Saison 1

S01E04 - Florence Jeux (Bataclan) & Nicolas Dupeux (Accor Arena)

Cet épisode est le premier de notre série à être enregistré en public. C'est dans le cadre du MaMA Festival au Trianon, à l'Automne 2019 que nos deux invités ont croisé leurs regards et leurs parcours.
Tous deux dirigent des salles prestigieuses depuis moins de deux ans. Florence JEUX porte le nouveau projet du Bataclan; Nicolas DUPEUX celui de l'Accor Arena.
Gestionnaires ou saltimbanques ? Hébergeurs d'évènements de producteurs tiers ou maintenant producteurs à leur tour ? Quelle est leur latitude pour transformer des salles si particulières ? Au delà des lieux, tous deux tenteront pour vous de répondre à la question centrale de cet épisode #4 : que signifie diriger une salle de spectacle en 2019 ? Bonne écoute ! 

Sold Out Florence Jeux Nicolas Dupeux Bataclan Accor Arena

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SOLD OUT - Saison 1, épisode 04 : Florence Jeux & Nicolas Dupeux

- MaMA Event (Trianon - Montmartre), octobre 2019 -

Dans cette conversation, on va parler de ce qui vous rassemble et de ce qui vous différencie. A première vue, vous êtes quand même très différents.

Première question : est-ce que ça vous choque si je vous présente en disant que Florence est plutôt une « Saltimbanque », une Artiste, une Directrice Artistique, et que Nicolas est plutôt un Gestionnaire, un Pilote d’entreprise ?

Florence ?

Florence Jeux : Je ne connais pas assez Nicolas pour porter un jugement sur son parcours ! [Rires] C’est trop tôt.
En ce qui me concerne, je viens plutôt de l’Artistique au départ. C’est ça qui m’a portée à devenir Directrice d’une Salle de concerts, plutôt que l’aspect Gestion. Ce sont des compétences que j’ai élargies au fur et à mesure.

Cela veut dire que j’ai vraiment démarré en accompagnant des Artistes et des carrières, en faisant du Management, du Booking et de la Production de spectacles. 

Aujourd’hui, je me vois plus comme une Cheffe de projets, qui prend en compte l’entièreté des contraintes et qui est plus portée sur l’Artistique que sur la Gestion d’une société (même si je le fais également, évidemment). 

Nicolas, sur ton profil LinkedIn, il y a marqué : « Méthodique, rigoureux, gestionnaire ».
Peut-on te résumer à ça, ou est-ce beaucoup trop restreint ?

Nicolas Dupeux : C’est vrai que j’ai un parcours plutôt de Gestion. J’ai fait une Ecole de Commerce et en sortant on m’a dit : « Il faut faire de la Banque d’Affaires ou du Conseil ». 

J’en ai fait un peu et j’ai vu qu’on n’était pas « face à la réalité ». C’était beaucoup de : « Il faudrait… Y’a qu’à… Faut qu’on… ». On était un peu loin du côté émotionnel et du fait de pouvoir « être en face des gens ». Je me suis donc orienté vers l’Evènementiel. Après, je suis arrivé dans les Salles de spectacles.

Effectivement, je pense être plus Gestionnaire avec un petit côté… pas « saltimbanque », mais…
Je crois que si on n’a pas la passion, ce n’est pas la peine. Je crois que quand on gère une Salle de spectacles, il faut avoir les deux composantes. 

Comment arrive-t-on à piloter, à gérer une Salle de spectacles ? On va essayer de revenir sur vos parcours respectifs. 

Commençons par le tiens, Florence. J’ai l’impression que tout a commencé par la Coopérative de mai à Clermont-Ferrand et vraiment par un amour-fou de la Scène…

Florence Jeux : Oui, exactement. Dès l’adolescence, j’ai été très intriguée par les coulisses. Ça a vraiment été mon « moteur ».
Quand j’avais 16-17 ans, la Coopérative de mai (la Scène de Musiques Actuelles de Clermont-Ferrand, en Auvergne) est arrivée. Il n’y avait rien avant. 

Ça a été mon salut : je me suis tout de suite retrouvée là-bas, dès l’ouverture. L’histoire a vraiment démarré comme ça : au départ en rencontrant l’équipe, puis en vendant du Merchandising, en distribuant des flyers, etc…

A l’époque, j’étais lycéenne. Ensuite, je suis partie en Fac’ de Psycho. En parallèle, j’étais bénévole sur des évènements et sur des festivals en Auvergne : je vendais du Merchandising au Zénith le week-end.

J’ai commencé à découvrir tout le Milieu du Spectacle et à moment donné, je me suis dit : « C’est vraiment ça que je veux faire ». Malgré toutes les personnes autour de moi qui me disaient, il y a quinze ou vingt ans, que ce n’était pas un « vrai métier », j’ai quand même décidé de suivre la Formation d’issoudun : une formation professionnelle sur un an pour devenir Chargée de Production dans les Musiques Actuelles.

J’ai donc « tout lâché » pour suivre cette formation et je n’ai pas arrêté de travailler à la suite de ça. J’ai enchaîné les missions et les postes jusqu’à aujourd’hui.

Alors que toi, Nicolas, tu as essayé de commencer par un « truc très sérieux » : le Consulting.

Nicolas Dupeux : Oui… J’y suis resté six mois…

Oui, j’ai l’impression que ça n’a pas duré longtemps…

Nicolas Dupeux : C’était sérieux mais différent.
Je me suis vite orienté vers l’Evènementiel au sens large. J’ai commencé en Agence d’Evènementiel, dans un groupe qui s’appelait Alice Evènements et qui est devenu GL Events. J’étais Patron-Agent. J’organisais plutôt des évènements « corporate » : des évènements d’entreprises, et aussi des évènements « grand public ».

Ensuite, je suis parti chez Disney. J’étais Patron de toute la partie « Corporate » mais aussi « Evènementiel » de tous les évènements pouvant se dérouler à Disney. J’ai ensuite créé Electroland : le premier festival de musique électronique à Disneyland Paris. On a créé ce premier festival, qui s’est déroulé dans le parc il y a trois ans, et qui a été un beau succès. 

Comment vient l’idée de créer un festival de musique électronique à Disneyland Paris ? Ce n’est quand même pas complètement instinctif…

Nicolas Dupeux : Je m’étais fixé comme mission de dire : « Comment peut-on faire venir plus de « jeunes sans poussette » (ceux qui ont envie de venir dans le parc mais qui n’ont pas envie de faire la queue avec des enfants) à Disneyland Paris ? ».
On les fait venir à partir des passions. Les deux passions qu’on avait retenues étaient le Sport et la Musique.
On avait donc lancé un Week-end de Running (avec une course de 5 kms, une de 10 kms et un semi-marathon qui se déroulaient dans les parcs) et Electroland.

Début 2018, je suis arrivé à l’Accor Hotels Arena (la boucle était un peu bouclée).
Mes équipes ne le savent pas mais j’ai travaillé à l’Accor Hotels Arena quand j’étais plus jeune, sur le tennis. J’étais Hôte et je passais mes journées assis, à regarder du tennis dans la salle. Je me disais : « Cette salle a quand même un truc extraordinaire ».
Quand j’ai eu la chance qu’on vienne me demander si je serais intéressé de candidater pour prendre la Direction de l’Accor Hotels Arena, c’était comme un rêve de gamin ! Je suis un amoureux de cette salle. Je trouve qu’au-delà de ce qu’elle « marque », c’est une icône architecturale. Quand on passe devant, on ne peut pas être indifférent. Elle est remarquée partout. 

C’est donc un rêve de gamin qui se « reboucle » 25 ans après. Le premier jour où je suis arrivé à l’Accor Hotels Arena, je me suis rappelé venant au tennis 25 ans plus tôt…

Florence, j’ai l’impression que le « tournant majeur de ta carrière » a été ton arrivée aux Francofolies de La Rochelle…

Florence Jeux : Oui, ça a été mon premier poste à grosses responsabilités.
Au départ, je suis arrivée en tant que Programmatrice sur le festival, puis à la Direction Artistique deux ans après, puis à la Direction Générale quatre ans après. Effectivement, ça a été le « premier tournant ».
J’ai eu la chance d’avoir une carrière assez « fluide » et surtout faite de rencontres. C’est vraiment ça qui m’a portée jusqu’aujourd’hui.

Mon arrivée aux Francofolies est liée à ma rencontre avec le Président Gérard Pont sur le festival. Il m’a appelée deux ans après parce qu’il se souvenait de notre rencontre et qu’il cherchait quelqu’un à la Programmation.
A l’époque, j’étais en Slovaquie. Je bossais dans un Centre Culturel. Il m’a appelé et m’a dit : « Je cherche quelqu’un à la Programmation. Est-ce que ça te « botte » ? ». J’avais 27 ans. Je lui ai dit : « Ecoutes, là je suis dans les pays de l’Est : c’est un peu compliqué. As-tu un recrutement ? Comment ça se passe ? ». Il m’a dit : « Non, si tu veux le poste, il est pour toi ! ».

J’ai pris un train, un avion et un bus. Le lendemain, j’étais dans son bureau. L’aventure a démarré comme ça.
Ca se fait beaucoup dans le Milieu de la Musique : ça fonctionne beaucoup par réseau et par rencontres. Ça s’est donc fait comme ça, à l’instinct. Ça a « matché » : on s’est vraiment bien entendus et l’histoire a duré presque sept ans. On a vraiment construit une belle période du festival ensemble.

Mon arrivée au Bataclan s’est faite un peu de la même manière.
J’ai été recrutée par Jérôme Langlet, le Président de Lagardère Live Entertainement (le Bataclan appartient à Lagardère depuis quelques années). Ça a été une rencontre sur le « même modèle » : on s’est rencontrés, on a discuté et il m’a appelée quelques mois après en me disant : « Je cherche quelqu’un pour prendre la Direction du Bataclan. Est-ce que ça t’intéresse ? ».

C’était moins un processus de recrutement classique comme on peut l’entendre, mais vraiment plus une question de rencontre et de : « Est-ce qu’on a la même vision des choses, à moment donné, pour porter un projet artistique et culturel ? ». 

On va parler dans une seconde du projet de l’Accor Hotels Arena et du projet du Bataclan
Je ne peux évidemment pas considérer le Bataclan comme une « salle comme les autres » : les évènements qu’on sait s’y sont passés en 2015. Je crois d’ailleurs que la première Scène française qu’ont foulée les Eagles of Death Metal derrière est celle de l’Accor Hotels Arena, quelques jours après, en décembre.

Comment accepte-t-on de revenir au Bataclan ? Ce doit quand même être très particulier d’accepter, j’allais dire, cette « charge-là » …

Florence Jeux : Y revenir a été très rapide pour moi. Je suis revenue dans la salle pas très longtemps après la réouverture, en 2016. Pour moi, c’était évident. Je ne me posais pas de question à ce niveau-là. Il fallait revenir.

Quand on m’a proposé d’en prendre la Direction, ça m’a évidemment fait poser des questions.
Quand j’ai rencontré Jérôme Langlet, je ne m’attendais pas à ce qu’il me propose ce projet-là. J’étais donc doublement surprise, à la fois par le fait qu’il me propose un poste et par ce projet qui était très particulier et atypique. 

Effectivement, je me suis posée plein de questions sur le sens que ça pouvait avoir dans ma carrière et sur le fait de porter ce projet-là. J’ai quand même pris un peu de temps pour y réfléchir. En y réfléchissant, je me suis dit qu’il était évident qu’il fallait faire quelque chose pour cette salle. J’avais envie d’y contribuer…

Nicolas tu es, quelque part, le plus « jeune ». La Salle que tu diriges a 35 ans cette année, c’est ça ?

Nicolas Dupeux : Oui. On a célébré nos 35 ans. On a l’habitude de dire qu’on est soit un « jeune-vieux », soit un « vieux-jeune ».
Il y a eu deux grandes étapes dans cette salle : les premières années (la salle mythique qu’on connaît) et la rénovation qui nous a permis de nous projeter dans une salle ultra-moderne.

C’est une salle qui a un fort ADN.
Dans le cadre des 35 ans, on a lancé un « appel à souvenirs » sur nos réseaux sociaux. On y demande à chacun de remonter une anecdote, un souvenir, un moment qu’il a vécu à l’Accor Hotels Arena depuis son ouverture.
On s’est fait dépasser par le succès qu’on avait anticipé : tout le monde nous a raconté quelque chose. Les gens ont tous une histoire, qu’elle soit sur la Musique, sur un spectacle ou sur du Sport. On a tous un souvenir dans cette salle. On passe des heures à lire les petites anecdotes : « Je suis venu ici, avec ma tante, voir Madonna il y a vingt ans et je suis encore revenu la semaine dernière », « J’ai vécu de la planche à voile ou du ski », …

On a travaillé sur les « 35 ans » avec les « anciens » de la Salle. On a fait un premier rendez-vous qui devait durer un quart d’heure, et on est restés deux heures à écouter des anecdotes sur ces « trucs de fous », tels que :
« Comment vide-t-on la piscine après le Funboard ? ». Aujourd’hui, je ne sais pas si on pourrait encore se permettre d’avoir ce « grain de folie » : aller plonger au fond de la piscine, soulever une trappe et vider une Arena pleine d’eau.
Également : « Comment faisaient-ils pour ne pas se retrouver accrochés aux passerelles quand ils passaient au-dessus de la salle ? » …

On se dit qu’aujourd’hui ce ne serait plus possible. On ne pourrait plus se permettre d’avoir ce « petit grain de folie ». Malheureusement, je trouve que le cadre règlementaire, la peur de se faire attaquer, le fait que les gens aient rapidement un très fort pouvoir de critique avec les réseaux sociaux, fait qu’on se contraint sur cette audace et cette folie qui existait il y a quelques années. 

Quand on discute avec les « anciens », on découvre vraiment des « trucs » intéressants, comme « l’eau qui prend de l’ampleur sur le Funboard ». On avait mis des ventilateurs et un phénomène physique faisait que la vague prenait de l’ampleur. Elle tapait d’un côté, puis de l’autre, etc… A moment donné, elle est passée au-dessus des barrières qui étaient prévues pour la bloquer. Ça ne pouvait pas s’arrêter : c’était un phénomène physique. Il fallait donc attendre que ça se calme. Ça ne s’anticipait pas…

On n’imagine pas ça dans le « 12ème », nécessairement…

Voilà… La neige qui ne tient pas sur les gradins… Plein de choses sympas à voir !

Florence, il n’y a pas encore eu de Funboard au Bataclan, mais je crois que ton projet est d’y faire venir de la Boxe Thaï, des tas de nouveaux spectacles et de types d’évènements…

Florence Jeux : Oui. Dans ce nouveau projet, il y a plusieurs choses qui m’ont nourrie. Pour rejoindre ce que disait Nicolas, il est vrai que le Bataclan c’est 160 ans d’Histoire. Je me suis vraiment replongée dans l’Histoire du Bataclan en arrivant.
Il y a eu plein de phases différentes. Cette salle a vécu plein de choses. 160 ans de spectacles, c’est très atypique dans les Salles parisiennes. Plein de Salles ont été ouvertes, au départ, pour autre chose que de faire du Spectacle.
Le Bataclan a toujours été une salle de spectacles. C’est vraiment intéressant. Ça a été une salle de Music-hall, une salle de cinéma, une salle de Punk-Rock, la première salle à accueillir du Rap à Paris… 

Il y a une Histoire très riche et très dense. J’ai eu envie de faire exister toute cette Histoire dans ce nouveau projet. L’envie « d’ouvrir » un projet pluridisciplinaire est effectivement l’une des choses qui m’a nourrie.

Une autre chose qui m’a nourrie, c’est que je suis partie du constat qu’aujourd’hui, les jeunes Artistes ont des formations pluridisciplinaires. Ils se forment tout de suite à plusieurs disciplines artistiques et se nourrissent aussi du fait qu’il y ait une certaine mondialisation, une ouverture sur l’Art, etc…
On se retrouve donc aujourd’hui avec des Artistes qui sont à la fois Auteurs-Compositeurs, Musiciens, mais aussi Chorégraphes, Vidéastes… Ils font du Cirque, de la Danse, construisent plein de choses… 

J’avais donc envie d’imaginer un lieu qui puisse les accueillir pour l’entièreté de ce qu’ils créent, un lieu à leur image. C’est assez nouveau dans l’appréhension d’un lieu, à Paris, qui normalement est dédié à faire de la location.
C’est un peu le « virage » que j’avais envie de donner au Bataclan

« Faire de la location », concrètement, ça veut dire « ne pas vraiment choisir ce qui s’y passe » …

Florence Jeux : Oui. On a assez peu de regard sur ce qui s’y passe.
Evidemment, si un « truc » sort vraiment éthiquement de ce qu’on a envie de faire (parfois la question peut se poser sur certains spectacles), on a assez peu de regard dessus.

L’idée de ce projet est vraiment d’arriver à trouver une « économie mixte », entre accueillir des Productions extérieures et faire de la location et, nous-même, produire des évènements, accueillir des Artistes en résidence, créer des spectacles, avoir un vrai parti pris et un vrai discours à ce niveau-là.

Aujourd’hui, on est dans la fosse du Trianon, en train d’enregistrer en public le podcast de Delight.
Je crois qu’au Bataclan il y a maintenant des enregistrements publics de podcasts qui peuvent d’ailleurs se passer dans la journée, c’est ça ? 

Florence Jeux : Oui, tout à fait. On a développé ça il y a maintenant quelques mois et ça « cartonne » ! On s’est associés avec un Collectif qui s’appelle Fréquence Moderne. On a lancé les premiers enregistrements avec un podcast sur la thématique du cinéma qui s’appelle 2 heures de perdues. On a fait deux enregistrements et, à chaque fois, on a vendu les places en quelques minutes. C’était un « truc de dingue » !

On va vraiment avoir une récurrence dans la programmation. On a un enregistrement de podcast par mois et l’idée est vraiment d’intensifier cette programmation sur laquelle on est plus « moteur », effectivement.

Nicolas, les chiffres donnent le tournis à l’Accor Hotels Arena. C’est une des trois premières arenas du monde, derrière le Madison Square Garden et l’O2 Arena à Londres.
C’est 1.6 million de spectateurs, 140 évènements par an… Comment fait-on pour ne pas avoir la pression quand on a ce niveau-là d’exigence ?

Nicolas Dupeux : Je ne sais pas si on peut parler de « pression ». Encore une fois, je préfère le mot « passion ». C’est ça qui nous fait vivre tous les jours, qui nous « alimente » et qui fait que le matin on se lève en se disant : « On va encore faire une belle journée ».

On aime nos métiers. On ne peut pas travailler dans des lieux comme les nôtres si on n’a pas cette envie de faire ce qu’on fait tous les jours et de passer un temps de fou dans nos métiers. C’est comme ça qu’on enchaîne les choses. 

Je reviens sur ce que je disais : la diversité de programmation est intéressante. On a la chance de faire différentes disciplines de sport.

Cette diversité fait qu’on n’est pas dans la routine. On travaille toujours sur un nouveau projet, un nouveau concert, un nouvel évènement. Cela recréé de la dynamique et permet de « relancer ». C’est ça qui nous fait voir les journées différemment.

Pour illustrer ce que tu es en train de dire, en janvier vous allez accueillir un match. qui va compter pour le Championnat de N.B.A. à l’Accor Hotels Arena…

Nicolas Dupeux : Ce sera la première fois qu’il y aura un match de saison régulière de la N.B.A. en France. On est très fiers d’avoir remporté cet évènement. On l’a traité non pas comme un évènement classique mais comme une vraie candidature. Il y a eu quasiment un an de travail sur ce dossier pour rassurer la N.B.A., pour leur montrer qu’on « savait faire » et que ce serait un succès (leur image est très importante).

Au départ, on l’a travaillé comme un dossier, qu’on a fait avec la Ville : « Comment impliquer la destination « Paris » dans l’accueil d’un grand évènement qui est celui de la N.B.A. ? Comment ça va s’organiser chez nous ? Comment ça va se « vivre » autour du match ? ».
Ce n’est pas qu’un match : beaucoup de programmes tournent autour de ça. Je pense que c’est une belle fierté pour les équipes de l’Accor Hotels Arena d’avoir réussi à rassurer les Américains et les Anglais à propos du fait de se délocaliser à Paris. 

On a d’ailleurs un système de préinscription sur la Billetterie. Je crois qu’on a environ 150 000 préinscrits.
Ça ne dépassera peut-être pas la « folie » de League of Legends (e-sport) : au moment de l’ouverture des ventes de League of Legends il y a trois semaines, on a eu 600 000 connexions uniques pour libérer quelques milliers de places. Cela créé forcément de l’insatisfaction, mais leur business n’est pas basé sur le nombre de personnes dans la salle, il est basé sur les 200 millions de personnes qui vont regarder League of Legends en direct.

C’est pour vous dire à quel point, aujourd’hui, ces évènements-là créent de l’appétence. On le voit aussi sur plein de concerts, où les ventes peuvent partir en quelques secondes. Aujourd’hui, il y a une vraie révolution là-dessus.

En 2019, dans la Direction de Salle de spectacle, y a-t-il l’obsession de mieux comprendre le Public, mieux comprendre les émotions qu’il a vécu, mieux l’écouter ? Comment s’organise-t-on pour ça, justement ?

Florence Jeux : Oui. Tout à l’heure, on l’évoquait : les réseaux sociaux sont quand même un baromètre immédiat. Après un spectacle, on voit bien ce qui se passe sur les réseaux sociaux et comment les gens réagissent. 

Sur la programmation, on fait aussi des tests. Des fois, on essaie des choses. On ne sait pas si ça va marcher. On voit comment ça réagit, on réajuste… Cela nous permet aussi de créer des évènements nouveaux. 

Nicolas Dupeux : Pour rebondir sur ça, pour nous il y a deux points clés : le rationnel et l’émotionnel.

L’émotionnel, c’est cette rencontre et ce contenu qu’on va avoir entre un Artiste ou un Sportif et son Public, ses fans. On est là pour créer cette osmose, ce temps de rencontre.
On a aussi le côté rationnel, sur les parcours : Comment on rassure ? Comment on fluidifie ? Comment on crée du Service ? Comment on apporte de la valeur ?

C’est là où la technologie et les datas vont nous aider. Sur la partie rationnelle, elles vont nous aider à apporter plus de Service et un meilleur Service. Sur la partie émotionnelle, elles vont nous aider à mieux connaître nos spectateurs, pour mieux affiner notre programmation et notre organisation et créer plus d’émotion. 

Aujourd’hui, nous considérons que nous avons besoin de « mieux comprendre pour mieux servir ». Je pense que c’est l’un des « points » d’une salle. On n’est pas tout à fait « maître du contenu » (le contenu est celui des Artistes, des Producteurs et des Organisateurs), mais on est maître du Spectateur et de son expérience. 

On ne doit donc pas juste lui donner un beau spectacle à vivre, on doit lui donner une belle expérience à partir du moment où il achète son billet jusqu’au moment où il repart.

Nous travaillons beaucoup sur cette meilleure compréhension.

Par exemple, je crois qu’à l’Accor Hotels Arena, vous êtes capables de mesurer le remplissage de la salle en temps réel et de dire à la Production à quel moment elle peut commencer le concert parce que les gens sont arrivés…

Nicolas Dupeux : Effectivement, on mesure en temps réel les arrivées par un système de scan qui remonte dans nos systèmes. Ça va au-delà : en fonction de l’évolution des ventes, on est capables de réaménager la salle pour qu’il y ait toujours cette effet « plein », cet « effet de chaudron ». C’est une grande force de la salle : créer cet environnement qui va donner une impression de proximité et de « plein » qui est importante pour un Artiste. 

Après, on a effectivement le « temps réel de l’entrée ». On gère des flux avec des problématiques qui peuvent venir d’une grève de métro. Derrière, on gère ce que j’appelais tout à l’heure le « rationnel », c’est-à-dire la Restauration, etc…

Avez-vous des frustrations dans tout ça ? On essaie et on veut faire plein de choses mais peut-être n’arrive-t-on pas à tout faire…

Florence Jeux : Moi, je suis dans la construction d’un nouveau projet. Pour le coup, c’est très excitant parce qu’on teste plein de choses et on a plein de projets en tête qui vont voir le jour dans les prochains mois. Pour le moment, je suis plutôt dans une phase « active et excitante » plutôt que « frustrante ». 

Après, il y a toujours des frustrations. Parfois, j’ai la frustration d’avoir une salle trop petite ou trop grande pour être « à l’échelle » des spectacles qu’on aimerait avoir. En même temps, aujourd’hui, je trouve que le Bataclan a justement un rapport scène / salle qui est vraiment intéressant. On est à 1 008 personnes dans la salle. Cela nous permet d’être, pour des « Artistes importants », une salle suffisamment conséquente pour venir y faire des concerts intimistes, et en même temps, de prendre des risques sur des « jeunes Artistes ».

Aujourd’hui, l’enjeu sur le Bataclan, c’est ce repositionnement d’image qui est parfois un peu frustrant. On aimerait que ça aille plus vite, que les Artistes reviennent plus vite…
Le Public est là, il revient, on n’a pas trop de soucis de fréquentation. La frustration se situe plutôt au niveau des Artistes. Des fois, on les voit partir dans des salles concurrentes alors qu’on aimerait bien pouvoir les accueillir.

C’est aussi le but de cette nouvelle identité que vous avez mise en place, et de tout ce repositionnement…

Florence Jeux : Oui. Vous le disiez tout à l’heure : aujourd’hui, on sait que le Bataclan a effectivement un positionnement qui ne peut pas être « normal » dans le paysage des salles parisiennes. C’est tout l’enjeu de ce nouveau projet, c’est le challenge que je me suis donné et on sait très bien que ça va prendre du temps.

Ça va prendre le temps qu’il faudra. Je pense que toute cette dynamique de nouveaux projets et de nouveaux spectacles que nous accueillons aujourd’hui fait aussi en sorte d’élargir les publics qu’on avait l’habitude d’accueillir, notamment sur les évènements sportifs, les podcasts et les festivals qu’on organise, et amène aussi une nouvelle image à la salle. Voilà.

Nicolas, des frustrations ?

Nicolas Dupeux : Je n’utiliserais pas le terme « frustration ». Je le trouve plutôt négatif.
Je pense que le jour où on a des vraies frustrations et qu’on n’a plus cette envie-là, il faut changer de métier. 

C’est plus soit de l’impatience (des choses dont on aimerait qu’elles aillent beaucoup plus vite), soit des souhaits qui ne sont pas tout à fait réalisés, et on se dit : « Comment on fait pour que ça arrive ? », mais pas de frustration.

Aujourd’hui, nous sommes engagés dans un plan de transformation digitale (par rapport à tout ce qu’on s’est dit), et ça prend du temps. Je suis quelqu’un d’assez impatient, donc quand ça prend du temps, c’est plus agaçant que frustrant.

C’est davantage ce petit sentiment : on aimerait bien que les choses aillent plus vite. On a plutôt « l’envie d’y être » qu’une frustration.

Il y a justement une autre ressemblance entre vous deux : vous êtes de jeunes Dirigeants de ces salles : cela fait moins de deux ans que vous êtes là.

Pouvez-vous partager avec nous, dans les dernières minutes de ce podcast, un rapport d’étonnement ou des choses qui vous ont étonné, en bien ou en mal, depuis que vous êtes aux commandes ?

Nicolas Dupeux : Oui. Venant d’un secteur un peu différent, un « truc » m’a marqué : le « grain de folie ».
Quand on voit des spectateurs et des fans faire les sacrifices qu’ils font pour venir, passer du temps, voir leur Artistes et leurs idoles, et la manière dont ils vivent les choses… Cette rencontre avec un Artiste et plus que « physique » : c’est leur vie qui est en train de se dérouler pendant quelques heures. 

Je suis toujours émerveillé. On se dit qu’on voit « autant de passion », et ça nous en retransmets autant.
C’est vraiment quelque chose qui m’a marqué en arrivant : cette passion qu’ont les fans.

Florence Jeux : Ce qui m’anime depuis le début, c’est vraiment cette rencontre entre les Artistes et le Spectateur. Ce « truc-là » est hyper fort. On est dans des métiers qui sont vraiment porteurs d’adrénaline, d’autant plus quand on est dans des lieux qui accueillent entre 120 et 150 spectacles à l’année. 

On est dans un rythme à la fois effréné et très excitant, c’est peut-être ça qui m’a étonnée.

Avant, j’étais dans une temporalité où on travaillait toute l’année pour un évènement dans l’année.
Là, il y a un « truc » qui est vraiment au jour le jour mais qui, en même temps, me permet passer à des publics et à des spectacles différents tous les jours, et de ne pas avoir d’ennui. Cela permet de se réveiller le matin en sachant qu’on va avoir une journée différente et qu’on va rencontrer des gens différents. Chaque jour, c’est une nouvelle rencontre avec des intervenants, des Artistes, des publics… C’est très excitant !

On est dans un monde où on dit souvent : « Content is king » : « Le contenu est roi ».
A l’Accor Hotels Arena, par exemple, allez-vous « prendre cette balle-là » ? Allez-vous produire de plus en plus de contenus ?

Nicolas Dupeux : Oui. On regarde de plus en plus près le fait de passer d’un lieu qui accueille à un lieu qui peut produire, coproduire et réaliser des choses. On parlait tout à l’heure d’hybridation dans les formats, dans les contenus… Il y a effectivement toujours des concerts et des évènements sportifs, mais il y a de plus en plus d’évènements qui hybrident ces deux types de contenus. 

On considère qu’on a une place à jouer là-dedans. Que peut-on créer qui se déroulerait chez nous ?
On ne veut pas créer quelque chose qui soit « gratuit », où on se dit : « Ça pourrait avoir lieu n’importe où… ».
Il faut qu’il y ait une raison d’être qui permette de dire : « C’est logique que l’Accor Hotels Arena ait créé cet évènement-là. Cela correspond à leur Histoire, à leur A.D.N., à ce qu’ils ont vécu ». C’est vraiment ce sur quoi on est en train de travailler : ce qu’on appelle chez nous les « évènements propriétaires », qui ont une légitimité à se dérouler chez nous et « que » chez nous.

On travaille sur une espèce de « grand-journée » : un festival autour des sports paralympiques, sur l’accessibilité pour tous et sur le changement du regard qu’on peut porter sur le handicap. Venir « mixer » des « grands Joueurs » qui viendraient « montrer » des disciplines paralympiques, mais aussi de l’initiation et un « côté musique » avec un concert et un évènement extérieur qui se déroulerait autour de l’Accor Hotels Arena. Tout cela viendrait rapprocher le Sport, l’Entertainment et la Musique dans notre Salle. On réfléchit à un concept qu’on espère pouvoir annoncer assez prochainement.

Florence, vous êtes vraiment en période de test de plein de formats différents, c’est ça ?

Florence Jeux : Oui. On est vraiment dans cette réflexion sur : « comment croiser les pratiques ? ».
Dans ce cadre-là, on a un projet qui serait d’organiser, à l’image des « projets hybrides », des concours d’éloquence sur un ring. Cela ferait le lien entre rapport sportif, joute verbale et musique.

On travaille sur des concepts comme ça, pouvant se positionner de manière différente : croiser tout ce qu’on est en train de faire et être le « résumé » de tous les évènements individuels qu’on est en train de mettre en place.
L’idée, c’est qu’il y ait le plus de cohérence possible. A chaque fois, on s’inspire de l’Histoire de la Salle.
Quand on est dans la Salle, je pense que l’incarnation est importante. C’est ce qui fonctionne auprès des Publics, quand ils sentent que les projets sont portés et qu’ils ont du sens.

Quels conseils pourrait-on donner à des jeunes gens, à des gens qui sont dans le public aujourd’hui ou à des gens qui nous écouteraient et qui aimeraient, un jour, diriger une Salle ou venir rejoindre vos équipes ? 

Florence Jeux : Pour moi, il n’y a que la passion, en fait. Pour résumer (on en a parlé plein de fois), il n’y a que ça.
Il faut s’accrocher, être passionné, montrer qu’on a envie. Il ne faut pas compter ses heures et s’investir. Il n’y a que ça qui marche.

Nicolas Dupeux : Comme tu as donné la réponse, je vais la compléter : ne pas écouter les détracteurs et ceux qui disent que « ce n’est pas un vrai métier ». Il faut écouter sa passion, son envie et être positif !

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