Saison 1

S01E05 - Alexis Michalik, comédien, metteur en scène et auteur

Difficile de s’intéresser au spectacle vivant sans connaitre Alexis Michalik. À 37 ans, ce virtuose du théâtre sait tout faire : auteur, metteur en scène et comédien. Ses 5 pièces (dont son « blockbuster » Edmond) sont jouées à Paris. Toutes annoncent des records de remplissage et de bouche à oreille. Et ses nouveaux projets se dessinent déjà. Ce cinquième épisode de notre podcast est exceptionnel. Si vous êtes habitués de Sold Out, vous savez que d’habitude on reçoit ici les gens de l’ombre, qui rendent le spectacle possible (producteurs, metteur en scène, dirigeant(e) de salles). Et aujourd’hui le moins que l’on puisse dire est que celui que vous allez entendre est dans la lumière. Enregistré chez lui à la fin du mois de Janvier 2020, cet entretien n’est pas une étape promotionnelle de plus pour remplir les salles. Elles n’en ont pas besoin. Avec une très grande générosité, Michalik prend le temps de revenir sur son parcours. Il évoque avec franchise les temps forts, les temps faibles et les épiphanies qui lui ont permis d’avancer. Que vous souhaitiez travailler un jour dans le théâtre ou le spectacle, que vous soyez fan de son oeuvre ou, tout simplement curieux, cet épisode est à vous ! Bonne écoute !

Sold Out Alexis Michalik

Écoutez l'épisode maintenant

Découvrez la retranscription de l'épisode

SOLD OUT - Saison 1, épisode 05 : Alexis Michalik 

- Domicile d’Alexis Michalik (Paris), fin janvier 2020 -

On va vraiment parler des coulisses du Spectacle, de ce que veut dire « monter », « produire », « jouer », en reprenant tout votre parcours. Au début, vous vous destiniez plutôt à être Comédien, si je comprends bien…

Oui, complètement. J’ai commencé à 18 ans, en me disant : « J’ai vraiment envie de ça ! ».
Je sortais d’un club théâtre au collège / lycée. J’ai trouvé un Agent à 18 ans et j’ai commencé à travailler et à passer des castings. J’ai fait ma première expérience théâtrale dans le rôle de « Roméo », avec Irina Brook. Elle montait un spectacle, notamment au Théâtre National de Chaillot, et un peu en tournée. Cela m’a permis de découvrir ce qu’était la Mise en scène.

Comment trouve-t-on un Agent à 18 ans ? Pour ceux qui nous écoutent, c’est déjà une « marche à franchir » inouïe !

Une amie de mes parents était Comédienne et m’avait vu jouer dans les spectacles de lycée. Elle m’avait dit : « Si tu veux, je te présente mon Agent ». Elle m’a présenté son Agent. Il m’a fait confiance parce que j’étais arrivé avec une cassette vidéo de la pièce de fin d’année. Il m’a dit : « Ecoutes, il se trouve qu’on cherche des jeunes de 18 ans. La Télé en cherche souvent : ça les intéresse d’avoir des gens très jeunes ». J’ai commencé à passer des castings et ça s’est plutôt bien passé. C’était donc confirmé !

C’est aussi le moment, peu de temps après, où vous passez le Conservatoire, c’est ça ?

Oui, je l’ai passé deux fois. Une première fois à 18 ans, en même temps que l’audition pour Irina Brook. Je ne l’ai pas eu mais j’ai été au troisième tour. Une deuxième fois après l’audition pour Irina Brook (j’avais 20 ans), où je l’ai eu. Après réflexion, j’ai décidé de laisser ma place à quelqu’un parce que je n’avais pas très envie d’y aller, au fond.

C’est incroyable quand même ! On le passe deux fois et quand on l’a, on se dit : « Checked ! C’est bon, c’est fait.
Je n’y vais pas ! »

A l’époque, il y avait un stage entre le deuxième et le troisième tour. Je suis « tombé » sur deux profs, un des deux avec qui je me suis dit : « Ah, c’est chouette ! Je m’entends bien avec lui », l’autre où je me suis vraiment dit : « Si je tombe avec lui en cours, c’est tout ce que je déteste dans le Théâtre. C’est vieux, ampoulé, dépassé, un peu pédant… Je n’ai pas envie de me retrouver avec lui pendant trois ans et de ne pas pouvoir travailler ».

En discutant avec le Directeur du Conservatoire, juste avant de passer le troisième tour, il m’a dit : « Vous savez, des gens de votre profil ont déjà un Agent et travaillent déjà. Parfois, ils s’en vont avant la fin de l’école. C’est dommage, parce qu’ils auront piqué la place de quelqu’un ! ». Je lui ai dit : « Oui, c’est vrai. En même temps, vous comprenez… Si je pars maintenant, avant le troisième tour, on me dira que si je dis ça, c’est parce que je ne l’ai pas eu… ».

Je l’ai donc eu, et après réflexion je me suis dit : « En fait, j’ai envie de faire mes « trucs » tout seul ».

Généraliseriez-vous un peu cela en donnant le conseil : « Si vous ne le sentez pas, ne le faites pas », ou est-ce très personnel ?

Je pense que la majorité des jeunes Comédiens ont cette vision un peu fausse des Grandes Ecoles, qui est qu’elles sont une fin en soi ; que quand on rentre dans une Grande Ecole, « c’est gagné : on va bosser toute sa vie ». 

C’est évidemment faux ! Il y a plein de gens qui sortent des Ecoles Nationales et qui ne travaillent pas, ou beaucoup moins que d’autres gens qui n’en sont pas sortis. Après, tout est question de discipline et de travail. 

Je pars du principe que d’une part, les métiers de Comédien et de Metteur en Scène sont des « métiers d’Artisans » : ils ne s’apprennent pas dans les écoles, les facultés ou les cours théoriques. Ce sont des métiers de terrain. Plus on travaille, plus on apprend. Quand on est Comédien, la transmission se fait aussi quand on rencontre des Comédiens un peu plus âgés, plus confirmés, qui vont nous apprendre plein de choses et avec qui on va jouer, mais pas particulièrement dans une école.

Pour moi, ce qui compte dans une école, ce sont les connexions qu’on se fait, les rencontres qu’on fait, le réseau qui va perdurer dans toute notre carrière. En revanche, s’enfermer trois ans pour des cours et ne pas avoir le droit de travailler, pour moi c’est un peu une aberration, un non-sens.
Je dirais donc surtout aux jeunes Comédiens de ne pas se figurer que s’ils rentrent au Conservatoire National ou ailleurs, c’est « l’hôtel » : qu’à partir de là, c’est bon, leur vie sera prise en mains. Pas du tout ! Il va falloir continuer à travailler, travailler, travailler et se remettre en question tous les jours.

Si je tire un bilan des gens que je rencontrais à l’époque, quand j’avais 17-18 ans, dans des écoles de Théâtre (j’étais au Conservatoire Municipal), ceux qui travaillent encore aujourd’hui sont ceux qui n’ont jamais cessé de provoquer des projets, de créer, de se diversifier dans leur talent, dans le Chant, la Danse, la création, d’être toujours sympas…
Ce ne sont pas ceux qui se plaignaient, critiquaient, détestaient tout et faisaient des « pièces de non-théâtre ».
Ceux qui bossent sont ceux qui, déjà, avaient une conscience professionnelle.

Pour dire : « Je ne viendrai pas » le jour où on l’a, faut-il avoir une « sacrée dose » de confiance en soi ?

Oui, ça c’est sûr ! Je n’ai jamais manqué de confiance en moi, mais voilà : « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ! ». Je ne l’ai jamais regretté. Il n’y a pas un moment où je me suis dit : « Mince, je suis passé à côté d’une carrière ».

Cette confiance en vous elle venait de quoi ? De tous ces livres qu’on voit derrière vous, que vous avez toujours lus ? D’être beaucoup « la tête dans le passé » ? De vos parents ? De quoi ?

Je ne sais pas. Je pense que dès que j’ai commencé à faire du Théâtre au club théâtre au collège ou au lycée, je me suis rendu compte que j’étais à l’aise, que j’étais « chez moi ». Je pense que c’est aussi un mélange des choses qu’on nous renvoie, quand on nous dit : « C’est bien ce que tu fais ! ». Paradoxalement, ce qui est marrant, c’est qu’en tant qu’Acteur on m’a toujours dit : « Tu as des facilités, c’est super ! Ça a l’air super simple pour toi ». Je me disais donc : « J’ai une place en tant qu’Acteur »

Par contre, quand j’étais ado, quand je faisais lire ce que j’écrivais à mes camarades, à mes parents, à tout le monde, j’avais vraiment des réactions très mitigées : « Oui, bon… C’est sympa mais je préfère Marc Lévy ». Je me faisais à l’idée que j’écrivais pour mon plaisir et que je n’étais pas un génie de l’écriture, alors que je me disais : « Dans le Théâtre, quand je joue, j’ai des réactions hyper enthousiastes. J’ai donc à priori ma place là-dedans ».

J’ai été d’autant plus étonné quelques années plus tard, quand je me suis rendu compte qu’en fait, c’est pour mes écrits et les créations que je faisais que je recevais le plus d’éloges et d’encouragements.

Justement, ça « bascule » déjà une première fois en 2005, c’est ça ? Avec Une Folle Journée, Le Festival Avignon OFF… Pouvez-vous nous raconter cette première « bascule » dans votre carrière ?

Le tout début fait suite à ce Conservatoire refusé et à cette tournée avec Irina Brook.

Je me suis dit : « Tiens, j’ai envie de monter un spectacle ». J’avais envie de monter Le mariage de Figaro, et je suis retourné dans mon Conservatoire Municipal en disant au prof’ : « Voilà, est-ce que je peux le monter avec des élèves de ton cours ? ». Il m’a dit : « Oui, pas de problème. Vas-y, fais comme chez toi ! ».

J’ai donc fait mon casting au sein du Conservatoire, et on a créé une « pièce d’école ». On a donc passé une audition pour le Centre d’Animation de la Jonquière, dans le XVIIème, qu’on a obtenue. On a donc eu le droit d’y jouer une semaine (je crois). On s’est dit : « Super ! On va avoir un vrai théâtre ».
On a travaillé pendant toute l’année scolaire et une fois qu’on l’a créée, on a eu de très bons retours. Même si c’étaient la famille et les amis, on se disait : « Tiens, c’est marrant ! ».

Là, un des Acteurs nous a dit : « Et si on l’amenait à Avignon ? ». On a dit : « Mais c’est quoi Avignon ? ». On s’est renseignés un petit peu sur le Festival d’Avignon, puis on s’est dit : « Allez vas-y… Banco ! On le tente ».

Il se trouve qu’à l’époque, j’avais la chance de tourner en tant que Comédien pour la Télévision. Je gagnais donc déjà correctement ma vie, et j’ai pu avancer l’argent nécessaire à louer notre première Salle Avignonnaise, en 2005.
A l’époque, c’était 6 000 euros la location de la salle. Le budget global pour partir à Avignon était de 10 000 euros. On était dix à jouer, il y avait un Régisseur. Globalement, je me suis dit : « Au pire, on perd 10 000 euros et ce n’est pas grave : c’est la vie ! ».

On est partis comme ça, un peu « à l’arrache », en ne sachant pas du tout dans quoi on « mettait les pieds » ; en louant cette salle, en prenant une « baraque » à 40 km d’Avignon (première erreur), en se disant : « Allez, ce n’est pas très loin, ça va aller, on a des voitures… ». Evidemment, c’était l’enfer ! C’était un mas provençal pour 8 personnes, on était 13. Les garçons dormaient à cinq dans une chambre, moi je dormais dans le salon, sur un tapis, avec mon meilleur pote… C’était « rock’n roll » ! J’ai perdu 8 kilos, mais je me suis éclaté ! C’était super !

C’était un premier Festival d’Avignon, c’était la découverte. Au bout de trois jours, un professionnel est arrivé et a dit : « Bonjour, vous avez un dossier de presse ? ». On a dit : « C’est quoi un dossier de presse ? », et on a appris « sur le tas » qu’il y avait une économie du Théâtre et qu’on pouvait vendre un spectacle et des dates. On l’a appris en étant déjà au Festival d’Avignon. On n’est pas partis au Festival d’Avignon en se disant : « On va vendre des dates », on est partis en se disant : « On va jouer notre spectacle et c’est déjà super ! »

Mine de rien, le spectacle plaisait. Il y avait une énergie. On était fous : le spectacle durait deux heures et demie, on jouait à 22h30 au Théâtre de la Condition des Soies. Bon an, mal an on a réussi à « remplir » et à se rembourser.

Vous aviez presque joué un rôle de Producteur à ce moment-là, déjà…

Oui. J’étais clairement Producteur du spectacle, même si on n’était pas payés. On s’était réparti un peu les tâches. On avait encore cette vision de la « compagnie », du partage des tâches. Après, j’ai appris à arrêter d’avoir cette vision : il y a des gens qui ne sont juste pas formés à faire ce qu’on leur demande. Un Acteur est là pour jouer, pas pour trouver des logements (pour cela, il y en a qui sont moins doués que d’autres).

On y est allés un peu « la fleur au fusil ». En arrivant là-bas, je me suis rendu compte de ce qu’était le Festival d’Avignon OFF : ce challenge hyper-intéressant, et des problématiques de notre spectacle. On était dix sur scène, ce qui était « beaucoup » pour vendre un spectacle. Je me suis dit : « Je vais revenir l’année prochaine avec un autre spectacle. On sera un peu moins nombreux. J’essaierai d’améliorer les quelques « trucs artistiques » qui, pour l’instant, ont vraiment été d’un niveau très basique » : pas de lumière, quasiment pas de décor. Je me suis dit : « Je vais essayer de faire mieux l’année prochaine ».

C’est ce qui s’est passé ? 

Oui. Je suis revenu avec La mégère à peu près apprivoisée, en 2006. Effectivement, c’était un petit peu plus « professionnalisé » que ça. On a répété dans le même genre de conditions. On a aussi joué au Théâtre de la Jonquières (ils nous ont rappelés). 

Ensuite, on a joué au Festival d’Avignon. On s’est fait « planter » par notre Salle. On a donc retrouvé une autre salle, la Luna-Buffon. Les loges, c’était « caravane ». Entre la « caravane » et la salle, c’était à l’air libre. Il y a eu beaucoup d’orages cette année-là. C’était donc assez « rock’n roll » : on arrivait sur scène, on était mouillés… mais bon, on a joué, ça a « remplit » et ça s’est très bien passé.

Cette année-là (2006), à Avignon, on a rencontré plusieurs Producteurs qui nous ont dit : « Ça m’intéresserait de produire le spectacle », dont Arthur Jugnot qui avait notre âge. Il a dit : « Je viens d’acheter le Théâtre des Béliers, à Avignon, est-ce que ça vous intéresserait qu’on vous produise ? On aime bien votre délire ». On s’est dit : « Allez, on part avec lui ! ».

Il y avait vraiment une bonne énergie. Comme on jouait La mégère à peu près apprivoisée là-bas, j’y ai rencontré Benjamin Bellecour et Salomé Lelouch. Ils m’ont dit : « Si tu as un autre spectacle, n’hésites pas à nous le proposer ». A ce moment-là, comme on n’arrivait pas à trouver un théâtre pour une programmation longue de La mégère à peu près apprivoisée, j’ai dit : « Je vais faire un autre spectacle, beaucoup plus simple, beaucoup plus léger, où on ne serait que trois Acteurs ». C’était Roméo & Juliette. On l’a proposé à Arthur Jugnot et sa bande, qui ont dit « Non, ce n’est pas pour nous ». On est donc allés voir Benjamin Bellecour et Salomé Lelouch en leur disant : « Est-ce que ça vous intéresse ? ». Ils ont dit : « Oui, avec plaisir ! ».

On a donc produit Roméo & Juliette, le deuxième spectacle, et on s’est retrouvés à jouer les deux spectacles en même temps. Dans ma tête, c’était un spectacle conçu pour « tourner » le plus possible puisque très léger : il pouvait « se balader ». Il était parfait pour le Festival d’Avignon et pour enlever et remettre les décors rapidement.

C’est dingue parce que dans votre écriture, vous intégrez toutes les contraintes économiques du spectacle, en fait…

Oui. Dans ma mise en scène surtout. L’écriture est extrêmement narrative : il y a plein de personnages. Dans la mise en scène, effectivement, il y a une vraie volonté (influencée par le Off) de faire des spectacles économiquement réalistes. Je ne me dis jamais : « Génial ! On va être 25 sur scène, il va y avoir un grand mur de marbre… », parce que je sais que le spectacle sera condamné à n’être joué que « dix fois ». 

J’adore Thomas Joly et ce qu’il fait, mais son « Henri VI de 18 heures » il ne l’a joué que « dix fois » (l’intégrale) ! C’est donc frustrant de mettre autant d’énergie dans un spectacle et de se dire : « En fait, peu de gens l’ont vu : il l’a si peu joué ! ».

C’est vraiment au Festival d’Avignon, en 2005 et après, que vous vous êtes dit : « Remplir une Salle n’est pas un gros mot » ?

Non ! Au contraire, « remplir une Salle », c’est le but ! Ma philosophie vient du off : « Si la Salle est pleine, je suis heureux ». Dans le off, il y a deux moyens de remplir la Salle : avoir une communication effective (tracter, convaincre les gens, leur dire : « Allez, venez ! ») et surtout le bouche-à-oreille qui vient d’un spectacle duquel les gens sortent en disant : « Il faut que tu ailles voir ce spectacle ! ». Petit à petit, c’est ce qui s’est passé, surtout à partir du Porteur d’histoire.

En 2010, la « grosse bascule » est là. C’est génial parce que ça se passe en deux temps, finalement…

Oui… c’est même arrivé de manière accidentelle !
A la base, j’étais parti sur un autre spectacle. La mégère à peu près apprivoisée avait quand même pas mal été jouée : on a fini à 300 dates. Pour Roméo et Juliette on avait fait 400 dates.

Là, mon projet était de faire Un chapeau de paille d’Italie façon comédie musicale. On a essayé de le monter, on a travaillé dessus pendant deux ans avec les Comédiens, tout le monde a appris un instrument de musique. 

On l’a présenté en lecture parce qu’on avait un Producteur intéressé. Finalement il a dit : « Non, je ne suis pas si intéressé que ça. Ça ne va pas marcher… », et tout s’est « cassé la gueule ». On se retrouvait avec un spectacle, sur lequel on bossait depuis deux ans, qui « tombait à l’eau ». A ce moment-là, Benjamin Bellecour me dit : « J’ai un festival : Faits d’hiver. C’est dans un mois. Un Auteur m’a lâché ; peux-tu me faire un « truc » pour dans un mois ? ».
Je lui dis : « Bon, j’ai une histoire en tête… Je vais faire quelque chose un peu « en labo », avec cinq Comédiens, pas de décor… On va essayer de raconter cette histoire-là… ». C’était Le Porteur d’histoire.

Elle venait d’où cette idée ? D’une tombe que vous aviez vue, d’un cimetière abandonné ?

Oui, j’ai toujours des histoires dans ma tête, dans des « tiroirs ». Pour celle-là, effectivement, l’idée avait germé sur un tournage, en visitant un cimetière de province. Je m’étais dit : « Tiens, c’est marrant, il y a des tombes qui sont complètement effacées, abandonnées. Si ça se trouve, à l’intérieur il peut y avoir quelque chose de caché…
Que pourrait-il y avoir que quelqu’un aurait caché dans un cercueil et qui, du coup, aurait résisté pendant 100 ans ?
Un trésor, évidemment, mais aussi… pourquoi pas des livres, des carnets ? Là, on plongerait dans la vie de la personne qui a écrit… ».
Comme ça est venue l’amorce du Porteur d’histoire.

On l’a donc créé au Ciné 13, pour trois dates seulement. On l’a fait « pour rien » : personne n’a été payé, les costumes chez Guerrisol… On a joué ces trois dates d’une version courte du Porteur d’histoire. A ces trois dates sont venues Colette Nucci (qui dirige le Théâtre 13 et nous a dit : « Ah ! J’aimerais bien que vous fassiez la version longue au Théâtre 13 ! »), les garçons du Théâtre des Béliers (qui ont dit : « Venez le faire à Avignon ») et Benjamin Bellecour (qui a dit : « Je le produis »).

On l’a donc créé le 8 juillet 2011 à Avignon, dans la petite salle du Théâtre des Béliers, en se disant : « C’est tellement particulier cette Pièce… On sait qu’on a un bon spectacle, mais va-t-il trouver son public ? Ce n’est pas gagné… ».

C’est quand même une pièce compliquée, avec des « histoires gigognes », des Acteurs qui jouent plein de personnages. Y a-t-il eu des moments où vous vous êtes dit : « Je suis dingue ! Je vais perdre tout le monde. Les gens ne vont pas comprendre de quoi il s’agit » ? Alors qu’en fait, on comprend très bien…

Dans toutes mes mises en scène, le but est de rendre une histoire compliquée la plus fluide et simple possible. Quand j’écris, je ne me bride pas. Quand je mets en scène et dirige les Acteurs, j’essaie de faire en sorte que ce soit limpide, justement pour ne pas perdre le public. 

Effectivement, on ne savait pas… On ne savait pas ce que ça allait donner, quelles allaient être les réactions. On se disait qu’on avait quelque chose qui était réussi, mais on ne pouvait pas savoir, en fait.
Quand je faisais lire le texte aux gens autour de moi, ils étaient un peu perplexes. Ils disaient : « C’est quand même un peu compliqué ! ». Même l’Editrice du texte, Monique de Montrémy, qui éditait tous les textes qui passaient au Théâtre 13 m’a appelé en me disant : « C’est un peu compliqué votre histoire ! ». J’étais là : « Bon, d’accord… super ! »

Finalement, on a commencé à jouer. Là, le « conte de fées » : en une semaine, le bouche-à-oreille était fait. C’était la folie : tout le monde voulait aller voir Le Porteur d’histoire, les salles étaient « debout ». Ce premier Festival d’Avignon était incroyable ! On s’est dit : « On a quelque chose qui va peut-être pouvoir marcher… ».

Vous le sentiez ?

Je ne pars jamais gagnant. J’attendais de voir. J’espérais qu’un « truc » allait se passer, mais on ne pouvait pas savoir. C’était vraiment un hasard. Je n’avais certainement pas du tout en tête que quelques années plus tard, j’aurais cinq pièces à l’affiche. Je me disais : « On tente ! ». C’était le premier « truc » que j’écrivais vraiment.

Ça s’est fait en plusieurs étapes. Ça n’a pas été immédiat.
Oui, on avait fait un super Festival d’Avignon, mais c’était la petite salle du Théâtre des Béliers, de 80 places. Ce n’était pas non plus le « succès de l’année » !
L’année d’après, on est revenu dans la grande salle. C’était plein, mais c’était encore une salle avignonnaise.

Quand on a fait le Théâtre 13 en septembre 2012, il a vraiment commencé à se passer quelque chose. C’était un an et demi après la création. Il s’était passé quelque chose mais ça restait le Théâtre 13 : six semaines, c’était plein…
ils étaient complètement débordés, ils n’avaient jamais vu ça. On a eu 40 articles, c’était fou… mais ça restait le Théâtre 13.

Quand on est passés au Studio des Champs-Elysées en février 2013, deux ans après cette première création (c’est long deux ans avant d’arriver dans un « privé » pour un spectacle), on s’est vraiment dit : « On va voir comment ça va tenir dans le Privé, où les places sont plus chères. Est-ce que les gens vont vouloir venir à un spectacle « ovniesque », sans tête d’affiche, qui n’est pas une comédie ? ».
On était partis pour 60 dates. Finalement, le spectacle qui devait reprendre à la rentrée s’est « cassé la gueule ». La Directrice a donc dit : « Est-ce que vous voulez continuer ? ». De fil en aiguille, on a fait trois ans au Studio des Champs-Elysées, « blindé » tous les soirs. 

Quand on a eu fini au Studio des Champs-Elysées, on nous a dit : « Vous ne voulez pas revenir au Théâtre des Béliers ? ». J’ai vraiment eu cette réaction de dire : « Mais… tout le monde l’a vu ! Ça fait trois ans… Personne ne va venir le voir ! ». Finalement, ça dure depuis trois ans et demi au Théâtre des Béliers, c’est toujours plein, ça continue à tourner dans le monde et… C’est une « histoire de fou » !

Aujourd’hui, justement, quel rapport avez-vous avec ces pièces qui continuent à se jouer ?
Vous nous avez dit que vous aviez cinq pièces à l’affiche en ce moment. Quand je suis allé voir Le Porteur d’histoire il y a quelques temps, j’ai eu l’impression de vous avoir vu au Théâtre des Béliers. Vous y passez encore ?

Rarement. J’y passe quand il faut former des nouveaux Comédiens. Les cinq spectacles sont un peu mes « enfants » : il y a l’aîné, le petit dernier… On a toujours son petit « chouchou » et on retourne voir l’autre en disant : « Il est bien quand même celui-là ! ».

Je m’amuse de voir que beaucoup de gens voient les cinq spectacles et que chacun a son « top », son préféré.
Il n’y en a pas un qui me fait plus plaisir que l’autre. Quand quelqu’un me dit : « Mon préféré reste Le Porteur d’Histoire », je dis : « Super ! », et quand on me dit : « Moi, c’est vraiment Edmond », ou : « Moi, c’est vraiment Le Cercle des Illusionnistes », c’est parfait ! Quand on en est là, on a vraiment des « problèmes de riches » !

En tout cas, Le Porteur d’histoire a vraiment été un déclencheur incroyable : il a un peu changé la donne.
Ce sont des « pas de fourmi ». Il n’y a pas eu un « déclencheur » et après ma vie avait changé. Le Porteur d’histoire a marché, mais ça restait une « salle de 230 places ». Puis, petit à petit… Le Cercle des Illusionnistes, le deuxième spectacle, c’était 300 à 350 places. C’était le plus difficile à écrire parce que c’était le deuxième.

Comme un deuxième album

Voilà, c’est ça.
On se dit : « Le premier a marché, est-ce que c’était un accident ? Comment je refais un spectacle en retrouvant des recettes qui ont fonctionné, sans refaire exactement le même ? ». C’était le plus compliqué à sortir : j’ai écrit dix-sept versions !

On a démarré, ça a marché tout de suite, on a eu des Molières… On était donc rassurés.
A partir de là, ça m’a ôté d’un poids et je me suis dit : « Ça va, je ne serai pas victime du syndrome du premier succès dont on ne se remet jamais ».

Suite à ça, comme Le porteur d’histoire et Le Cercle des Illusionnistes avaient « marchés », ça nous a permis de faire Edmond, sans tête d’affiche, dans une grande Salle (le Théâtre du Palais-Royal, 700 places), avec une Production importante (de gros décors, des costumes, etc…) et, surtout, douze Acteurs sur scène.
C’était un pari loin d’être gagné. Aujourd’hui, on peut se dire : « Edmond, c’était sûr que ça allait marcher ! », mais pas du tout ! On l’avait d’ailleurs proposé à un autre théâtre qui avait dit : « Non, c’est trop risqué ».
Finalement, c’est le Théâtre du Palais-Royal qui a dit : « OK, on y va ! » et bien lui en a pris, évidemment.

Ce n’était pas gagné : douze Acteurs sur scène, sans tête d’affiche, pour 700 places… C’était un gros pari !

Pourquoi le Théâtre du Palais-Royal ?
A l’époque, vous essayez de le monter en film, c’est ça ? Et ça ne marche pas…

Pour revenir au Porteur d’histoire et au choix des salles, on était allés au Studio des Champs-Elysées avec Roméo & Juliette. On y avait fait un été. On avait donc déjà un rapport avec eux. Quand on a parlé du Porteur d’histoire, Stéphanie Fagadau a dit : « Super ! ». On a été programmés là, c’était parfait.

On trouvait que le Théâtre de la Pépinière avait une programmation très chic et très audacieuse. On aimait beaucoup cette salle et on se disait que c’était vraiment la dimension idéale pour Le Cercle des Illusionnistes. On les a contactés, ils ont coproduit Le Cercle des Illusionnistes, c’était parfait.

Pour Edmond, il fallait un « gros » théâtre. Il se trouve que Sébastien Azzopardi est un « homme de troupes », comme moi. Il codirige le théâtre avec Francis Nani. Il était venu voir Le Porteur d’histoire et Le Cercle des Illusionnistes. A la sortie du Cercle des Illusionnistes, il m’avait dit : « Ecoutes, si tu as un peu plus « gros » pour le Théâtre du Palais-Royal, vient nous voir ! ». Je suis donc allé le voir en disant : « J’ai un « truc » un peu plus « gros », est-ce que ça t’intéresse ? ». Il a dit « oui » assez vite, et on est partis sur Le Théâtre du Palais Royal.
C’était idéal : c’est l’une des plus vieilles salles de Paris, une salle magnifique. 

C’est un théâtre « à l’italienne » : le côté « velours rouge et boiseries » allait parfaitement avec Edmond. C’est un théâtre axé vers la Comédie, qui a vu les créations de Georges Feydeau… Il y avait du sens historique, c’était parfait.
En plus de ça, là où ça a été idéal, c’est que le Directeur, Francis Nani, est un « Patron à l’ancienne » : quand un spectacle « marche », il reste à l’affiche et ne part pas au bout de six mois. Dès qu’Edmond a marché, il a dit : « Bah voilà… On va y aller ! »

Le seul spectacle après lequel on va essayer de courir (c’est quand même un gros challenge), c’est La Cage aux Folles, qui a tenu cinq ans au Théâtre du Palais-Royal. Nous, on est dans la quatrième année. Ce n’est donc pas impossible.
Ca va être difficile, mais c’est déjà « fou » de se dire « qu’on est dans ces eaux-là » !

Aujourd’hui encore, regardez-vous de près la fréquentation et ce qu’on peut faire pour continuer à ce que « ça joue longtemps », ou vous en détachez-vous forcément un peu ?

Non, bien-sûr ! Je surveille. On reçoit les bordereaux tous les soirs et on regarde un peu comment ça évolue. Ce sont des spectacles vraiment solides. A partir du moment où le Public ne vient pas pour une tête d’affiche et qu’il vient pour le spectacle, quelle que soit la Distribution, il viendra quand même. Il y a donc un côté très constant.

L’autre chose, c’est qu’à chaque fois qu’il y a un nouveau spectacle, je repars pour un tour promotionnel. Les gens qui viennent voir ce nouveau spectacle (parfois, ce sont des gens qui ont déjà vu les autres) refont de la pub pour les anciens spectacles.

Quel est le rôle d’un Producteur à vos côtés ?

Quelle est la part du Producteur ? C’est quelqu’un qui dialogue, qui conseille, qui me « fiche la paix », qui me protège, qui me laisse faire mes affaires et qui, à la fin, va me donner quelques retours soit sur le texte, soit sur le casting (quand je lui demande en tout cas) … et qui m’accompagne !

J’avais l’impression que c’était beaucoup vous qui jouiez le rôle du Producteur, aussi…

Non, parce que je suis autonome quand je crée. Ce que j’aime vraiment, c’est la liberté. J’aime pouvoir avoir cette liberté. Pour l’instant, je ne l’ai qu’au Théâtre, et c’est génial de travailler avec des gens qui vous laissent cette liberté. Effectivement, les Producteurs les plus intelligents que j’ai rencontré sont ceux qui m’ont « fiché la paix ».

On parlait d’Edmond et vous disiez « qu’il n’y avait pas de succès sans compromis » …

Oui, c’est tout simple : dans tout acte créatif, pour élargir son public, il faut faire un compromis.
Si on fait une blague qui est un peu tendancieuse, on va perdre une partie de son public ; si on met des gens à poil au bout de trente secondes, on va perdre une partie de son public, c’est normal.
Ça peut être complètement compréhensible : si notre cible et les gens à qui on s’adresse ne sont pas des enfants, alors très bien, allons au bout de notre acte créatif ! Il est sûr que plus on fait quelque chose de « jusqu’au-boutiste » et plus on perd du public. Il faut toujours réfléchir à ce qu’on fait, ce qu’on veut garder, ce qui nous est important.

Ce qui est sûr, c’est que je compte faire du Théâtre Populaire. Je fais du Théâtre qui peut être accessible à quelqu’un qui n’est jamais allé au théâtre. Ce n’est pas le cas de toutes les pièces, je l’ai vu. J’ai tourné avec mes spectacles partout en France et dans le monde, et j’ai vu la différence entre un spectacle qui « laisse à la porte quelques personnes » (qui ne comprennent pas les codes, s’ennuient, disent : « Ah non, ce n’est pas pour moi »), les rebute et ne leur donne pas envie de retourner au théâtre. Il y a des spectacles merveilleux comme ça. Ce n’est pas du tout un problème.

Je suis pour la coexistence de tous les Théâtres, mais ce qui m’intéresse, c’est de faire des spectacles qui « parlent à tout le monde ». 

Pour ça, allez-vous jusqu’à vous intéresser aux affiches, aux détails du Marketing, aux newsletters envoyées, aux posts sur les réseaux sociaux ? Etes-vous un control freak ou pas ? 

Je ne suis pas un control freak : j’adore déléguer, j’aime bien que les gens travaillent, mais je surveille.

L’affiche, c’est important. Sur Une histoire d’amour, par exemple, ça s’est passé de manière extrêmement fluide et harmonieuse. Ils avaient lu le texte, le Graphiste a fait une première proposition où je me suis dit : « Non les gars, ce n’est pas possible, c’est déprimant à souhait ! ». Je joue un personnage d’alcoolique un peu fumeur et ils avaient vraiment gardé le verre de whisky… Quand on voyait le « truc », on se disait : « Ah ouais ! Ça va être déprimant, plombant… ». Je leur ai dit : « Non, pas du tout ! Au contraire, il y a de l’humour, il y a de la vie et surtout, il y a quatre femmes dans cette Distribution. Il faut voir ces personnages ! ». Je leur ai donc soufflé l’idée de prendre des figurines et de les placer « de dos » afin qu’on ait ces gens (ce qui compte, c’est l’humain).

De fil en aiguille, ils sont allés chercher des figurines, ils ont fait quelques photos toutes simples (avec un iPhone je crois pour les premières). Ils me les envoyaient au fur et à mesure, et je disais : « C’est pas mal, mais plutôt que d’être sur une page blanche, peut-être pourraient-ils être sur la page d’un roman puisqu’on parle d’écriture… ».
On rebondissait un peu là-dessus et petit à petit on en est arrivés à cette affiche finale (avec un petit aller-retour de propositions).

J’ai ensuite envoyé ce visuel chez Albin Michel qui allait éditer le texte. Eux y ont apposé une typographie rouge, très belle. On s’est tous dit : « Elle est super cette typographie ! ».
On est ensuite retournés vers le théâtre en disant : « Pensez-vous qu’on peut utiliser cette typographie pour l’affiche du spectacle ? ». Ils ont dit : « Oui, OK ! », tout le monde s’est mis d’accord et on est arrivés à cette affiche.

Pour Edmond, pareil ?

Pour Edmond, ça a été un processus un peu plus long : on a eu beaucoup de propositions. On s’est arrêtés sur une proposition qui nous convenait à peu près à tous. 

Ça a été un processus plus long pour l’affiche du film aussi. Je n’aime pas du tout l’affiche du Porteur d’histoire, mais bon… elle y est, elle est intégrée, donc on ne peut plus la changer maintenant…

Pourquoi vous ne l’aimez pas ?

[Soupire] Je trouve que c’est nul : la main qui porte des livres, on ne peut pas faire plus didactique !
La première affiche du Porteur d’histoire, qu’on avait amenée au Festival d’Avignon, c’était un arbre en forme de calice avec un côté un peu « grimoire », qui prenait tout son sens : une fois qu’on avait vu le spectacle, on comprenait « pourquoi cet arbre ».
Les Producteurs disaient : « Ah non, c’est trop plombant, triste… on n’a pas envie d’aller le voir ». J’ai dit : « Non, pas du tout ! C’est très joli, c’est beau, c’est chic ! », mais on s’est arrêtés sur cette espèce de « main » pas terrible…

C’est comme ça, c’est la vie !

Au-delà des affiches, ce qui se passe sur les réseaux sociaux, les newsletters… toutes ces nouvelles manières de communiquer vous intéressent-elles ou sont-elles un peu plus loin de vous ?

Je suis un peu les critiques, les retours… mais il faut prendre cela avec de la distance.
C’est important d’utiliser tous les réseaux sociaux. Je pars du principe que tant que la salle n’est pas pleine, tous les moyens sont bons pour parler d’un spectacle. Quand la salle est pleine, il n’y a plus besoin. 

Personnellement, je communiquais beaucoup à l’époque où j’essayais de remplir ma salle sur La mégère à peu près apprivoisée et sur Roméo & Juliette. J’envoyais des emails, j’avais un côté Communicant. Maintenant, si le spectacle fonctionne, je ne vais pas passer mon temps à « relancer la machine ».

On va parler d’une histoire d’amour. Je vais essayer de ne pas vous poser les mêmes questions que tout le monde.
J’ai envie que vous me racontiez exactement comment ça s’est passé ce « truc ». 

Est-ce que ça commence par La Scala qui vous appelle en vous disant : « Tiens, j’ai un créneau en janvier », est-ce que c’est vous qui dites : « J’ai une histoire, il faut absolument que je la raconte ». Ça commence quand exactement ?

Ça commence par une chanson d’il y a un an / un an et demi. Une chanson qui est la dernière qu’on entend dans le spectacle : It takes time to be a man, du groupe The Rapture

… que j’ai entendu et réentendu. Je me disais : « Tiens, c’est marrant, j’ai une scène de pièce qui se déroule sous mes yeux quand j’entends cette chanson. C’est la dernière scène d’une pièce. Je n’ai pas la pièce, j’ai la scène… et ce serait une super scène ! ». Donc, pendant un an, je vais construire la pièce qui va correspondre à cette dernière scène.
C’est resté dans ma tête pendant un an. L’histoire s’est plutôt bien construite au fur et à mesure, comme beaucoup d’autres histoires que j’avais en tête. Ce n’était pas sûr que j’allais raconter celle-là plus qu’une autre. 

Cet été-là, en juillet 2019, je traverse une rupture difficile et je me dis : « Tiens, ne serais-je pas au bon endroit pour écrire cette histoire qui parle de deuil, de rupture, de fin d’amour, etc… ? ». J’en parle un peu à mes potes autour de moi, qui me disent : « Mais oui c’est vrai ! C’est pas mal cette histoire. Tu devrais l’écrire ».

Je me mets donc à mon ordinateur et je l’écris en trois jours (un « premier jet » bien-sûr). C’était dans ma tête, j’avais beaucoup d’émotions en moi et ça sortait. Au bout de trois jours, je l’envoie à Benjamin Bellecour, qui pensait que j’étais au fond du gouffre, dévasté par ma rupture. Il reçoit cette pièce en disant : « Tu as écrit ça quand ? ».
Je dis : « Je viens de l’écrire ». Il lit le « truc » et me dit : « C’est pas mal ! Quand est-ce que tu voudrais le faire ? ».
Je dis : « Je pense qu’il faut le faire le plus vite possible parce que d’ici un an ou deux, je n’aurai peut-être pas envie de raconter ça… ». Il me dit : « Alors, quand ? », je dis : « Bah… janvier ». Il me dit : « Janvier… là ? ». Je dis : « Bah ouais, janvier-là ! ». Il me dit : « Mais… Où est-ce qu’on irait ? », et on évoque une ou deux possibilités mais vraiment pas beaucoup (c’est quand même compliqué de trouver un théâtre aussi tôt).

On pense à la Scala ; c’est vraiment le premier choix qui nous vient en tête. On se dit : « Ecoutes, on le fait à La Scala. On fait 60 exceptionnelles. Bon… il faut que ça plaise au Directeur bien-sûr ». On appelle Frédéric Biessy, avec qui j’avais déjà discuté. On avait déjà parlé de possibilités éventuelles de collaborer un jour, mais je lui disais : « Tu sais, là, c’est une année où je ne vais pas faire de théâtre ». Je savais déjà que j’allais monter Les Producteurs en septembre d’après. Je me suis dit : « C’est bon, j’ai déjà quatre pièces à l’affiche, je n’en ai pas besoin d’une supplémentaire ».

On lui envoie ça. Lui venait d’arriver en vacances en Grèce. Lui, sa femme et sa famille l’ont tous lu en Grèce un soir. Ils nous ont appelé deux heures après en disant : « OK pour janvier ! » et on s’est retrouvés à caler 60 dates en janvier. Après, j’ai fait mon casting. Quand on est arrivés en septembre, j’avais mon casting et c’était « parti » !

Il y avait de la place en janvier où il a « fait de la place » ?

Il y avait de la place. Comme il a une programmation assez… tout est possible ! Donc voilà, on s’est retrouvés en janvier à la Scala.

Est-ce qu’il faut envoyer des mails, est-ce qu’il faut remplir, est-ce que « ça y est, c’est parti » ? 

Là, j’avoue que pour la première fois, on a vraiment mesuré le chemin parcouru.
On a oublié de parler d’Intra muros, mais il y a quand même eu une autre pièce entre Edmond et Une histoire d’amour, qui continue à marcher et qui a passé la 600ème à la Pépinière

Parlons-en une seconde. Intra muros vous l’avez fait quelques temps après Edmond, c’est ça ?

Oui, six mois après Edmond. J’avais promis à Colette Nucci du Théâtre 13 de lui faire une création pour la réouverture de son théâtre qui était en travaux pendant deux ans. Je lui avais donc « pitché » Intra muros et on s’était mis d’accord.

Je l’ai créé là-bas, d’une manière un peu différente des autres. Je l’ai fait en « écriture au plateau » : en le créant avec les Comédiens. L’histoire était déjà écrite et claire, mais on a trouvé les dialogues « au plateau » avec des Comédiens et avec un Musicien qui improvisait la musique. C’était super comme création.
C’est une pièce sur un sujet très différent et contemporain : la prison. Elle a finalement trouvé son public, se joue toujours et ça se passe très bien. 

Pour en revenir à Une histoire d’amour, on a eu assez peu de communication à faire.
Déjà, j’ai eu beaucoup de presse avant-même la création du spectacle. Le côté « le retour de Michalik », « cinq pièces à l’affiche », c’est tellement inhabituel qu’on a eu énormément de presse. Tous les journaux ont fait des articles dessus avant-même que la pièce paraisse.
En création, faire entrer les Journalistes ne me fait pas peur non plus. Pendant les répétitions, mon Attaché de presse, Pascal Zelcer, leur envoyait le texte. Ils avaient donc lu la pièce, venaient assister à une répétition et on faisait une interview là-dessus. Ils avaient donc déjà une idée du spectacle avant-même qu’il soit créé.

On a eu donc beaucoup de papiers avant l’ouverture. A l’ouverture, quand on a démarré, on avait déjà vendu… beaucoup de places ! On savait déjà qu’on avait… une vingtaine de salles d’avance, ce qui est incroyable vu que la Scala est une grande salle de 550 places. Là, on a vraiment mesuré le travail d’Edmond, d’Intra muros… de toutes ces pièces qui se jouent depuis des années. Pour une fois, il y avait une vraie attente sur cette nouvelle pièce.
Ça ne s’est pas fait une fois la pièce lancée. Déjà en amont, il y avait une « envie ».

Une fois qu’il y a cette « envie » et les gens, le bouche-à-oreille peut s’enclencher…

Plus vite, en tout cas. 

Dès la Première, on a eu des retours très forts, les gens debouts, etc… La Billetterie est « partie » et on a annoncé la prolongation au bout de trois semaines. On a annoncé la semaine dernière qu’on prolongeait, et on en a joué quatorze ! C’est « énorme » ! 

On a déjà annoncé « deux mois » : on va jusqu’à fin mai avec la pièce alors qu’on devait aller jusqu’à fin mars.
C’est un peu « fou », vraiment, surtout sur un sujet comme ça. C’est un sujet plus contemporain et mine de rien, on se rend compte que les salles sont très jeunes. On a vraiment beaucoup de jeunes dans la salle, plus que pour Edmond, par exemple.

D’une manière générale, le Public qui vient voir mes pièces est plutôt plus jeune que la moyenne d’un public théâtral.

J’ai été étonné parce qu’au lancement d’Une histoire d’amour, il y a eu un communiqué de presse qui disait : « Alexis Michalik va mettre en scène « les Producteurs » : Stage Entertainment, Le Théâtre de Paris… »
On envoyait un tout autre message ! C’était hardi quand même ça…

En fait, on devait l’annoncer deux mois avant. Il se trouve que Fimalac Entertainment a acheté Le Théâtre de Paris, donc ça a repoussé un peu. Il fallait qu’on l’annonce parce qu’on lançait les auditions. On ne pouvait pas le garder secret, donc on a fait ce communiqué de presse qui a été repris PARTOUT. On s’est donc rendu compte à quel point le spectacle Les Producteurs, de Mel Brooks était aimé ! Pour les gens qui ont vu le film et pour les gens qui « connaissent » Mel Brooks, il y avait un vrai amour. L’impact de cette annonce a été très positif. On s’est dit : « C’est super, on a fait le bon choix ! ».

Là, on reboucle avec vos premières amours et peut-être avec le « gros spectacle » avec dix Comédiens que vous n’aviez pas pu monter. La voilà votre comédie musicale…

Voilà, ça y est. Enfin, je peux monter ma comédie musicale. En plus, Les Producteurs : celle que je rêve de faire depuis toujours. Ça fait quelques années qu’on attend les droits, qu’on guette, qu’on négocie. Il se trouve qu’avec Stage Entertainment, on s’est rendu compte qu’on avait cette envie commune. Ça fait des années qu’ils aimeraient le monter, mais pas au Théâtre Mogador (c’est une pièce trop subversive, ce n’est pas un public familial…).
Ils cherchaient donc le moyen de le faire et quand je suis arrivé en disant : « C’est vraiment mon rêve », on s’est dit : « Joignons nos forces, faisons-le ensemble, et on sera tous gagnants dans cette histoire ».

Pour le coup, Stage Entertainment est un Groupe, une Industrie. N’avez-vous pas peur d’avoir un peu moins de liberté artistique ? 

Non, parce qu’au vu de nos discussions, etc… Pour eux, ce n’est pas une licence d’un spectacle dont ils refont la mise en scène à l’identique de Broadway. Là, c’est une nouvelle mise en scène. Il y a donc des libertés artistiques qu’ils n’ont pas forcément habituellement. Ils ont des libertés sur le casting, etc… mais, quand même, les Américains surveillent et « verrouillent » beaucoup.

Là, c’est un peu à part. Ce n’est pas le Théâtre Mogador, il n’y a donc pas 2 000 places à remplir, il y en a 1 000 (ce qui est déjà beaucoup, mais c’est moins de pression). Ils voient donc vraiment cela comme une volonté de faire quelque chose d’un peu plus théâtral, d’un peu plus artistique, d’un peu plus créatif, avec une liberté créative un peu plus importante. C’est super !

Pour vous, c’est quoi la suite après tout ça ? Une petite idée ? La Musique, un jour… Autre chose ?

Oui, je vais faire un album de Bossa nova…

[Rires] C’est une blague ou c’est vrai ?

Non, c’est une blague !

Vous êtes capable de tout ! [Rires]

J’ai déjà beaucoup de choses : Une histoire d’amour, qu’il faut vraiment lancer et faire durer, et Les Producteurs qui est un gros chantier.

La suite… je ne sais pas. J’ai envie de retourner au cinéma à un moment. Sous quelle forme et avec quel projet, je ne sais pas encore. J’ai aussi un roman qui « tourne » et se vend très bien. Du coup, je me dis que je referai peut-être un roman (l’écriture d’un roman prend plus de temps).

J’aime aussi profondément jouer. Je suis complètement capable de dire : « Je prends un an, juste pour aller faire un tournage ». J’adore la Télévision et le principe de la série. J’aime la série et l’écriture sérielle. Un jour, réaliser une série ou jouer dans une série, pourquoi pas ? Tout est possible, en fait.

Dernière question : même quand on est éperdument libre, à un moment, n’a-t-on pas la peur de décevoir une communauté de publics si fans de vous, si acquise à ce que vous faites ?

J’ai surtout la peur de me décevoir moi. Je suis un public assez exigeant. Quand je crée un spectacle, je suis assez objectif. Quand quelque chose ne fonctionne pas, j’essaie de faire en sorte que ça fonctionne.

Après, j’ai une envie de surprendre. Que mon public soit un public de fans ou un public nouveau, j’ai envie de les surprendre de la même manière. Il sera plus surpris s’il n’a jamais vu un de mes spectacles, mais justement, le but est d’aller là où on ne m’attend pas forcément. Je prends plus de plaisir à m’attaquer à quelque chose de nouveau.
Si demain je me dis : « Allez, je vais faire un polar », je vais prendre beaucoup de plaisir parce que je vais être dans une zone que je ne connais pas. Je vais donc être obligé de « créer des systèmes ». 

C’est ça qui me plaît : créer. Je pense que j’aurais été très heureux dans un système un peu « soviétique » (sans la censure et la pression étatique) où on m’aurait dit : « Tu as un théâtre, tu as des Comédiens… Tu fais ta vie, tu fais ce que tu veux mais tu montes une pièce par an et tu te débrouilles ».

Justement, est-ce que la « boucle » ne serait-elle pas d’avoir un Lieu à vous ?

Je ne crois pas. Je crois que c’est une pression supplémentaire et c’est un poste qui, en tout cas pour l’instant, ne me tente pas DU TOUT ! C’est une « attache ». C’est un « truc » qui fait qu’on est forcément lié à un Lieu, et ça prend énormément de temps.

Beaucoup de gens font ça très bien. Moi, je suis trop attaché à ma liberté.

TOUS LES ÉPISODES