Saison 1

S01E01 – Alain Lahana, producteur d'Iggy Pop, Patti Smith, David Bowie...

Alain Lahana, producteur historique de Patti SmithPhil Collins ou encore David Bowie et tant d'autres revient sur son parcours, sur les évènements marquants de sa carrière, et se confie sur les souvenirs qui le lient aux artistes avec lesquels il travaille.

Sold Out Alain Lahana

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SOLD OUT - Saison 1, épisode 01 : Alain Lahana

- Paris, été 2019 -

Le « truc » de mon job, c’est que j’ai toujours considéré qu’il fallait être « tout-terrain ». 

Quand je suis Manager, je considère mon job comme étant la meilleure interface entre l’Artiste et le reste du monde. Quand je suis Promoteur de concerts, il faut que je trouve l’aspect à mettre le plus en avant, pour qu’on voit ce qu’on cherche à faire.

J’ai toujours réagi par rapport à des Artistes que j’aime… Cela me permet, aussi, d’aller un petit peu plus « en profondeur ». Quand tu essaies de comprendre ce que veut faire l’Artiste, réellement (pas juste la partie qui est superficielle), tu peux l’emmener beaucoup plus loin dans beaucoup de choses.

Cela m’a permis de produire un album d’Iggy Pop en crooner et en français, de faire des plans avec Patti comme « acheter la maison de Rimbaud », ou l’emmener sur la tombe de Jean Genet pour poser trois cailloux qu’elle avait ramassé douze ans plus tôt au bagne à Cayenne (elle avait dit qu’elle irait les poser sur sa tombe à Larache, j’ai donc monté des concerts à Tanger pour qu’on aille à Larache).

Faire des « trucs » comme ça, des choses qui t’emmènent plus loin. Comme avec Bowie : monter les répétitions de Tin Machine « à la maison », à Saint-Malo, quand j’habitais là-bas. Ce sont des « trucs » qui se font quand tu as un vrai relationnel. Mon relationnel est un « relationnel Artiste », beaucoup. C’est une différence que j’ai, je pense, avec beaucoup de mes collègues.

Je me demandais si tu étais capable de travailler avec des Artistes que tu n’admirais pas ou pour lesquels tu n’avais pas de passion ?

Il y a toujours un « truc » qui est intéressant chez un Artiste, de toute façon.

Je ne vais pas dire que quand j’ai fait Spice Girls en 1998, par exemple, c’est parce que tous les soirs en rentrant chez moi j’écoutais Spice Girls ! Ce n’était pas du tout ma « came musicale ». 

Par contre, je trouvais tout le « truc autour » ultra-intéressant et j’ai emporté l’affaire. A l’époque, tout le monde était « sur l’histoire ». J’ai « emporté le truc » sur un plan de market qui n’a absolument pas été appliqué. J’ai été là au bon moment, quand il fallait, et… voilà quoi !

Si je me souviens bien, tu as commencé avec ce festival punk à Mont-de-Marsan…

J’avais déjà un peu « d’heures de vol », même si ce n’était pas professionnel. Mont-de-Marsan, c’était un « truc à part ». Je suis le premier surpris qu’on en parle encore plus de quarante ans après !
Quand on a fait le premier Mont-de-Marsan, c’est quelque chose qu’on a décidé quatre mois avant…

Parce que tu avais les arènes « gratos » …

En fait, le père de mon pote André-Marc Dubos était Conseiller Municipal à Mont-de-Marsan. Il a dit : « Si vous faites un truc pas loin des Fêtes de la Madeleine, je peux vous filer les arènes gratos, avec l’estrade » (à l’époque, on ne disait pas la « scène »). On a dit : « Tiens ! On va aller faire un tour aux arènes ! ».

On est allé aux arènes, à 200 mètres du bistrot. On avait fait Eddie and the Hot Rods la veille, à Mont-de-Marsan, et on a dit : « Ah super ! On va faire venir Feel Good, on va faire Eddie and the Hot Rods… ».

On a fait Tyla Gang, on a fait Shakin’ Street (à l’époque, Louis Bertignac et Corine Marienneau étaient dans ce groupe) … et on a « monté le truc » comme ça ! 

C’est devenu « mythique » mais il faut voir qu’à la première édition de Mont-de-Marsan, il n’y avait pas 600 billets vendus ! La deuxième a été plus « légendaire » parce qu’à cette époque-là, on a eu tous les Groupes qui « faisaient la Scène Punk ». On avait les Clash en vedettes, on avait les Jam (qui n’ont pas joué), on avait les Damned, il y avait Police… 

Souvent, je parle des deals quand je parle de cette histoire-là.
On donnait 110 livres Sterling à Police et ils payaient leurs frais de déplacements avec. On donnait 600 livres Sterling aux Clash. A cette époque, c’était un « autre monde » ! Tous ces groupes-là n’avaient pas le droit de jouer en Angleterre : Le Punk y était banni. Le circuit du pub-rock était « lessivé », personne ne pouvait jouer. Les mecs étaient donc contents qu’on leur « ouvre la porte » pour venir jouer chez nous !

A la première édition, vous avez vendu 600 places…

Même pas !

… c’était loin d’être complet !

On a « perdu du blé » !

Comment as-tu géré ça ? Tu étais serein ? Tu ne dormais plus ? Tu étais « comme un fou » ?

Non, non !

Je me rappelle Mont-de-Marsan 1976 : je suis arrivé la veille sur place. L’avant-veille, je montais un concert à Sète (j’y faisais les saisons d’été à l’époque). On m’avait refilé la grille de programmes de l’été. 

Sur l’été, j’avais Ferré, Gong, Magma, Lavilliers, Nougaro, Bijou (un jeune groupe qui débutait) …
Je ne sais plus si c’était sur la première ou sur la deuxième année qu’on avait Téléphone, un jeune groupe qui débutait aussi. Je « faisais mes trucs » comme ça.

A l’époque, c’était un « truc fait à la bonne franquette ». On ne pensait pas qu’on aurait 600 personnes (on pensait en avoir un peu plus), mais il faut voir que le budget artistique total de cette édition était de 18 000 francs. Sur la deuxième édition, c’était 60 000 francs, soit 10 000 euros pour faire le deuxième Mont-de-Marsan dont on parle quarante-deux ans après !

Cette sérénité t’a-t-elle toujours marqué durant ta carrière (même si tu n’aimes pas trop ce mot) ?
Etait-ce parfois un peu plus stressant ?

Des situations de stress, il y en a plein. Je ne vais pas dire que je ne suis jamais stressé.
J’ai déjà vécu des situations extrêmes et je sais que le stress n’est pas le meilleur élément pour avancer.
On va donc dire que j’intériorise.

En 1991, on s’est retrouvés avec une reformation de Genesis.
On jouait à Lyon. A l’époque, il y avait une grève des Agriculteurs et en même temps une grève des Camionneurs. Il nous manquait deux camions, qui étaient sur le pont de l’autre côté du stade. On était allés les chercher à pied pour emmener les éléments de rigging qu’il nous fallait pour faire le show. 

De Lyon, on a pris la décision de reporter de 24 heures le concert de Paris, à l’hippodrome de Vincennes : on avait mis 24 heures pour faire Lyon-Paris avec les camions !

A ce moment-là, j’ai fait un deal avec mon Assureur, en disant : « Il y a deux options. Ou on essaie d’y aller en baissant la tête, mais à mon avis on n’y arrivera pas, et à ce moment-là ça va te coûter tant. Ou on prend froidement la décision d’annuler maintenant et de décaler de 24 heures et ça te coûtera 3 millions de moins. Qu’est-ce que tu choisis ? ». Il m’a dit : « Je choisis la deuxième option ». 

Pendant toute la journée, on était en « message continu » sur France Info et toutes les antennes parce qu’on était un sujet d’actualité ! Il y avait 83 000 billets vendus, c’était donc un mouvement de Public important.

Il fallait faire attention, il fallait gérer !

J’ai eu plein d’autres cas. J’ai eu des annulations des Rolling Stones (ils ont annulé trois stades sur quatre). J’ai travaillé avec les Pogues (tu imagines que parfois, on se demandait s’ils joueraient !). J’ai arrêté de travailler avec eux quand ils ont oublié leur Ingénieur du son, mort, à l’hôtel…

Des cas extrêmes, je peux t’en faire cinquante !

Comment passe-t-on de ces arènes à Mont-de-Marsan, de cette estrade, de ce « petit festival légendaire avec 600 personnes », à : « je me bats pour travailler avec Genesis que j’adore, avec Bowie que j’adore, avec Iggy Pop que j’adore ou avec Patti Smith dont j’ai adoré « Horses » ?
C’est quoi le déclic ? Comment fait-on pour passer d’une étape à une autre ?

Il faut voir que dans les noms que tu as cités, il y en a qui ont été « gros » avant que j’arrive et il y en a qui ont « grossi » en cours de route. Mon premier concert avec Iggy Pop, c’était il y a 42 ans. Ce n’était pas le même mec ! Il y a 42 ans, je peux te dire qu’on n’était pas cinquante à se battre pour être à ses côtés. Il y a 42 ans, tout le monde disait : « On ne sait pas si Iggy passera l’hiver ! ». C’était un parcours un peu « à part ». 

C’est dans un relationnel que tu arrives à autre chose avec un Artiste. 

J’ai aussi fait 25 ans avec Rachid Taha, qui n’était pas un « enfant de chœur » ! 

Ce sont des choses à gérer. Quand tu as le « mode d’emploi » et que tu le gères bien, tu arrives à avancer et c’est bien d’être aux côtés de ces guerriers. 

De toute façon, pour moi, le « truc numéro 1 » c’est le relationnel. Le relationnel-Artiste.

Même encore aujourd’hui où tu as l’impression qu’il y a des contrats qui font 150 pages ? 

Oui ! Cela m’emmerde, mais quand je me retrouve comme il y a quelques jours avec un mec comme Nick Masson, qui a quand même vendu 300 millions d’albums avec Pink Floyd, et qu’il me dit : « C’est quand même cool ce que tu fais pour nous ! Je suis désolé qu’on ne puisse pas vendre encore plus de billets, mais je ne peux pas arriver de Pink Floyd comme ça, après 20 ans au tiroir, et espérer attirer 50 000 personnes ! » …

Quand un « mec comme ça » te dit ça (et je peux te dire que c’est en humilité totale), tu te dis : « Wow, quand même, on est cool ! ».

J’ai plein de « trucs d’Artistes » comme ça à te dire. Chacun sa technique, chacun son « truc ».

Au départ, je viens d’une scène plutôt alternative. Avant les Mont-de-Marsan, quand j’étais encore au lycée, je faisais des concerts alternatifs avec des Groupes comme Gong, Khan, Kevin Coyne, Magma (qui était ultra-alternatif), Areski et Fontaine… A l’époque, Le Forestier représentait vraiment une rébellion. Il tournait avec Jean-Michel Caradec (qui après s’est tué en bagnole), etc…

Il y a plein de « trucs » comme ça qui se faisaient. On avait un petit fanzine et on « faisait notre truc ». 

C’est certainement ça qui m’a donné l’envie et qui m’a ouvert les portes ! 

Tu guettais les imports de vinyles, c’est ça ?

Oui. On avait un point de chute tout le temps : le Disquaire Music Action, où on allait guetter l’arrivée de l’import plusieurs jours à l’avance. On n’était pas saturés de disques et de Musique comme on l’est aujourd’hui. On allait chercher le disque, on l’attendait. Quand le vinyle arrivait, on allait passer l’après-midi chez le Disquaire pour écouter avant d’acheter. On regardait tous les crédits sur les pochettes. C’était un « autre truc » ! Maintenant, on écoute de la musique en faisant autre chose. A l’époque, on écoutait de la musique en regardant la pochette.

Je me rends compte que, depuis quelques années, beaucoup des concerts que j’ai fait ont été très emblématiques d’une génération. J’ai fait seize ans avec Depeche Mode dans la période Fast, dix-huit ans avec Bowie… Ce n’est pas la peine de faire un dessin. Il y a eu plein de Groupes emblématiques qui ont été des « marqueurs de génération ». Quelle chance j’ai eu de pouvoir être « dans le même bateau » !

Moi, j’avançais, je bossais. Le bilan, tu le fais plutôt quand tu as un petit moment. Avec ma vie, je ne me suis pas beaucoup retourné pour voir ce que j’avais fait. J’avance !

Toujours maintenant ?

Oui ! Il y a toujours mieux de toute façon. « Mieux » n’est pas vraiment le critère. Il y a toujours un « truc excitant », point.

Quand j’ai arrêté mon association avec Daniel Colling et que j’ai décidé de démarrer un nouvel Artiste par an (qui soit sur son premier album pour avoir la première émotion réelle), c’était une vraie volonté.
C’est un « truc » que j’ai voulu faire après avoir fait plusieurs tours du monde avec des Artistes. Il y a eu le tour du monde avec Stéphan Eicher et celui avec Rachid Taha où on jouait dix fois plus à l’étranger qu’en France. Je ne faisais pratiquement pas de concert en France avec Rachid parce qu’il y était le « rebeu de service », surtout après 1,2,3 Soleils

On regardait Rachid comme le « rebeu de service » :

« Tu fais du Raï ? 

- Non je ne fais pas du Raï, je suis un chanteur de Rock. Je suis né en Algérie, point. »

Il est juste question de « comment tu regardes la chose » et par quel angle. Pour moi, il n’y a pas de « petit Artiste » ou de « grand Artiste ». Il y a des bons et des mauvais. Moi, j’ai choisi les bons.

Quand on ne te connaît pas bien, les gens disent : « Tiens, c’est Alain Lahana, c’est lui qui travaille avec Patti Smith et Iggy Pop ». C’est ce que tout le monde commence par dire.
Aujourd’hui, j’ai l’impression que Patti et Iggy sont tes « amis », en fait…

Oui, on s’appelle… 

Patti, c’est très particulier. Je n’ai pas d’intermédiaire entre elle et moi. Je fais mes deals directement avec elle (c’est quand même un peu « spécial »). Iggy, tu sais que j’ai produit un de ses disques. Il y a plusieurs « trucs » comme ça. A partir du moment où tu t’intéresses à eux, ils ne te mettent pas une « porte dans la gueule », au contraire ! Par contre, si tu vas avec un Artiste uniquement « dans le sens du poil » et que tu ne fais que ça, tu ne sers à rien. 

J’ai noté que tu disais à un moment : « Si tu n’apportes rien, tu gicles ! »

Oui. J’ai toujours dit : « C’est facile de monter dans le train, mais fais gaffe dans le virage ! ».

Si tu n’apportes rien, si tu ne sers à rien, tu es superflu. Si tu es superflu, tu dégages ! Après, si tu sers à quelque chose à l’Artiste, si tu le fais avancer dans ce qu’il cherche à faire, là, tu l’intéresses.

Moi, j’ai toujours essayé d’apporter un « truc en plus », de comprendre un peu plus en profondeur l’Artiste, et de lui faire faire des choses qu’il n’aurait pas forcément fait parce qu’il avait autre chose à faire. 

Je suis en train de finir une tournée avec Tears for Fears. Je travaille avec eux depuis 1983. Quand je les vois, ce sont des « frangins » ! Il n’y a pas de souci ! On se « parle normal ». On est passés par plein de « trucs » les uns et les autres. On a une vraie « relation de potes ». Kirt dit : « Alain, c’est la famille ! ». Avec sa fille, on est « potes » comme avec la fille ou le fils de Patti. Mes enfants les connaissent… C’est de la famille !

Pour moi, sauf erreur, la Musique est un art. Je trouve un peu bizarre qu’un art soit calibré comme il est calibré. On fait des formats. Tu dois avoir un titre qui fait « tant ». Avant, on disait « Directeur Artistique ». Maintenant, on dit « Chef de Produit ». Excuse-moi, ce n’est pas tout à fait la même chose. 

Moi, j’ai plutôt envie de travailler avec des Artistes et d’être un Artisan.
Ce que je fais, je le fais avec mes mains, avec ma bouche, avec mon corps. Je participe comme ça. J’apporte quelque chose dans l’histoire, comme l’Artiste apporte quelque chose dans son histoire. J’essaie d’être une partie qui se rajoute là-dedans et qui n’est pas incongrue, c’est tout. 

Si une petite attention d’accueil, par exemple, peut faire qu’un Artiste va arriver et dire : « Ah ! C’est cool de m’avoir mis cette boutanche ! Comment tu savais que j’aimais vraiment ce pinard ? C’est marrant que tu mettes un truc local dans la loge ! Ah oui, du coup à Toulouse, je ne vais pas dire « Hello Lille ! » ». 

Ce sont des choses importantes pour le confort de l’Artiste. Il faut voir qu’un Artiste en tournée est pris en charge 24 heures sur 24. Si tu lui dames bien le terrain, tu vas avoir une prestation d’exception. Si tu le traites « comme une merde », tu as une probabilité forte d’avoir un « concert de merde » !

Vu que je vends des billets et que je fais un commerce avec ça, je préfère avoir des prestations exceptionnelles. J’ai envie de travailler avec des « guerriers » : des gens qui « vont au front » et montent sur scène pour « tout démonter ». 

Iggy est le premier qui aurait dû partir de toute la liste des Artistes avec qui je travaille.
Tout le monde part et pas lui ! C’est du Rock ! Moi je dis que c’est le « dernier des mohicans » !

Quand Iggy va sur scène, il a un cérémonial : deux jours off avant chaque concert, une préparation physique qui commence à J-24…

Tu m’expliquais qu’il ne mangeait pas 24 heures avant…

Il arrête de manger 24 heures avant. Il ne prend plus rien. Rien de rien. 

Il arrive deux heures avant dans la loge. Quand il arrive, le premier « truc » qu’il regarde c’est la bouteille de pinard. Donc, si tu lui mets un « vin de merde », il va te « regarder »…

Quand on a fait le Hellfest, Ben m’a appelé et m’a dit : « Ah… Je voudrais faire un cadeau pour Iggy : on est tellement contents de l’accueillir ! Qu’est-ce que je peux faire pour lui ? ». Je lui ai dit : « Ecoutes, il aime bien le pinard ! ». Il m’a dit : « Ouais, bon, mais quoi ? Bourgogne ? Bordeaux ? ». Je lui ai dit : « Ecoutes, je vais te donner un indice : il est né en 1947 », et j’ai eu un Château Latour 1947. 

On n’a pas eu un concert génial d’Iggy. C’était le moment où Scott Ashton était malade (il est mort quatre mois après), mais c’est en coulisses, là, que j’ai fait mon deal pour l’album que j’ai produit. Il allait abandonner ce projet, et je lui ai dit : « Come on ! [« Allez ! »] Tu ne vas pas arrêter ! Après tout ce qu’on a fait ? C’est la première fois que tu « mets ton blé » pour produire ta musique. Tu ne vas pas arrêter parce qu’un « connard de Maison de Disques » te dit qu’il ne veut pas que tu casses ton image. Tu n’en as « rien à péter » de ton image ! Ton image, c’est toi ! C’est toi qui es le mieux placé pour savoir ». 

Il a dit : « OK ! Fuck it… I give you my record ! » [OK ! Peu importe… Voilà mon enregistrement ! »]. 

C’est comme ça que j’ai eu le deal !

Il y a beaucoup de gens dans ce métier qui enjolivent un peu, qui disent : « La drogue ? Pas tant que ça… », « Oui, l’Artiste adore les fans, il passera toujours leur signer des autographes ». 

Toi, tu expliques clairement les choses…

Moi, je dis les « trucs » !

« Il ne viendra pas, ça l’emmerde ».

J’ai un principe de base de toute façon, pour tout le monde : « Tu rotes, tu chies, tu pètes ». 

A partir de là, tu regardes les choses un peu différemment ! Ça ne me pose de problème. 

Je l’ai raconté quelques fois : j’ai fait les répétitions de Bowie à Saint-Malo. Il sort de scène et me dit : « Alain, tu sais c’est vraiment cool les répétitions ici ! Tu sais quoi ? Pour être sûr de ma liste, je voudrais faire un petit concert ici demain ». Je lui ai dit : « David, la salle fait 300 places ! On va avoir une émeute ! ». 

Il me dit : « Come on ! [« Allez ! »] Je vais juste faire un concert comme ça ! On fait le concert gratuit ».

Je lui dis : « Mais David, ça va être un bordel ! ». Il me dit : « Mais non, mais non ! On met une petite caisse à l’entrée, les mecs mettent ce qu’ils veulent… ». 

On a mis une caisse à l’entrée, on avait dit qu’on achèterait un babyfoot pour les mecs de la cité à côté…

Sorti de scène, David me dit : « Alors ? Comment tu as trouvé ? ». J’ai dit : « C’était cool, mais c’était un peu long quand même… ». Là, je vois son Manager qui recule d’un pas. David se tourne vers moi et me dit : « Ouais mais si je ne les essaie pas ici, je vais les essayer où ? ». A une « question cash », tu as une « réponse cash » !

Cela ne t’a jamais joué de tour ? 

Si, ça m’a fait perdre des Artistes… mais ce n’est pas grave ! 

Pour regarder les choses un peu autrement, aujourd’hui tu fais le retour de Phil Collins. La femme de Phil Collins t’a appelé…

Oui, c’est elle qui m’a dit que Phil allait remonter sur scène avec leur fils. J’ai dit : « Ah cool ! ».

Elle m’a dit : « On fait un petit théâtre à Lausanne. Si tu peux, viens ». Je suis allé à Lausanne. J’en suis reparti, j’avais cinq Bercy

Tu as aussi décidé de le faire en co-production avec Lagardère, c’est ça ? 

Oui. C’était un cas un peu particulier : c’était une grosse somme d’argent.

J’avais déjà fait cinq Bercy d’affilée, mais en multi-Artistes. Cinq Bercy avec le même Artiste, c’est quand même un peu « gonflé », surtout avec un prix moyen à 195 euros, et surtout quand tu dis : « il ne joue pas de batterie, il ne joue pas de piano, il chante juste ». C’était quand même un peu compliqué. On a vendu 62 000 billets. Il y avait un challenge : le mec n’avait rien fait pendant 10 ou 12 ans !

Ce que je voulais, mon deal avec Lagardère, ce que je cherchais, c’est à « avoir droit à un coup de fil ». 

De toute façon, j’étais le seul « non Live Nation » au monde ! Il y avait donc des gens qui « attendaient derrière la porte » et qui étaient prêts à « pousser un peu » s’il le fallait. Je voulais être tranquille et ne pas me poser de question sur le « blé ».

J’avais eu une collaboration avec Lagardère sur la reformation de Genesis en 2007. On avait fait le Parc des Princes et le Stade de Lyon. Le « truc » qu’ils m’avaient mis en place m’avait « scotché ». 

On avait été sold out six mois à l’avance pour le stade. C’était un « truc » un peu particulier : c’est un stade que j’ai « monté sans personne ». J’avais juste un Régisseur et j’ai rentré les équipes à J – 21. 

On a tout fait. L’idée était de tout faire pour voir tous les corps de métier impliqués et tout le « déroulement du truc ». C’était intéressant. La collaboration avec eux était cool sur le market et sur la promotion. Je savais qu’ils s’intéressaient à la Production de Spectacles, donc j’avais un « coup de fil ».

Il faut voir que pendant quatre mois, je n’ai rien dit à personne. Je savais que j’avais droit à UN « coup de fil », sinon il fallait que je trouve tout cet argent avec le risque d’avoir un problème en cours de route : d’avoir une somme assez importante bloquée sous séquestre… Bref, je me suis dit : « Il me faut quelqu’un de balaise ». 

J’ai passé un « coup de fil », ils m’ont dit « oui » tout de suite, et on est partis comme ça. 

Eux mettaient la « tune » et moi je « faisais le truc ». 

On a renouvelé ça avec Tears for Fears pour le retour de Lagardère.

Ça ne veut pas dire que je suis « marié » ou « fiancé » avec eux mais, de base, c’est une collaboration qui pour moi est intéressante. On a un apport de market, on a un apport de promotion, on a un apport de visibilité dans le deal. On a sorti des plans de communication ultra-costauds sur Phil Collins et sur Tears for Fears.

Alain, c’est quoi ce poster ?

C’est une petite affiche que Daniel Colling avait faite pour fêter nos dix ans d’association sur certaines des productions que j’avais faites pendant que j’étais associé avec lui, entre 1990 et 2000.

Voilà, il y en a une petite série là. 

Il n’y a pas grand-chose, en fait. Il y a Tears for Fears, Depeche Mode, Marianne Faithfull, David Bowie, Tin Machine, Johnny Hallyday, Paul Personne, Iggy Pop, INXS. Et toi, tu as « fait tout ça » … [Rires]

Après, tu as ceux-là…

Ah ! Il y en a un deuxième ! [Rires]

Il n’a pas réussi à le rentrer dans une seule affiche. Il y a Sade aussi. Je n’en ai pas parlé.

R.E.M., Radiohead… Tu as fait Radiohead aussi ?

Oui, à Saint-Denis (le chapiteau), après avoir fait les Rolling Stones à l’ouverture du Stade de France, où j’avais pris Jean-Louis Aubert en lever de rideau.

J’étais à ce concert, sous le chapiteau. J’ai trouvé que ce n’était pas génial. Te souviens-tu de ces concerts ?

Pour moi, le montage était très stressant. Ils arrivaient avec leur chapiteau qui n’était pas du tout adapté. J’ai pu, grâce à des relations avec des forains et avec Sampion Bouglione, faire en sorte que le concert ait lieu : leur chapiteau n’était pas homologué en France. 

Je rencontre plein de gens qui me parlent « d’industrie », « d’industrialisation », etc.

Penses-tu que la carrière que tu as pourrait à nouveau exister aujourd’hui ? Est-ce que quelqu’un pourrait avoir une carrière comme la tienne ?

Non, impossible. Impossible, parce que tout s’est fait par affinités. Maintenant, on ne fait plus de « trucs » par affinités, on fait des « trucs » … par opportunité.

Je dis souvent que le « gros » des relations que j’ai pu avoir, c’est parce qu’à l’époque on faisait des « grosses tournées » : les Artistes partaient sur la route longtemps. Des fois, c’était des périodes de tournée de six mois dans une année à être « décollés de chez eux » et à ne plus avoir de vie autre que la « vie sur la route ».

Je ne vais pas te faire un dessin, mais c’était une époque où la drogue coulait à flots. 

Cela a fait des relations très fortes parce que, quelque part, pour le « coup de cafard » de deux heures du mat’ à Clermont-Ferrand… Il n’y avait pas grand monde pour aller parler avec Iggy, « machin » ou « truc » à cette heure-là. Il n’y avait plus personne. 

Quand tu as une régularité comme ça et que ça s’étale sur des dizaines d’années, tu as une vraie relation intime avec l’Artiste. 

J’ai fait 70 dates avec Bowie. Ça crée une relation ! On se parlait « en direct » : à chaque fois que je le voyais, on avait une « conversation perso ». Un coup, il m’a dit : « Tiens, mais… pourquoi je ne ferais pas des petites dates en France ? ». On faisait quand même le Parc des Princes pour Rock à Paris (les prémices de Rock en Seine).

J’ai dit : « Putain, ton album… C’est la première fois depuis longtemps que tu fais un album qui parle vraiment aux gamins ». Il a dit : « Ouais, mais bon… Pourquoi je fais juste un stade ? ». J’ai dit : « Je ne sais pas… Vois avec ton Agent ». Il a dit : « J’ai une semaine libre, tu me ferais des petites dates ? ».

J’ai fait une série de dates où les gens ne croyaient pas que c’était David Bowie ! C’était la pochette de « Earthling », il était de dos avec l’Union Jack (le manteau que lui avait fait Alexander Mcqueen), et les gens se demandaient si c’était le « vrai David Bowie ». Jouer à la salle des fêtes de Rezé quand tu t’appelles David Bowie, ce n’est pas forcément le « truc » le plus évident !

Penses-tu que c’est parce que l’argent se fait sur scène plus que par la Musique enregistrée que ça a changé un peu la donne ?

J’ai dit un « truc » tout à l’heure : quand j’ai démarré dans les Maisons de Disques, c’étaient des « Directeurs Artistiques ». Ils sont devenus des « Chefs de Produits ». Cela dit beaucoup de choses. 

La vision que l’on a de l’Artiste aujourd’hui, c’est aussi le plus souvent comme une « pompe à fric ».
Tu vas relever les compteurs, tu montes le prix des places, etc.

Je me rappelle quand je faisais des concerts à Toulouse avec Alan Stivell ou Maxime Le Forestier (je te parle de 1974 ou un « truc » comme ça), et que les mecs se faisaient bomber leur van avec marqué : « MAXIME LE FORESTIER – 10 FRANCS LA PLACE – FACHO ! ».

Il y a beaucoup de jeunes gens qui nous écoutent et ont envie de faire ce métier un jour. Pas seulement le Marketing ou travailler autour de ces métiers, mais même devenir Producteur ou Manager. Que leur donnerais-tu comme conseils ?

Ecoute… Le principal, c’est de savoir ce que tu as vraiment envie de faire et que tu le fasses. 

L’avis des autres, il ne faut pas forcément l’écouter. Il ne faut pas « faire comme tout le monde ». Si tu « fais comme tout le monde », tu ne sers à rien puisque tout le monde le fait ! Il faut que tu « fasses comme personne ». Là tu peux être intéressant.

Si tu es singulier, c’est bon. Si tu « fais comme tout le monde », tu es interchangeable.
Ne sois pas interchangeable !

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