint d’annuler l'édition 2020 en raison de la crise sanitaire, il évoque les transformations souhaitables du festival. Et les propos de ce Président combatif sont tout sauf de l'eau tiède. Il n'hésite pas à évoquer “le modèle économique scandaleux d’Avignon” dans son fonctionnement actuel. Dans cet épisode, vous retrouvez de nouvelles chroniques de Nicolas Blanc (sur les artistes dans la crise) et Lisa Pujol (sur ce qu'on attend de l'après...). Et même un peu de musique à la fin...

Sold Out Pierre Beffeyte Festival OFF d'Avignon

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SOLD OUT - Saison 1, épisode 08 : [Hors-Série] – Pierre Beffeyte 

Bonjour Pierre !

Bonjour Marc !

Première question un peu « rituelle » : comment vas-tu ?

Ecoutes, ça ne va pas trop mal ! Je n’ai pas de malade autour de moi, c’est quand même l’essentiel.
Un peu comme tout le monde, j’ai hâte qu’on sorte de cette crise compliquée et qu’on puisse reprendre le travail. On est quand même dans un secteur TRES sinistré !

Tu as plein de rôles différents, sur lesquels on reviendra durant cet interview, mais le rôle principal pour lequel tu es avec nous aujourd’hui, c’est parce que tu es ce qu’on appelle communément le Président du Festival Off d’Avignon, c’est ça ?

Oui. Je suis le Président de l’Association qui s’appelle Avignon Festival & Compagnies, qui dirige le Festival Off d’Avignon

Que veut dire « diriger le Festival Off d’Avignon » ?
Vu de l’extérieur, on a l’impression que ce sont plein de compagnies et de théâtres, que c’est très indépendant.

Ça veut dire quoi, concrètement ?

C’est une très bonne question, à laquelle je ne sais pas si je suis capable de répondre !

J’aurais tendance à dire qu’Avignon Festival & Compagnies est une association censée encadrer le Festival Off d’Avignon. C’est l’association qui édite le programme du « Off », qui gère les cartes pour les spectateurs, qui gère la Billetterie centralisée et organise un certain nombre de choses pour essayer « d’encadrer le Off » le mieux possible. 

La difficulté est que le Festival Off d’Avignon a cette particularité d’être composé de Directeurs indépendants qui sont responsables de la programmation de leur théâtre et des relations contractuelles qu’ils ont avec les compagnies. Notre travail est d’essayer de « coordonner tout ça ».

On enregistre cet interview le 14 mai et je vois que le 30 mars, vous pensiez encore que ce festival pouvait avoir lieu, je crois…

Ce n’est pas qu’on pensait forcément qu’il pouvait avoir lieu. En tout cas, on attendait d’avoir des dispositions gouvernementales pour prendre des décisions. Ce n’est pas tout à fait la même chose.

Absolument.

Comme tout le monde était un peu « dans l’expectative », on avait nos propres sentiments et ressenti qui était que ce serait difficile de tenir le festival. En l’occurrence, en l’absence de décision Gouvernement, il était délicat pour nous de prendre une décision. A ce moment-là, on attendait encore la réponse du Gouvernement (on ne l’a pas attendue très longtemps).

Elle est donc arrivée et vous avez pris cette décision d’annuler l’édition de cette année…

C’est une petite subtilité, mais on n’a pas pris la décision d’annuler. Pour les raisons que j’évoquais précédemment, on ne peut pas annuler nous-mêmes le festival. On a pris note de l’impossibilité de tenir le festival.

C’est une petite subtilité, mais ce n’est pas nous qui avons annulé le festival. C’est bien la décision du Président de la République.

Si on peut distinguer le Juridique et l’Artistique, êtes-vous juridiquement aussi protégés que possible ? Es-tu à peu près serein ou pas vraiment encore ?

Sur le plan juridique, la Structure Avignon Festival & Compagnies est tout à fait protégée. Le Préfet a fait un arrêté interdisant l’ouverture des salles de spectacles au moins jusqu’au 15 juillet et interdisant de facto le Festival Off d’Avignon de se tenir. 

Là où c’est plus compliqué actuellement, c’est effectivement dans les rapports contractuels entre les Théâtres et les Compagnies ou les Productions. L’économie très particulière du Festival Off d’Avignon fait qu’un certain nombre de théâtres sont aujourd’hui dans l’impossibilité de rembourser les acomptes qu’ont versé les Compagnies. Lesquelles Compagnies en ont bien évidemment besoin pour tenir sur leur trésorerie, puisqu’elles sont toutes « à l’arrêt », comme tu le sais, depuis maintenant mi-mars, et risquent de l’être au moins jusqu’à début septembre voire début octobre.

On est là sur un vrai nœud juridique : il y a une obligation pour les Théâtres de rembourser les Compagnies et une impossibilité concrète de le faire puisque les Théâtres ont, pour une grande majorité, déjà utilisé le cash qu’ils ont touché des Compagnies. 

Cela est très spécifique au modèle économique absolument scandaleux du Festival Off d’Avignon.

Oula, attends… tu emploies un mot très fort ! Ça veut dire quoi « modèle économique scandaleux du Festival Off d’Avignon » ?

[Rires] Ecoutes, j’ai une vision qui est la mienne. 

Pour moi, le Festival Off d’Avignon est le pire exemple de ce que peut donner une dérégulation dans un secteur commercial. On est arrivé dans un endroit où il est tout à fait normal que les Artistes ne soient pas payés pour travailler, il est tout à fait normal que les prix soient multipliés par cinq ou six pour tout ce qui est locatif, il est tout à fait normal que les Artistes « travaillent à la chaîne » et enchaînent jusqu’à six, sept, huit, neuf, dix spectacles par jour dans un théâtre, en ayant cinq minutes pour monter ou démonter leur décor.
On est arrivé dans un endroit ou la dérégulation est telle que ça prend des proportions aberrantes et qu’en même temps, ça semble absolument normal pour tout le monde !

Je suis tout à fait opposé à ce modèle économique. D’ailleurs, cela fait maintenant trois ans que je me bats contre, avec des succès très relatifs : ça ne dépend pas que de moi. 

En plus, je trouve extrêmement triste que ce soit la Culture qui porte cet exemple de dérégulation. Je ne connais pas d’autre exemple. Je ne suis pas spécialiste mais je n’ai pas l’impression de voir, en France, d’autres exemples d’un tel « laisser aller » sur un secteur économique.
Que ce soit la Culture qui porte ça, je trouve ça absolument incroyable et scandaleux !

On en vient au cœur de ces « hors-série » de Sold Out : cette crise terrible est peut-être finalement l’occasion de repenser ça…

Oui, c’est l’occasion de « repenser ». A partir de cette semaine, Avignon Festival & Compagnies met en place une grande consultation publique pour essayer de voir quelles pistes pourraient être développées, quel pourrait être notre champ d’actions, quelles sont les grandes thématiques à revoir. J’attends forcément des choses de cette consultation. J’espère que des idées vont en sortir. 

De cette consultation vont sortir une dizaine de grands thèmes qu’on va débattre en public (je l’espère, si les conditions sanitaires nous le permettent) le dernier week-end de juillet. Suite à cela, on va essayer de construire un nouveau modèle pour le Festival Off d’Avignon.

Sur la théorie, c’est comme ça que ça va se passer. Sur la pratique, ce qui est extrêmement compliqué, c’est que pour faire « bouger » ce festival, plusieurs leviers sont à faire bouger en même temps. Par exemple, on ne peut pas se dire : « Tiens, il faut qu’il y ait plus de public donc il suffit de baisser les prix ». Si on choisit de baisser les prix, les Compagnies auront moins de recettes de billetterie. Si elles ont moins de recettes de billetterie, comme le prix des théâtres ne cesse d’augmenter, elles se retrouveront déficitaires.

Si on veut jouer sur le levier des publics, il faut aussi qu’on joue sur le levier des prix de locations, il faut aussi qu’on joue sur les locations des appartements, il faut aussi qu’on joue sur le nombre de spectacles... On a donc un ensemble de paramètres qu’il faut qu’on arrive à manœuvrer en même temps. Je pense que c’est l’extrême difficulté de ce festival. Comme il n’y a pas de Direction centralisée, tu ne peux pas dire : « Je décide de mettre en place la Billetterie centralisée et de plafonner les prix », tu n’as pas le moyen de le faire.

Ça veut dire une stratégie complète et surtout d’avoir tous les acteurs autour de la table et soient « OK » pour l’appliquer. 

En même temps, j’imagine que tu ne t’es pas auto-proclamé Président de cette Association et du Festival Off d’Avignon ? Tu as quelque part été « porté là » par tes pairs. Cela veut dire qu’il y a quand même aussi une volonté que ça change. Sinon, tu ne serais pas là…

Je ne sais pas s’il y a une « vraie volonté ». Il y a une volonté dans le discours, toujours. On aimerait tous vivre dans un monde meilleur. On aimerait tous que l’écologie soit au centre de nos préoccupations et en même temps, lorsqu’il s’agit de prendre sa voiture ou un avion pour partir en vacances, tout le monde le fait ! Je pense qu’on est dans ce paradoxe à Avignon comme on l’est pour l’ensemble de notre société.

Le problème d’Avignon est vraiment terrible. D’une part, on est sur l’un des territoires les plus pauvres du Vaucluse.
Ce festival est quand même une manne économique essentielle pour ce territoire. D’autre part, les Directeurs de théâtres, à part ouvrir pendant un mois, ne peuvent pas faire grand-chose le reste de l’année. Il n’y a pas énormément de spectateurs potentiels, l’offre est déjà extrêmement importante. On est donc sur des théâtres qui ont un modèle économique qui repose sur deux mois de travail. C’est une aberration en soi, mais c’est une réalité. Du coup, à partir du moment où un acteur économique doit rentabiliser une année en deux mois, ça ne peut que forcément créer des dysfonctionnements. 

Ce qui est spécifique à ce festival, c’est que c’est un « impensé politique », comme disait le Député Jean-François Cesarini. C’est quelque chose qui s’est construit en dehors de toute volonté politique et de toute régulation. Si on fait un tout petit peu d’Histoire, le Festival Off d’Avignon est né de 1968, d’une volonté d’un certain nombre d’Artistes d’avoir la liberté de créer en dehors de l’Institution et de toute règlementation, ce qui n’était plutôt pas mal comme idée. De cette liberté de l’Artiste à créer est née la liberté de l’Entrepreneur à entreprendre, mais là ce n’est plus du tout la même histoire. Si un Artiste peut faire ce qu’il veut, pourquoi un Chef d’entreprise ne ferait pas ce qu’il veut ?

A partir de là, petit à petit, ces mêmes Directeurs de théâtres sont devenus, pour un certain nombre, Promoteurs immobiliers (en tout cas, Propriétaires de biens). Ils se sont aperçus qu’il y avait tout un marché derrière ça, et un certain nombre de gens ont commencé à acheter des théâtres (ce n’étaient pas des Directeurs de théâtres, c’était juste des Promoteurs) et à faire de l’Immobilier. 

L’Immobilier étant rentable, on a laissé ce système-là se dégrader pendant 50 ans, avec pour moi un grand étonnement de voir à quel point les Pouvoirs Publics sont « étrangers » à ce festival. C’est quand même le plus grand évènement culturel de France, c’est l’un des plus grands festivals du monde (ce n’est pas n’importe quoi !), et il y a une absence totale des Pouvoirs Publics dans cette Structure ! Le Festival Off d’Avignon est exclusivement subventionné par la Mairie d’Avignon à hauteur de 15 000 euros, je crois… C’est dérisoire !

Justement, Pierre, si on essaie de boucler tout ce que tu dis : d’un côté, les théâtres ont l’obligation de rembourser les Compagnies ; les Compagnies ont besoin de cet argent pour la suite : elles sont exsangues avec l’annulation du festival, qui était leur « vitrine », mais les théâtres ne peuvent pas les rembourser. 

Au fond, ne va-t-il pas y avoir besoin d’une intervention politique ciblée pour « sauver tout ça » ? Ne pourrait-on pas conditionner cette intervention politique à quelque chose d’un peu plus progressif, d’un peu plus moderne ?

Le problème est que si je fais un chiffrage très rapide (« à la louche ») du manque à gagner pour les théâtres, on est entre 15 et 20 millions d’euros : c’est ce que vont perdre les théâtres. Si j’ai un Fond d’urgence, il sera d’un million d’euros maximum. Cela veut dire que ça va être un Fond d’urgence pour aider un petit peu les Structures les plus fragiles. Est-ce que ce sera un levier suffisant pour imposer une nouvelle règlementation ? Ce n’est pas du tout sûr.

Le problème est qu’à partir du moment où tu as ce modèle d’une Structure qui vit sur un mois et qui est obligée de faire son année dessus, elle doit forcément gagner douze fois plus que ce que gagnerait une autre Structure en un mois. A partir de là, c’est tout le mécanisme qui ne fonctionne plus. 

Le problème est qu’on est aujourd’hui sur un système de location. Pour moi, il faudrait qu’on aille sur un système de coréalisation systématique, c’est-à-dire que le risque soit partagé par les théâtres et les Compagnies. Cela imposerait aux Directeurs de théâtres d’avoir un regard artistique sur les contenus qui sont dans leur Structure, cela les obligerait forcément à offrir un meilleur accueil aux Compagnies parce qu’ils auraient tout intérêt à avoir des beaux spectacles et des gens qui aient le temps de les monter, et cela induirait automatiquement une réduction du nombre de spectacles. Cette réduction du nombre de spectacles permettrait d’avoir une augmentation de la fréquentation des salles et donc une augmentation des recettes de Billetterie. Si on accompagnait cela d’un Fond de soutien, que l’on pourrait gérer nous-même parce qu’on prendrait une commission sur la Billetterie, on pourrait être dans quelque chose de vertueux.
Cela veut dire qu’il faut que les Directeurs de Théâtres acceptent de gagner un petit peu moins. « Un petit peu moins » ne veut pas dire « ne plus gagner leur vie » (s’ils ne gagnent plus leur vie, ils n’y arriveront pas).

Si on était tous capables (cela ne concerne pas que le Festival d’Avignon) de commencer à se dire : « De quoi ai-je réellement besoin pour vivre ? Qu’est-ce qui est essentiel ? Qu’est-ce qui est superflu ? » et « J’accepte de réduire le superflu pour que mon voisin se sente un peu mieux »
C’est une piste de réflexion pour notre société et un vrai sujet par rapport à ce qu’on entend dire en permanence : « Il y en a ras-le-bol de ce modèle économique ultra-libéral ! ». Le libéralisme, c’est « je cherche à m’enrichir le plus possible ». Or, ce n’est pas forcément nécessaire en réalité.

J’ai fait quelques calculs sur certains théâtres. Si un théâtre qui loue huit spectacles sur le mois accepte de faire cinq coréalisations où il est à 50/50 mais où les salles sont pleines, cela reviendra au même pour lui économiquement et il aura diminué les spectacles d’un tiers. Mais, on est dans une espèce de logique où les Directeurs de Salles ne veulent plus prendre de risques artistiques. Ils veulent juste que ce soit rentable, donc ils louent. La location, c’est facile : ils n’ont aucune responsabilité et plus ils louent, plus ils gagnent d’argent…

C’est un « garage », quoi…

Oui, tout à fait. C’est un garage !

Il y a autre chose que tu as envie de changer, c’est cette affaire d’affichage.
Quand on a créé Delight, une start-up qui cible les messages, etc.… on s’est dit : « Le contre-exemple parfait, c’est ce qui se passe à Avignon pendant le Festival Off, avec toutes les Compagnies qui essaient d’émerger avec des flyers et des affiches collées un peu n’importe où… C’est charmant, c’est mignon, mais ça coûte cher, ça ne marche pas et ça pollue ! ».

On a l’impression que tu veux essayer de changer « l’affichage sauvage » au Festival Off d’Avignon

« Cela fait partie du charme d’Avignon », dit-on à chaque fois qu’on parle du Festival Off d’Avignon. Même quand on parle du « In », ce que montrent toujours les Journalistes, ce sont ces murs d’affiches. Incontestablement, c’est une image et c’est un symbole. A une époque comme la nôtre, peut-on encore se permettre de polluer la planète au titre du symbole ou de la décoration d’une ville ? Je ne crois pas. Je crois que ce n’est plus acceptable comme discours. 

Là encore, c’est une question politique : ce n’est pas Avignon Festival & Compagnies qui régule l’affichage. Normalement, l’affichage sauvage est interdit dans les villes. On a donc un arrêté municipal qui l’autorise pendant le mois de juillet. Si la mairie ne décide pas de ne pas émettre cet arrêté, l’affichage est autorisé. De là, je peux raconter tout ce que je veux, ce n’est pas moi qui ai le pouvoir de l’annuler. 

On est une Structure qui peut être extrêmement dynamique et qui peut initier un certain nombre de choses.
En réalité, ce n’est pas toujours nous les décideurs. Quand nous ne sommes pas les décideurs, on subit.

Avec Avignon Festival & Compagnies, as-tu déjà réussi à faire changer des choses, ou as-tu le sentiment que dans les moments qui viennent vous aurez la main pour faire changer certaines des choses que tu as évoquées ici, dans cet épisode ?

C’est la première fois que ce n’est pas un Directeur de Théâtre qui est à la tête de cette Structure, mais un Producteur plutôt issu du collège des Compagnies. Cela a changé le regard que cette propre Association pouvait porter sur le festival.

La deuxième chose, c’est que je me suis attaqué à la dérégulation du travail (qui est pour moi une aberration), et donc au fait que les Artistes n’étaient pas payés. C’est absolument inacceptable pour moi. On a donc mis en place un Fond de soutien pour les Artistes, qui a notamment permis de prendre en charge le montant des charges patronales et sociales, à condition que les Artistes soient salariés. Cela a généré, pour les Compagnies, une obligation de salarier les Artistes et en même temps une aide assez importante : je crois qu’on prenait l’équivalent de « 1 000 balles » par salaire (c’était quand même pas mal !). On aide à peu près 300 à 400 Artistes par an.

Cela raconte le fait qu’on a pris conscience d’une situation anormale et qu’on a mis en place un dispositif pour essayer d’y palier. Ce dispositif-là a notamment permis au Ministère de commencer à se réintéresser au Festival Off d’Avignon. L’année dernière, on a été soutenu financièrement à hauteur de 40 000 euros par le Ministère (ce qui est une « goutte d’eau », mais tout de même symboliquement extrêmement important).

On a changé un peu cette image et on a dénoncé un certain nombre de choses. Notre pouvoir est limité dans la mesure où tant que ce n’est pas nous qui décidons des relations contractuelles, on est limités dans notre travail.

Pierre, on comprend (tu l’as expliqué) le « séisme » que peut être cette annulation du Festival Off d’Avignon pour les Compagnies… Vois-tu malgré tout quelques raisons pour elles d’espérer ? Je pose la question à la fois au Patron du festival et au Producteur que tu es.

Espérer… Oui, bien-sûr !

Le Théâtre existe depuis plus de 2 000 ans. On a prédit sa mort un certain nombre de fois et il a toujours survécu.
Je pense que le Théâtre a une capacité de résistance beaucoup plus forte qu’on l’imagine. On avait prédit sa mort au moment de l’arrivée du Cinéma parce qu’on était sur des styles narratifs assez proches. La réalité, c’est que le Théâtre continue d’exister : ce n’est pas du tout la même expérience. Je pense que le Théâtre résistera au Covid-19 comme il résistera à plein de choses. 

La deuxième chose, c’est qu’effectivement, les Artistes vont « souffrir ». Ils souffrent déjà : c’est déjà un secteur d’activités qui est fragile et qui va se fragiliser d’autant plus. Il va falloir beaucoup de courage aux Artistes (ils en ont) et beaucoup d’imagination pour arriver à inventer de nouvelles choses. On n’arrête pas de les solliciter là-dessus, c’était le discours du Président de la République : « Il faut inventer, inventer, inventer »

La réalité, c’est que si les Artistes peuvent inventer, ils n’inventeront pas « à partir de rien » : s’il n’y a pas de politique d’accompagnement derrière. Aujourd’hui, la balle est dans le camp du Politique : que veut-il faire de sa Culture ? Dans quelle mesure veut-il réellement accompagner les Artistes ? Encore une fois, je ne parle pas d’argent. Il n’y a pas que l’argent : est-ce qu’on impulse un dynamisme ?

Nous sommes en train de travailler sur la question de l’Espace Public : comment les Artistes peuvent-ils se le réapproprier en été, par exemple ? C’est un projet sur lequel on travaille avec la Mairie de Paris. Une rue dans laquelle on enlève les voitures devient un espace où il y a énormément de place, où on peut mettre des Artistes et des gens en respectant une distanciation. Pour qu’il se passe quelque chose, il faut qu’il y ait une volonté municipale de libérer la rue, d’en faire un espace fermé pour le spectacle, etc…
L’impulsion de l’Artiste fonctionne si elle est accompagnée par le Politique. La question est là aujourd’hui : que va vouloir le Politique, dans les années à venir, pour sa Culture ?

On peut se poser la même question pour l’Ecologie : le « mécanisme » fonctionne de la même manière. Les gens ont envie de faire plein de choses en Ecologie, mais s’il n’y a pas de volonté politique derrière, ils sont seuls et n’y arrivent pas.

Ce qui est génial dans ce que tu nous montres, c’est que le Politique n’est pas seulement à l’Elysée ou au Ministère de la Culture. C’est un peu partout et à tous les échelons…

Pour moi, de toute façon, une expression artistique est forcément à un endroit donné : dans une salle de spectacle jusqu’à présent. Ce ne sera peut-être pas toujours dans une salle de spectacle à l’avenir, mais c’est toujours sur un territoire porté par un Elu. Je pense que la responsabilité des Collectivités Territoriales est essentielle là-dedans.

Le Ministère est là pour impulser une dynamique et une politique. On sait très bien que l’opérationnel, ce n’est pas le Ministère. L’opérationnel, c’est sur le terrain. C’est chaque Maire, chaque Elu, chaque Région, chaque Département qui va s’approprier cette question-là et qui va considérer ou non que la Culture est un élément essentiel de l’épanouissement de ses concitoyens !

Merci beaucoup de toutes ces réflexions ! C’est super riche : il y a plein de pistes. C’est à la fois très riche et très concret. Merci beaucoup ! 

Merci à toi !

A bientôt !

A bientôt !

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