Saison 1

S01E07 Hors Série - Jérôme Tréhorel, Les Vieilles Charrues

SOLD OUT revient dans une version "HORS SERIE" pour parler de l'après, de la sortie de crise. Notre premier invité : Jérôme TRÉHOREL, le Directeur Général du plus grand festival de France LES VIEILLES CHARRUES. Un épisode pédagogique et positif qui montre les mécanismes en jeu dans la montée de la crise pour un festival majeur et les enjeux pour en sortir. Un propos qui envisage d’emblée la sortie de crise, en ouvrant des pistes d’un futur différent. Dans cet épisode, vous retrouvez de nouvelles chroniques de Nicolas Blanc (sur les artistes dans la crise) et Lisa Pujol (sur ce qu'on attend de l'après...). Et même un peu de Nick Cave...

Sold Out Jérôme Tréhorel Les Vieilles Charrues

Écoutez l'épisode maintenant

Découvrez la retranscription de l'épisode

SOLD OUT - Saison 1, épisode 07 : [Hors-Série] – Jérôme Tréhorel 

Bonjour Jérôme !

Bonjour Marc ! 

Comment tu vas (c’est la première question qu’on a envie de te poser) ?

Ça va. Je suis en bonne santé, la famille et les amis aussi. C’est le principal.
Après, c’est de la tristesse par rapport au fait qu’il n’y aura pas Les Vieilles Charrues cette année. Les sept dernières semaines ont donc vraiment été très particulières. Je pense qu’on est beaucoup à avoir jamais vécu ça. Il faut faire face. 

Justement, Jérôme. Tu sais que dans ce podcast « Hors-Série » de Sold Out, on va plutôt regarder l’avenir. On va penser au moment où la Lumière se rallumera à nouveau, où on pourra monter scènes et rassembler des gens.

Comme tu le dis, ces sept dernières semaines ont été si particulières… Je voudrais qu’on revienne sur le passé une seconde. Quelle a été la chronologie de la prise de décision ? Quels critères font aussi que vous avez annulé ? Pourquoi avez-vous tellement attendu cet arrêté dont tu as longuement parlé ? 

La chronologie est assez simple. Fin février : premier arrêté d’interdiction d’ouvrir les lieux confinés de plus de 5 000 personnes. Là, il y a eu une vraie prise de conscience pour nous en France. Dans la foulée, on a eu une réunion de crise avec le Ministre de la Culture. Il voulait qu’on fasse un « état des lieux » de notre organisation en situation normale, avec les modalités, les risques et les temporalités. 

Rapidement, on a aussi chacun (individuellement, mais avec beaucoup d’autres collègues de Festivals, avec des Producteurs et le PRODISS) fait en sorte d’évaluer quels pouvaient être les critères de risques qui nous mettraient en danger en organisant un évènement en situation dégradée, indépendamment d’avoir l’autorisation ou pas de pouvoir ouvrir.

Très vite, dès la première semaine, ces risques ont été identifiés (je les ai partagés avec beaucoup de collègues).
Il y avait un risque lié à la Billetterie. Les Vieilles Charrues c’était complet mais beaucoup d’autres n’étaient pas complets. La Billetterie était au « point mort » (d’ailleurs, elle n’a pas « redécollé » depuis). Cela met donc les évènements en risque financier.

Également, les Partenaires et Mécènes sont touchés économiquement par la crise sanitaire. C’est un volet très important du Festival des Vieilles Charrues : c’est un festival 100 % associatif, qui n’a pas de subvention et qui vit à
80 % grâce au Public et à 20 % grâce aux Partenaires et Mécènes. Ce sont plus de 200 entreprises qui nous soutiennent financièrement. C’est un budget de 2,5 millions d’euros. Ce budget-là nous sert à maintenir un prix de billet très attractif : autour de 44 euros la journée.
On sait qu’on n’aurait pas eu cet argent-là cette année. Même en étant complets, le festival devenait déficitaire.

Puis, il y avait un autre critère : l’Artistique. Dans un premier temps, les Artistes étrangers. Au fil des semaines, on s’est rendu compte qu’ils ne pourraient pas venir. Les autres pays sont également confinés, les frontières sont fermées et les vols suspendus. Si les Artistes internationaux (qui sont en général les grandes têtes d’affiches) ne viennent pas, le Public demandera à être remboursé. On creusera donc le déficit en remboursant des billets.

Un autre volet également très important pour l’organisation de grands évènements comme Les Vieilles Charrues : le volet « secours à la personne », avec nos 250 Secouristes et une équipe médicale d’une cinquantaine de personnes qui aujourd’hui sont en première ligne, « au front », dans les hôpitaux ou à gérer les acheminements.
Ces gens-là ne seront vraisemblablement pas là. Le festival ne pourra donc pas se faire, indépendamment d’avoir cette autorisation ou pas, selon l’évolution de la situation sanitaire.

Pourquoi attendiez-vous tellement cet arrêté ministériel ou préfectoral ?

Cet arrêté était important pour un volet. Il protège partiellement le festival. 

Un arrêté d’interdiction nous permettait de faire jouer le cas de force majeur et donc de faire en sorte que tous les contrats qui étaient en cours deviennent nuls et non avenus. Pour Les Vieilles Charrues, sur les 17 millions d’euros de budget, il y avait quasiment 7 millions d’euros déjà engagés, dont 5 millions d’euros sur la partie Artistique.

On restait focalisés et on passait à l’étape suivante qui était de sécurisé et pérenniser la Structure et les emplois aux Vieilles Charrues.

Justement, aujourd’hui, as-tu la certitude que les Vieilles Charrues ne sont pas en danger ou ne peut-on pas encore dire ça ?

Les Vieilles Charrues peuvent être en danger pour cette année mais aussi pour les années à venir. Rien ne sera plus comme avant. Déjà, nous avons pris la décision d’annoncer l’annulation et le report de l’édition à 2021. On a parlé de « report » mais, dans les faits, c’est effectivement une annulation. Le « report » permettait d’avoir un peu de « lumière au bout du tunnel » et de donner une perspective et un rendez-vous au Public. Un rendez-vous à nos Bénévoles, à nos Partenaires, aux Artistes et à tous ceux qui « font » les Vieilles Charrues. Dans les faits, le festival ne peut avoir lieu. On l’a fait sans avoir cet arrêté. Cela veut donc dire qu’on assumait tous les risques. 

On était très tristes d’annoncer ce report. Un report contraint, sans l’arrêté d’interdiction. C’est la décision très certainement la plus importante qu’on ait pris dans l’Association. La décision surtout la plus sage et la plus responsable vis à vis de la sécurité de tout le monde. C’était important de le faire.

Ce n’était pas facile de le faire. Depuis, on a beaucoup travaillé avec l’ensemble des Fournisseurs, des Prestataires, des Tourneurs, des Producteurs, avec un vrai élan de solidarité, pour faire en sorte de redémarrer tous ensemble du mieux possible, le plus vite possible, et de se projeter sur 2021.

Est-ce qu’aujourd’hui, dans tes journées, tu es encore « dans 2020 » : toute l’annulation, tout ce qu’il y a à gérer « d’industriel » dans le fait de ne pas faire ce festival, ou est-ce que tu es déjà « la tête dans 2021 » ?

C’est un mix des deux. Continuer à analyser en détail ce que va coûter aux Vieilles Charrues une année sans activité, mais également se projeter sur l’avenir. Parler avec l’équipe de la programmation pour 2021. Il y a déjà beaucoup d’échanges pour organiser les reports de dates pour l’édition 2021.
C’est aussi beaucoup de travail sur la Billetterie. Il a fallu organiser la proposition aux festivaliers de se faire rembourser s’ils le souhaitent. Avoir une lisibilité parfaite pour eux, avec la mise en place d’une stratégie où on l’annonçait de manière très claire pour tous les festivaliers. Être les plus honnêtes et transparents possibles avec les gens. On a une vraie relation particulière avec les festivaliers. Ils sont très fidèles, très fans des Vieilles Charrues, et on ne veut pas les décevoir. On a donc beaucoup travaillé sur ces points-là. 

Sur l’avenir, on travaille avec tous les collègues d’autres festivals et pas mal d’Organismes à identifier des mesures potentielles pour nous aider à faire en sorte que la diversité culturelle ne soit pas mise à mal et que TOUS les Organisateurs (« petits », « moyens », « gros », privés ou associatifs) puissent être au rendez-vous l’année prochaine et reproposer leurs Evènements dans les mêmes calibrages. C’est notre souhait aux Vieilles Charrues

Si tu me le permets, je vais rebondir dessus parce que c’est hyper important pour les gens qui nous écoutent.
Aujourd’hui, les entreprises qui aident des festivals ou des manifestations culturelles au titre du mécénat, peuvent déduire une partie de leur « aide » de leurs impôts. Le sujet est l’incitation fiscale, pour que les Partenaires Privés ne vous « lâchent » pas alors qu’eux-mêmes ne sont pas en « bonne santé ». C’est ça ?

C’est ça. Aujourd’hui, les entreprises mettent souvent en place des opérations de sponsoring (des échanges de visibilité, d’image, des opérations de relations publiques, des activations sur les sites, etc…). Il y a aussi la partie Mécénat (un « don » défiscalisable à hauteur de 60 %), et le festival peut reverser jusqu’à 15 % de contrepartie (c’est ce qu’on fait sur de la billetterie). Cela leur permet d’organiser leurs opérations de Relations Publiques.

Ce qui est très intéressant sur le Mécénat, c’est qu’on touche un tissu très local, avec de « toutes petites », moyennes et plus grandes entreprises. Cela permet à toutes les entreprises qui le souhaitent et à tous les secteurs d’activités de participer à l’organisation des Vieilles Charrues et de faire partie de cette « famille Charrues ».
C’est un vrai plaisir de pouvoir accueillir ces entreprises qui, par le Sponsoring, ne pouvaient pas rentrer dans les « critères classiques ». 

Ce Mécénat est important. C’est un des socles qui nous a permis d’augmenter les cachets artistiques sans augmenter le prix du billet de manière proportionnelle, grâce à la présence des entreprises.

Justement, tu es en train de parler des cachets, je sais que c’est aussi l’un de tes « chevaux de bataille ». Penses-tu que cette crise, qu’on n’a jamais connue ni même imaginée, pourrait t’amener des bonnes choses, notamment du point de vue des cachets artistiques qui ont « explosés » ces dernières années.

Il va de toute façon falloir tirer les enseignements de cette crise. Il y a beaucoup de choses se passaient avant, beaucoup de choses que l’on subissait du fait d’une concurrence beaucoup plus importante, avec beaucoup plus de demande que d’offre, avec des modèles de festivals et d’évènements qui ne sont pas du tout les mêmes dans d’autres pays, avecdes règles du jeu qui ne sont pas les mêmes (je pense à la Loi Evin sur l’alcool et le tabac – je ne dis pas qu’il faut l’enlever en France). 

Ce sont des leviers financiers beaucoup plus importants à l’étranger, avec des habitudes de consommation différentes. On est assez régulièrement sur des tarifs d’entrée autour de 100 euros, des bières à huit euros, des scènes qui sont aux couleurs de toutes les marques, ce qu’on n’a pas (ou peu) en France et pas du tout aux Vieilles Charrues.

Je pense qu’il y aura effectivement un « avant » et un « après » cette crise qui touche tout le monde.
Ces dernières années (on en a beaucoup parlé), il y a eu des augmentations liées aux cachets artistiques et à la Sécurité, notamment à la suite de la vague d’attentats qu’on a connue en France. Depuis, chaque Organisateur regarde « à la loupe » l’ensemble des lignes budgétaires. On les connaît par cœur. Il y en a deux qu’on ne maîtrisait pas : la Sécurité et l’Artistique. Aujourd’hui, si on veut pouvoir continuer dans les mêmes proportions, sans que ce soient les festivaliers qui paient le coût ou l’impact de cette crise (c’est important), il faudra trouver d’autres solutions.

Aujourd’hui, on sait que des Partenaires et des Fournisseurs joueront le jeu pour nous accompagner. Je pense que sur le volet Artistique, il y a quelque chose à jouer. Depuis plusieurs semaines, on a beaucoup échangé avec un grand nombre de festivals et de Tourneurs tous aussi impactés. On ne pourra pas continuer à payer les mêmes montants, notamment pour les « grands » et les « très grands » Artistes. Ce ne sera pas possible…

Jérôme, pardon de t’interrompre un instant… Si je me fais « l’Avocat du Diable », aujourd’hui, les Artistes comptent sur ces cachets pour vivre, puisque moins de revenus proviennent de l’Industrie du Disque… 

Oui, mais je parle des « grands », « TRES grands » …
Je pense que quand on est sur des dates à plus de 500 000 euros pour un concert (de 200 000 d’euros à un million d’euros), je pense que « ça va » : on peut aussi participer à l’effort et à la solidarité. 

Je pense aussi qu’en matière de Revenu Artistique, ce n’est pas au Live de tout payer et de compenser la crise du Disque. C’est ce qui s’est passé ces dernières années. Je pense que volet Numérique n’a pas (ou peu) été exploité. Beaucoup d’efforts de réflexion sont faits autour du Streaming. Je prends l’exemple de Deezer, avec Louis-Alexis de Gemini qui a proposé des « reverses » beaucoup plus adaptés en fonction des écoutes. Je trouve ça vraiment très intéressant. Je pense qu’il faut aller beaucoup plus loin et s’attaquer aux GAFA qui diffusent pendant des heures et des heures, en illimité, tout un tas de contenus. On le voit beaucoup en ce moment sur Facebook, Youtube, etc…
Je pense qu’à moment donné, il va falloir que les choses s’équilibrent : on ne pourra pas, de toute façon, continuer à payer ces montants-là. 

Pour l’avenir, il faut se dire qu’indépendamment d’avoir des festivaliers qui reviennent sur nos festivals, on ne sait pas quel sera le comportement des gens en sortie de crise, ni comment va évoluer la situation sanitaire. Faudra-t-il des masques ? Y aura-t-il un vaccin qui, pour le coup, rassurera tout le monde ?

On sait aussi que les Partenaires et Mécènes, touchés économiquement, ne reviendront pas à 100 % l’année prochaine. Donc, dès 2021, on est déjà en difficulté financière. On ne peut donc pas, mécaniquement, proposer les mêmes tarifs, que ce soit sur un festival ou une tournée.

Sur cette « affaire » de GAFA et de streaming, tu n’es pas le seul à penser ça. Je vais me permettre de te faire écouter un son de Jacques Attali, qui a beaucoup pris la parole sur la transformation de l’Economie et du Spectacle Vivant ces derniers temps.

Si tu veux bien, Jérôme, on écoute Jacques Attali et je te demande ce que tu en penses derrière ?

[Extrait d’une interview de Jacques Attali]

Le monde ne sera plus ce qu’il est. Il ne sera plus ce qu’il était. Il faut le penser.

Prenez l’exemple du Spectacle Vivant. Il y a énormément de choses à imaginer. D’abord, on peut faire du Spectacle Vivant Digital payant. Bientôt, dans quelques semaines, on pourra acheter sa place… ça existe.

On peut imaginer (j’enrage de voir que ce n’est pas fait) … Il y a au moins mille lieux en France où on pourrait faire des spectacles en plein air, dès maintenant, en respectant la distance. Il serait de la responsabilité des Pouvoirs Publics locaux, nationaux ou internationaux de faire la carte des lieux où on peut faire des spectacles vivants distanciés.
On pourrait commencer à les faire demain matin ! Naturellement, ça exigera de penser autrement et d’avoir d’autres formes de mise en scène. Ça peut être passionnant à faire, tant pour un orchestre, qu’un Chanteur ou qu’une Pièce de Théâtre… passionnant ! Il faut réinventer.

Si on reste à attendre que tout revienne comme avant, c’est fini : on est « morts ».

Qu’est-ce que tu penses de ça, Jérôme ?

Je suis en partie d’accord : ce ne sera plus comme avant, ça c’est sûr. Il faut se le dire.
Je ne sais pas s’il faut penser qu’il faut réinventer, réadapter. On a déjà un « socle » dans le secteur Culturel en France qui est très puissant (on parle souvent d’exception culturelle), avec énormément de Talents, de « forces vives » et d’acteurs qui font qu’il y a des Artistes sur scène, des Techniciens, des Organisateurs et du Public.

Sur l’aspect des concerts « dès demain », en se réadaptant avec des mesures barrières, je n’y crois pas. C’est à l’opposé de ce qu’on veut organiser. L’organisation des festivals ou des concerts, c’est une foule qui vient à la rencontre d’un Artiste sur scène, avec des moments de partages, de liesse… Des moments d’exception autour de la musique, un partage de valeurs, etc… On est dans le rapprochement social.
Je ne vois pas comment on peut imaginer, comme ça a été dit à un moment, un concert avec un Artiste sur scène, cinquante personnes dans le public, sur des chaises espacées d’un mètre… C’est compliqué !

Tout le monde a compris qu’il n’y aurait pas de festival cet été. On l’a compris nous, Professionnels, depuis plusieurs semaines. On l’a dit, on l’a demandé. C’est venu un peu de manière « chaotique » à la suite de l’allocution du Président de la République, et là maintenant de manière plus claire avec le discours du Premier Ministre à l’Assemblée Nationale, mais j’ai envie de dire : « Enfin ! ».

On va pouvoir passer à la « sauvegarde » et à la pérennité de toutes de nos Structures, pour préserver les emplois directs : les Salariés qui organisent l’évènement et, en parallèle (mais immédiatement, maintenant) tous les Salariés « complémentaires » qui sont les Intermittents. Sans eux, on ne peut pas organiser un festival. Sans eux, on ne peut pas organiser un concert, ni une tournée. 

Aujourd’hui, il y a encore un « flou » : que va-t-il se passer pour eux ? On sait que, pour la plus grande majorité, ils ne travailleront pas jusqu’à la fin de l’année au minimum. Pour moi, il est simple de ne pas rajouter une « crise dans la crise » et de mettre en place une « année blanche » : faire un copier-coller des droits 2019 sur 2020, afin de faciliter cette reprise. Ça coûtera de l’argent, je suis d’accord. Maintenant, on n’est plus forcément à quelques centaines de millions d’euros, vu toutes les mesures qui ont commencé à être mises en place, et sont nécessaires pour se plan de sauvegarde.

Il vaut mieux garder des forces et de l’énergie pour réfléchir à sauver et à pérenniser ces Structure, afin de redémarrer au mieux l’année prochaine, plutôt que d’essayer de mettre en place des « mesurettes ». De toute façon, la situation sanitaire n’est pas sous contrôle. On le voit bien. Le déconfinement, c’est « potentiellement, à date, on vous annonce ça… On verra en fonction de l’évolution de la situation ». Ce que je peux tout à fait comprendre.
Gardons des forces et de l’énergie pour reconstruire et rebâtir demain.

Quelque part, ce que dit aussi Jacques Attali dans cet interview dont j’ai pris un court extrait, c’est qu’au fond, on ne peut pas repartir exactement de la même manière demain. Cela sous-entend, peut-être, qu’on ait collectivement « mal fait » collectivement certaines choses.

Je vais prendre un exemple. Un festival, c’est plein de gens qui viennent au même endroit au même moment, parfois ils viennent en voiture… Ecologiquement, cela pose des questions. Est-ce aussi l’occasion de réinventer ces « trucs-là » pour quand on va « rallumer la lumière » ?

C’est vrai que ça met en lumière de belles choses.
On l’a vu au tout début de la crise, quand on était tous « focus » sur la Chine (le nuage de pollution au-dessus de la Chine disparaissait). 

On s’est aussi rendu compte, d’une manière un peu plus violente, de la dépendance économique que l’on avait vis-à-vis de pays comme la Chine. Je prends l’exemple des médicaments…

Bien-sûr.

Il y a des molécules qui viennent de Chine, par exemple. 

Cela a de belles vertus. Je pense que depuis quelques années (c’est encore récent), il y a beaucoup d’évènements (notamment des festivals) qui, déjà, ont « imaginé leur évènement ». C’est le cas des Vieilles Charrues depuis le début (ça a été créé pour ça). Un impact très fort sur le territoire. On travaille beaucoup « en local » avec des Fournisseurs et des Prestataires. On travaille beaucoup avec les Producteurs locaux. On fait en sorte d’avoir des produits locaux et de faire travailler toute la chaîne économique bretonne dans tous les secteurs d’activités. Je crois qu’aujourd’hui, on trouve en Bretagne 90 % de ce dont on a besoin pour faire le festival. 

C’est important. Au-delà de créer de la richesse, produire et travailler « en local » crée des emplois indirects. C’est vraiment indispensable. 

On a fait une étude d’impact de l’édition 2019 des Vieilles Charrues, qu’on a publiée en février (juste avant le confinement) : c’est 18 millions d’euros d’impact économique sur Carhaix et 5 millions d’euros de retombées économiques directes sur Carhaix. C’est tout un pays qui se met en « mode Charrues ». Même les commerçants de la ville s’adaptent et restent ouverts au moment du festival. Les habitants reçoivent les festivaliers chez eux. On a le camping gratuit, mais beaucoup vont chez l’habitant (dans la maison, la chambre ou le jardin). 

Je pense qu’il va falloir encore amplifier cela à la suite de cette crise : aller « au plus proche » pour redynamiser les territoires et mettre en avant tous ces territoires que l’on a à côté de chez nous, et repenser à sa manière de consommer, de se déplacer, de vivre tout simplement. 

Depuis le début de la crise, as-tu déjà remarqué plus de solidarité entre différents acteurs économiques ou culturels qui, parfois, pouvaient avoir des intérêts antagonistes ? La solidarité est-elle une vertu de cette crise ?

Oui, clairement. Très clairement.

Que ce soit des festivals associatifs comme Les Vieilles Charrues et Les Eurockéennes, des Producteurs indépendants ou des Live Nations et A.E.G., tout le monde s’est mis autour de la table. Tout le monde avait le même état d’esprit, la même volonté. C’est une très grande solidarité qu’il n’y a jamais eu à ce niveau-là dans le secteur culturel et le secteur du Live.

Voilà une « lumière au bout du tunnel », peut-être, quand même…

Oui. Il faut le dire vraiment parce que c’est vrai, ça fait plaisir et ça crée du lien entre les gens.

Ça crée de « l’humain », ça renforce « l’humain » ?

Ça a renforcé « l’humain » alors que ça aurait pu le diviser et « l’exploser » complètement. Malgré le fait qu’on ait, pour beaucoup, déjà annoncé notre annulation et/ou report, on continue de s’appeler pour savoir comment ça va, pour préparer « l’après », quelles sont les pistes d’aides sur les charges, les factures de l’Etat, le Mécénat, le chômage partiel, les aides directes… On échange, on se complète et on essaie d’être présents à un maximum de réunions pour porter la voix du secteur du Live.

Je trouve ça très intéressant. Pour moi, cela va renforcer cette dynamique et cette force du secteur du Live, cette diversité culturelle, cette exception culturelle française. Maintenant, il nous faut aussi des réponses de l’Etat.
Là, par contre, ça commence à être long. 

Dernière question, Jérôme, sur le Public. Comment fait-on pour garder le lien avec lui puisque 2020 sera une « année blanche » ? Cela me fait un peu penser à ce qui se passe entre deux saisons d’une série, finalement.
Il va se passer un an à un an et demi entre deux saisons, il faut pourtant que le Public reste en lien avec vous.
C’est ça l’idée ?

Oui. Vous savez, on organise un festival comme si on organisait un barbecue dans notre jardin ! …

Oui, un gros barbecue !

Un grand barbecue avec 70 000 personnes par jour. C’est comme ça qu’on envisage les choses, comme si on invitait des amis. Là, tout de suite, immédiatement, pour « garder le lien » en toute transparence et honnêteté avec nos festivaliers, on a réfléchi à la meilleure solution à leur proposer pour garder leur billet ou se faire rembourser. 

C’était important de leur proposer de le garder parce que les dernières années, la Billetterie est partie très vite aux Vieilles Charrues. Pour cette année, les billets pour Céline Dion sont partis en moins de huit minutes et les billets du « reste du week-end » sont partis en quelques heures. Jamais on n’a vécu un engouement pareil.
Cela aurait donc été un peu injuste de dire aux festivaliers : « On rembourse tout le monde et on recommence. Retentez votre chance »

On a donc essayé de trouver les meilleures solutions.
Les retours qu’on a eus étaient également beaucoup de satisfaction : on n’essayait pas de les « voler ».

J’espère que dans les semaines à venir, on va réfléchir à quelques contenus, « clins d’œil », pour « garder le lien ».
J’aime bien cette idée de playlists thématiques autour d’Artistes venus aux Vieilles Charrues.
Cela peut être des playlists par édition, par année, pour se rappeler un peu ce qu’on a vécu, ou des playlists pour faire du sport, se balader, se réveiller le matin, faire la fête…
Il y aura peut-être des volets Live. On va « creuser » un petit peu et regarder si on peut proposer quelques moments marquants de l’édition.

Surtout, ce que j’espère très vite, c’est qu’on puisse leur annoncer la programmation 2021 à la rentrée. On se rapprochera encore davantage de ce rendez-vous, manqué cette année, qui aura lieu en 2021.

Oui, puis après, pendant tout le reste des mois qui nous sépareront de juillet 2021, il faudra peut-être continuer à « garder le lien » avec ce Public…

On trouvera des solutions. Les Artistes aussi en auront besoin.
J’aime bien cette relation entre le festival (qui est l’organisateur), l’Artiste qui vient à la rencontre du Public, et le Public qui vient à la rencontre de l’Artiste. Nous, on organise un peu le « papier cadeau ». Un joli « papier cadeau » avec 7 150 bénévoles qui viennent prêter main forte et sont la particularité des Vieilles Charrues.
On essaiera de trouver un triptyque entre tout ça. On organisera aussi, avec des Médias Partenaires, des moments pour se voir avec le Public et les Artistes. 

Il y a plein de pistes, plein d’idées.

Qu’écoutes-tu comme musique pour te donner la pêche en ce moment, Jérôme ?

En ce moment, j’écoutes quoi ? Pas mal de choses assez rock. J’aime bien me balader et me laisser guider avec ce qu’on me propose dans les mêmes styles. 

J’écoutes Arcade Fire, Foals, Suede, David Bowie, Dépêche Mode, Marquis de Sade… plein de choses que j’adore.
Ça fait longtemps que je n’avais pas écouté de musique. Ça fait 15 jours que j’en réécoute et ça fait du bien !

Je crois qu’il n’y a rien de tel. Ça sauve la vie, même !

Exactement. Des fois, il faut juste « déconnecter » un peu, reprendre le temps d’écouter et se laisser transporter.

Merci Jérôme ! C’était un bonheur de te parler.

Merci beaucoup Marc !

A très vite !

A bientôt ! Salut, bye !

TOUS LES ÉPISODES