Saison 1

S01E02 - Jean-Luc Choplin, Directeur du Théâtre Marigny

Jean-Luc Choplin, est un homme de théâtre et de culture. Après être passé par Disney, il a dirigé 11 saisons le Théâtre du Châtelet. Celui qui dirige aujourd'hui le Théâtre Marigny et souhaite en faire "le théâtre du beau temps" aime qu'on le considère comme un producteur. Celui qui a fait venir Broadway à Paris raconte dans SOLD OUT les rencontres inimaginables qu'il a inventées pour la scène et son souci du moindre détail pour accueillir le public.

Sold Out Jean-Luc Choplin Théâtre Marigny

Écoutez l'épisode maintenant

Découvrez la retranscription de l'épisode

SOLD OUT - Saison 1, épisode 02 : Jean-Luc Choplin

- Théâtre Marigny, Septembre 2019 - 

J’ai pris la Direction de ce lieu, qui était à la Sainte-Baume et qui avait cette espèce « d’Académie d’été », qu’on appelait les Fêtes Musicales de la Sainte-Baume, où j’avais été un participant. Ce n’est pas moi qui les ai créées, c’est un garçon qui s’appelle Jean-Pierre Armengaud (un Pianiste).

Quand j’ai pris cette Direction à l’été 1976, je me demandais ce qu’il fallait bien que je puisse inventer.
Je me suis dit : « Je vais aller voir du côté de l’avant-garde américaine ». J’ai eu l’occasion, le bonheur de rencontrer et de pouvoir dialoguer avec des gens comme John Cage, Merce Cunningham…

Un soir, je suis allé voir un spectacle de la Trisha Brown Company. Trisha Brown était connue à New-York pour ses escalades de buildings : elle descendait des gratte-ciels en vertical, elle faisait des « performances » (comme on disait) dans Central Park.

J’ai rencontré cette compagnie et j’ai été complètement subjugué par ce que ça représentait comme type de démarche. J’ai tout simplement décidé : « Je vais vous inviter » et je les ai invités à venir sur la montagne, là-haut.

J’ai une double formation. Une formation d’Economiste d’un côté et, d’autre part, de Musicien.

Dans la Musique, j’ai toujours été passionné par le fait de jouer des œuvres de musique contemporaine.
Je jouais du « Dutilleux », du « Boucourechliev », évidemment du « Boulez ». J’étais donc convaincu que j’arriverais à « marier » l’Economie d’un côté et la Culture de l’autre. Je me suis dit : « Il faut que je devienne Directeur d’Institution Culturelle. Il faut que je puisse arriver à vivre autour des Artistes. Il faut que j’arrive à faire ma vie autour de cela ». Donc, vous allez aux spectacles ; vous essayez de rencontrer des Artistes et de découvrir des spectacles, en France bien-sûr, mais aussi beaucoup à l’étranger.

Partir aux Etats-Unis, aller découvrir les « grands Artistes américains » (ou ceux qui allaient le devenir), c’était une de mes idées… Quand j’y suis allé, personne en France ne connaissait la Trisha Brown Company, ni beaucoup d’autres artistes que j’ai invités à ce moment-là.

A aucun moment vous n’avez hésité à devenir soit complètement l’un, soit complètement l’autre ?
Juste Economiste (ou Directeur d’une Structure, sans trop toucher à l’Artistique) ou Musicien et Performer vous-même ?

J’avais demandé à John Cage son avis, à moment donné, quand il m’a connu un petit peu mieux.
J’avais travaillé avec lui sur ce qu’on appelait des workshops (des ateliers pour créer des œuvres) et je lui avais dit : « Qu’est-ce que vous pensez que je dois faire ? ». Il m’avait répondu cette jolie phrase : « Be an utility » [« Soyez une utilité »], « Soyez au centre de la roue pour la faire tourner ».

Cela m’a donné une idée : « Je peux faire et faire créer des tas d’œuvres. Je pense que je peux même mieux « faire créer » qu’en m’engageant moi-même à devenir Metteur en Scène ou Dramaturge ». Être dans cette fonction où l’on peut associer l’inassociable, inventer de nouveaux chemins ou faire dialoguer des pays, casser les murs entre les frontières, toujours essayer d’être… non pas dans la répétition ni dans la reproduction des choses, mais dans des choses nouvelles. Je me suis dit : « Voilà, c’est sûrement l’occasion de faire cela ».

Donc, oui. Très tôt, je me suis inventé un rôle que j’ai ensuite poursuivi tout au long de ma carrière.

Ce rôle, en fait, c’est presque celui d’une « double-casquette » : Directeur de Théâtre et Producteur…

« Producteur », c’est le mot que j’aime le mieux : vous arrivez à mettre ensemble des gens qui ne sont pas nécessairement destinés à l’être. 

J’ai de très jolies histoires là-dessus. Par exemple, un Metteur en scène chinois et une Décoratrice plasticienne indienne qui ne voulaient absolument pas travailler ensemble (qui avaient accepté à l’origine mais qui, dans le début du travail, refusaient de travailler). 

J’ai appliqué une méthode. Je leur ai dit : « Ecoutez… On va appliquer la méthode que John Cage faisait avec Merce Cunningham. L’un développait sa musique, l’autre la chorégraphiait et rendez-vous au point d’orgue. Nous allons nous retrouver au moment où on va rentrer avec le décor sur le plateau. Vous aurez fait votre mise en scène et vos chorégraphies, et on verra si ça marche ».

Ils ne se parlaient plus. Il y avait un désaccord total sur le fond entre les deux. C’était, je crois, plutôt un désaccord de personnalité que de réalité. 

On a fait une très belle Production. Il s’agissait de Nixon in China : le docu-opéra de John Adams, que nous avons produit avec Chen Shi-Zheng, le Metteur en scène chinois, et Shilpa Gupta, la Plasticienne indienne.

Vous-même n’avez jamais mis en scène ?

Non. J’ai souvent pensé faire de la mise en scène. De temps en temps, vous avez des nécessités : vous ne trouvez pas de Metteur en scène et vous dites : « Au fond, je porte le projet, je sais exactement ce que je voudrais obtenir, donc… », mais je me suis donné comme règle de ne pas le faire. Peut-être qu’un jour je ferai une exception à cette règle. Toutes les règles sont faites pour avoir une exception.

En tout cas, jusqu’à présent, j’ai toujours trouvé quelqu’un (souvent quelqu’un de complètement « improbable »). 

Par exemple, je cherchais quelqu’un pour faire la mise en scène des Vêpres à la Vierge de Monteverdi (un oratorio qu’on ne met pas en scène : c’est simplement une pièce de musique exécutée). J’ai trouvé un Plasticien ukrainien, Oleg Kulik. Je l’avais vu, dans une performance, « faire le chien » dans la rue. Il était nu, attaché en laisse, tenu par quelqu’un. Il aboyait, montait sur les capots des voitures et essayait même de mordre les gens à travers les vitres !

J’avais trouvé cela terriblement audacieux et je m’étais dit : « Cette personne souffre complètement dans son humanité pour se comporter en animal ! ».

Les Vêpres à la Vierge, au fond, est une œuvre des plus spirituelles. « Comment passer de l’animalité à l’humanité et à la spiritualité ? », telle était la question que je suis allé poser à ce Plasticien, et je lui ai confié la mise en scène de Vespro della Beata Vergine de Monteverdi. 

Vous voyez, il faut toujours chercher des choses qui ne sont pas évidentes. 

Il faut les rendre suffisamment différentes les unes des autres. Le contact, le dialogue, la confrontation éventuelle vont donner quelque chose d’intéressant et vont permettre d’avoir une œuvre plus originale.

Vous avez dirigé le Théâtre du Chatelet pendant onze saisons. Le Théâtre Marigny, ça fait un an et demi. Ce sont toujours des lieux magnifiques, très institutionnels au fond. On a l’impression que ça vous « amuse » de faire entrer toute forme d’Art et de rencontres artistiques un peu « tectoniques » dans des lieux avec des fauteuils rouges où tout le monde est « bien sage » …

Alors… Oui, parce que je pense que notre devoir, aujourd’hui, c’est d’ouvrir à des publics. 

On est un peu « formatés » : on a toujours un peu les mêmes publics musicaux, les mêmes publics au Lyrique, les mêmes publics théâtraux. On dirait qu’il y a des catégories. On le voit : si vous allez au Festival d’Avignon, vous avez « le Public du Festival d’Avignon », et ainsi de suite…

L’idée, c’est d’arriver à « ouvrir la fenêtre ». Il y a cette très jolie expression de Marcel Duchamp : « Courant d’air, courant d’Art ». Vous ouvrez les fenêtres et, avec un peu de chance, de l’Art va entrer dans la maison, de l’Art pour aussi toucher des publics. Les deux mots avec lesquels je « joue » en permanence sont « populaire » et « sophistiqué ». Cela veut dire : « de très haute qualité, mais populaire », « populaire, mais pouvant séduire le Public le plus sophistiqué et vice-versa », « sophistiqué, mais accessible au Public populaire ». 

Je voulais être Directeur du Théâtre du Chatelêt

A moment donné, j’étais à Londres (je dirigeais une institution londonienne : Sadler’s Wells) et on est venu me dire : « Le poste du Théâtre du Chatelet va être libre ! ». Je me suis dit : « Je vais me présenter à la compétition, à la Direction du Théâtre du Châtelet ». 

C’est un lieu qui accueillait Les Saisons Russes de Diaghilev, qui programmait Le Tour du Monde en 80 jours, les « Jules Verne », les « Zola », et qui voulait toucher un très large public. Le fait de pouvoir « marcher avec ces deux jambes » : « populaire » et « sophistiqué », c’est ce que j’ai toujours voulu faire. 

La Sainte-Baume était très « sophistiquée », mais quand je suis allé faire le Ballet de Roland Petit par exemple, c’était beaucoup plus « populaire » et ainsi de suite… J’ai toujours joué avec ces deux côtés.

Est-ce que c’est aussi pour provoquer d’autres « courants d’air » dans le renouvellement des publics que vous aviez, au Théâtre du Châtelet, supprimé des abonnements et les aviez remplacés par des cartes d’adhérents ? 

L’abonnement, quand je suis arrivé au Théâtre du Châtelet, était un club fermé. C’était à peu près 40 000 personnes qui venaient au Théâtre du Châtelet quatre fois et demie dans l’année. C’étaient les mêmes qui avaient pris l’abonnement des quatre opéras qui étaient programmés. Je me suis dit : « Il n’y a pas de raison que les fauteuils soient « attitrés » et donnés à un public ». J’ai donc décidé de changer les abonnements, en prenant un grand risque : le risque que les gens se sentent exclus et ne viennent plus. 

Très vite, dès la deuxième année, on a atteint plus de 300 000 personnes. On avait considérablement « multiplié » et beaucoup rajeunit le théâtre. 

Il est vrai que quand j’ai ouvert avec Le chanteur de Mexico, c’était une vraie provocation !
C’était dire : « Au fond, pourquoi les spectacles auxquels venaient ma grand-mère seraient indignes d’aujourd’hui ? ». Je l’avais traité à la « façon Almodovar » et ça avait réuni un peu toutes les générations.

L’idée était aussi d’avoir des publics plus jeunes. D’où la création qui a suivi cette même année, Monkey : journey to the West, où je confiais la partition musicale à Damon Albarn pour le faire travailler sur un vieux livres chinois du Xème siècle : Xī Yóu Jì (traduit en français par La pérégrination vers l’Ouest), qui est un voyage initiatique : « Comment surmonter les obstacles pour devenir un adulte et peut-être atteindre, un jour, la vie spirituelle ? ».

Il y avait une programmation très éclectique, très diverse, très originale, très inattendue, pour toucher tous les publics.

On a beaucoup parlé de Production, de ce que c’est de « diriger un théâtre », mais on n’a pas encore vraiment parlé de Gestion. Quand on voit la figure du Directeur de théâtre, il y a forcément une partie Gestionnaire, avec le financement, avec le suivi de la billetterie, avec tout ce que ça implique…

Est-ce que cette partie de votre job vous intéresse ?

Oui, complètement !

D’abord, ce qui m’intéresse beaucoup dans ce job-là, ce sont les Ressources Humaines : savoir gérer une équipe. Au Théâtre du Châtelet, j’avais plus de 150 personnes permanentes, plus tous les Intermittents qui venaient travailler pour monter et produire les spectacles. J’avais parfois affaire à 400 ou 500 personnes !
Même si vous vous dites : « Aujourd’hui, je n’ai pas envie de travailler », vous avez tellement de dossiers qui arrivent dans votre bureau que vous y êtes obligés.

Au Théâtre du Châtelet, j’ai voulu créer une ambiance formidable : une ambiance de compagnie.
L’ambiance d’une maison, l’ambiance d’une troupe : avoir le sentiment d’appartenir à quelque chose qui vous rend fier, qui vous rend fort, qui vous fait rêver. Je me suis beaucoup intéressé à cela.

Les finances… Vous vous apercevez très vite que les Finances Publiques sont très insuffisantes par rapport à vos ambitions, vos rêves, vos désirs et la réalité des Productions. Vous êtes la meilleure personne pour aller trouver des mécènes : c’est vous qui allez les convaincre de l’intérêt d’un projet. Vous les faites rêver, vous leur dites : « Vous allez voir ce que vous allez voir ! On va associer votre marque à quelque chose qui va faire parler tout Paris… ». Vous avez des arguments. 

Vous vous intéressez donc aux finances. Vous vous intéressez aussi aux rapports avec votre Institution.
Moi, je dépendais beaucoup de la Ville de Paris. J’avais des rapports réguliers avec le maire de Paris, Bertrand Delanoë (quand il m’avait choisi), plus tard avec Anne Hidalgo et avec l’Adjoint aux Affaires Culturelles : Christophe Girard dans un premier temps, puis Bruno Julliard, puis Christophe Girard à nouveau et ainsi de suite… Vous êtes donc dans le rapport politique, entre des personnes qui ont une ambition pour un lieu et votre ambition : leur faire partager. 

Les aspects de Marketing : comment vendre votre spectacle ? Comment le vendre de façon originale ?
J’étais dans la pleine révolution de l’Internet et de la Billetterie, à savoir qu’avant, les gens venaient au guichet ou téléphonaient pour réserver des billets. Très vite, on est passés à plus de 70 % de réservations via le site Internet. 

Vous-même vous intéressez à cela ? Vous suivez le pourcentage de gens qui achètent…

Tous les jours !

On vous imagine, tous les jours, écouter des Artistes « improbables », voyager pour aller voir des spectacles…

Oui ! Cela ne m’empêche pas de prendre le temps d’aller voir, par exemple, sur le site de la billetterie de la FNAC (dont nous sommes partenaires), si on est bien placés, s’ils ne vous ont pas mis « en fin de machin » (sinon, vous dites à votre gars de la billetterie de donner un coup de téléphone pour vous plaindre).

Je regarde les ventes. Tout à l’heure, je disais : « Ça part comme des petits pains ! ». En fin de matinée, je savais qu’on avait déjà vendu 180 billets pour Eugène Onéguine. Je me disais : « Ce soir, à 22h00, j’aurai sûrement vendu 350 billets dans la journée pour le Théâtre Vakhtangov ». 

C’est une dynamique ! On fait des spectacles pour le Public, pour vendre au Public. Je ne fais pas des spectacles pour des salles vides. Des gens jouent avec mon nom en disant : « Il vaut mieux un Choplin qu’un show vide ! ». Pardonnez-moi ce petit humour…

 [Rires]

Ma joie, c’est une salle pleine ! En tant qu’animateur d’une équipe, en tant « qu’utilité » (comme je le disais tout à l’heure : celui qui « fait tourner la roue »), il faut que vous arriviez à être sûr que toute l’équipe autour de vous soit fière d’une salle pleine. Vous devez donc vous intéresser à tous les sujets.

Je m’intéresse aussi beaucoup à la Direction Technique. 

Sur le Marketing, trouvez-vous que les outils sont assez évolués dans le monde du Spectacle, ou qu’ils sont relativement rudimentaires ? Vous qui avez travaillé chez Disney, aussi…

J’ai beaucoup utilisé ce que j’ai appris chez Disney, en donnant une attention particulière à la « personne qui vient ». Par exemple, j’ai créé une équipe d’accueil. 

J’ai d’abord refusé la notion du « pourboire » qu’on a souvent dans le Théâtre Privé : vous allez vous asseoir à votre place et vous avez la personne qui vous tend la main pour vous donner un pourboire. Chez moi, toutes les personnes sont salariées. 

On va vers les gens, on essaie de les « accueillir  vraiment » : pas uniquement en déchirant leur billet, mais en leur souhaitant une « bonne soirée », en les accompagnant jusqu’à leur place, en leur disant un petit mot, en leur indiquant où sont les nécessités, les toilettes et autres dans le théâtre, en accompagnant les personnes qui ont des difficultés à marcher, en allant les accueillir parfois même jusque dans la rue, etc…

Il faut être attentif à tout !

Les Nouvelles Technologies… Par exemple, aujourd’hui, « l’affichage métro » est complètement passé en digital, avec de plus en plus d’écrans. On fait des teasers vidéo, on essaie d’inventer des formules, des surprises. Parfois, on revient même à des « méthodes anciennes ». Je disais à mes gars : « On va refaire de l’affichage sauvage ! ». Il n’y a rien de tel parce qu’on peut choisir des endroits précis. On paiera l’amende s’il le faut, mais ça coûtera moins cher que de payer un espace d’affichage. Je suis un peu un « voyou » par rapport à tout ça. 

Ce que je veux dire, c’est que si vous n’avez pas la préoccupation, vous-même, de remplir vos salles…
On ne peut pas dire : « Moi, je ne suis qu’un Directeur Artistique, je suis dans les nuages… », non !
Je suis attentif au moindre détail.

La propreté… Je « fais le tour », je m’assure que quand on accueille les gens… C’est un peu comme accueillir chez soi ! Cela suppose que votre équipe sache que vous êtes « sur tous les coups ». Vous êtes sur l’accueil, sur le Marketing, sur les équipes artistiques…
Je passe dans les loges en permanence pour saluer les équipes artistiques, pour les voir, pour leur parler, pour les accueillir dans mon bureau. Je suis, si vous voulez… très près d’eux.

Ici, on est dans votre bureau, qui est « tout neuf », parce que le Théâtre Marigny est « tout neuf » …

Tout refait, tout rénové.

Etes-vous aussi très sensible aux équipes techniques, à l’accueil et à la manière même dont ce théâtre s’organise au quotidien ?

Oui. J’ai tenu à ce que tout le monde ait de « jolis bureaux » (et en même temps « très simples » : ce sont de petites cellules ; les bureaux sont des planches et des tréteaux. C’est relativement monacal. J’ai un petit bureau à côté qui vient de chez Ikea, le canapé vient de chez La Redoute). Par contre, comme vous pouvez le constater sur les murs, j’ai tenu à être entouré d’une installation artistique…

Pouvez-vous décrire cette « installation artistique » s’il-vous-plaît ?

Oui. C’est celle d’un jeune Artiste californien : David Horvitz. Tous les jours, si vous vous abonniez, vous receviez une photo de ciel, à un euro par jour. Au bout de 30 jours, vous aviez 30 photos. Au bout de 60 jours, 60 photos. J’ai accédé à cela, et j’ai fait encadrer 47 photos de ciel que j’ai mis en linéaire. 

Je m’étais dit que je ferai du Théâtre Marigny le « théâtre du beau temps ». Un théâtre de la légèreté, un théâtre qui va nous faire léviter. Ce n’est pas que je refuse le « noir », la douleur, les choses difficiles, mais je pense que plus on a de distance, plus on a de liberté par rapport aux choses et plus on peut être critique-engagé. Cela nous fait réfléchir. 

J’ai donc mis une jolie installation de David Horvitz et l’ai complétée par deux très belles aquarelles de lui-même. J’ai voulu que ce soit un seul Artiste (j’aurais pu en vouloir plusieurs), sur l’idée du « bruit de la mer », du « bruit de l’océan ». Comme le disait Robert Louis Stevenson quand il était arrivé à Monterey : « The one common note of all this country is the haunting presence of the ocean » [« La seule note commune du pays était le son obsédant de la mer »].

Je veux que l’océan continue de me hanter…

Est-ce facile de toujours « regarder la lumière » ? Par exemple, quand ce théâtre a été inauguré, les Champs-Elysées étaient évidemment bloqués, il y a eu énormément de samedis où le Public a eu du mal à parvenir au théâtre, et pourtant, vous avez continué à « regarder la lumière » ?

Oui… Les Gilets Jaunes… Après tout, le jaune est une couleur lumineuse !

[Rires]

On espère que sortiront des choses positives de tout ça…
Ce n’était pas évident la première année. Tous les samedis, il fallait aller aux endroits qui étaient interdits d’accès pour convaincre les gendarmes de nous laisser passer, de laisser passer le Public, etc…

C’est justement devant la difficulté que l’on éprouve le combattant. Je crois en ce que je fais, je crois à la beauté de la liberté, je crois à la beauté du Spectacle en général, du Théâtre, de la Musique… je crois que l’Art peut transformer les cœurs et nous mener à plus de paix, plus de joie, plus de compréhension, plus de dialogue… Donc, on ne va pas renoncer simplement pour quelques moments difficiles qui viennent. 

Quand vous êtes là où je suis, après plus de quarante ans d’activité théâtrale, on ne se laisse pas impressionner par quelques « samedis difficiles ».

Vous aviez dit un jour : « Rien n’est assez sérieux pour que l’on ne s’en moque pas ».
Est-ce facile d’aller tout le temps « chercher la lumière » ?

Ce n’est pas « pour que l’on ne s’en moque pas » : « Nous n’avons rien d’assez sérieux pour que l’on ne puisse pas jouer avec ». « Jouer avec », c’est-à-dire que l’on peut prendre Le Couronnement de Poppée de Monteverdi et en faire un opéra-rock. « Poppea », on en fait « Pop’ea ». 

On joue avec les choses parce que c’est la seule façon d’avancer. C’est ne pas s’enfermer dans des catégories, ne pas enfermer les choses dans des boîtes poussiéreuses. C’est rendre les choses vivantes, oser aimer les choses pour les faire naître à la vie.

Vous avez cité, tout au long de cet interview, des tas d’Artistes de tous pays. J’imagine que certains de nos auditeurs ne les connaissent pas et ne sont jamais entrés au Théâtre du Châtelet ou au Théâtre Marigny. 

Que pourriez-vous dire à ces auditeurs-là pour leur donner envie d’acheter un billet pour un spectacle, au hasard, de la prochaine saison ?

Il y a cette très jolie phrase de Michel Torga: « L’Universel, c’est le local moins les murs ».

Ce qui est important, c’est de donner des choses qui ont une valeur universelle, une beauté qui peut durer dans le temps, qui s’impose, à condition d’avoir fait « tomber les murs ». On ne connaît pas ? Eh bien on va aller voir. 

Avoir soif de curiosité, avoir soif de choses nouvelles, ne pas s’enfermer dans la répétition du connu, ne pas se laisser prendre par la notion de la répétition, aller toujours voir des choses pour lesquelles on n’a pas la réponse.

Il y a cette très jolie phrase de Woody Allen : « J’ai les questions à toutes vos réponses ». 

Voilà, c’est un petit peu ça…

TOUS LES ÉPISODES